90 ans après, la crise de 1929 peut-elle se reproduire ?

Il y a 90 ans, la Grande Dépression partit des Etats-Unis allait déclencher une crise économique et financière d’une ampleur telle que peu de pays y échappèrent. Point de basculement vers un autre monde économique, elle allait aussi être l’un des facteurs de la Seconde guerre mondiale. Pour le secteur agricole américain, la Grande Dépression constitua un tournant décisif. 90 ans après, que peut-on dire de cette grande crise ? En quoi la situation actuelle de l’économie mondiale, de l’agriculture en particulier, est-elle en mesure de reproduire un épisode aussi funeste ?

L'effondrement de la bourse de New-York en octobre 1929 est emblématique de la grande crise qui a secoué, au XXe siècle, l'économie américaine et, par extension, le reste du monde. L'optimisme irrationnel des investisseurs dans la robustesse de l'économie s'est brutalement retourné, ouvrant la voie à une dépression historique. Artificiellement gonflées par un endettement structurel durant les années précédentes, les valeurs des actifs échangés à Wall Street ont gravement chuté. Beaucoup ont vu dans cet épisode le facteur primordial à l'origine duquel la crise mondiale s'est déclenchée.

L'aveuglement généralisé des acteurs et des décideurs

En réalité, toutes les conditions étaient réunies pour qu'une telle dépression surgisse. Malgré l'expansion industrielle (+4% l'an) et la progression des gains de productivité du travail (+43%) durant la décennie précédente, occasionnant une multiplication par six de la valeur des actifs financiers à Wall Street, l'économie réelle connaît quelques fissures qui ont déclenché une dynamique de crise. La baisse des ventes de voitures automobiles, de la production d'acier, de l'activité du bâtiment, l'excès d'investissement, l'endettement des ménages... auraient dû alerter les autorités sur la dégradation de l'économie américaine. Ces signes annonciateurs étaient inséparables de la faiblesse de la demande intérieure américaine, renvoyant à la baisse des salaires et de l'emploi qui s'étaient propagées tendanciellement après la fin de la Première guerre mondiale. Dans le reste du monde, et singulièrement en France et en Allemagne, la spirale déflationniste a apporté sa contribution à la Dépression mondiale.

L'activité agricole pouvait également former un signal fort qu'il se passait quelque chose de grave dans l'économie américaine. Après l'euphorie de la croissance des productions et du revenu agricoles durant la guerre de 1914-1918, du fait de l'expansion des exportations vers l'Europe, les agriculteurs américains ont massivement investi, surfant sur des prix en hausse et sur un crédit bancaire facile, notamment pour se mécaniser. La fin des hostilités, la reprise des productions en Europe, ont occasionné une baisse des exportations américaines, une surproduction mondiale de grains, et par voie de conséquence des baisses régulières de prix et de revenu. Un cercle vicieux s'est alors installé. Pour compenser la baisse des prix, les agriculteurs ont davantage produit, accentuant la déprime sur le secteur agricole.

Tous ces facteurs ont convergé pour briser l'excès de confiance des acteurs financiers. Wall Street s'effondre en octobre 1929. Les actifs financiers perdent de leur valeur, augmentant ainsi le poids de l'endettement réel des agents qui, ayant contracté des prêts pour investir, cherchent à se désendetter. La chute des prix agricoles – le prix du blé dévisse de 71% – provoque une paupérisation des Farmers, des migrations internes, décime les emplois. La spirale déflationniste est entretenue par tous ces paramètres, plongeant le monde, à l'exception de quelques nations, dans le marasme et les tensions géopolitiques.

La Grande Dépression a symbolisé par ailleurs et radicalement, un changement d'époque. Ce changement est flagrant en matière de politique agricole, puisque, face à l'urgence, l'Administration Roosevelt adopte un Agricultural Adjusment Act (AAA), en 1933, pour redresser la situation des agriculteurs. Par le truchement de cette politique agricole très interventionniste, on a pu prendre la mesure du nouvel ordre économique mondial qui se mettait en place, caractérisé en particulier par une intervention massive de l'Etat, par une régulation des marchés, bref par un capitalisme organisé.

1929....2019 ?

Sans se laisser aller à lire dans le marc de café ou à détecter des similitudes historiques, l'année 2019 apparaît grosse d'incertitudes. Outre les propos de la Directrice générale du FMI, les recommandations de la Banque des Règlements Internationaux... concernant les menaces réelles qui alourdissent le climat économique mondial (croissance, commerce, endettement mondial de 184 000 milliards de dollars soit 225% du PIB de la planète, Brexit...), il convient d'ajouter la crise agricole américaine. Baisse des exportations, du revenu, explosion impressionnante de l'endettement des agriculteurs qui devrait se fixer en 2019 à quelque 427 milliards de dollars, retrouvant le niveau de dettes du début de la décennie 1980, le tout s'inscrivant dans une tendance baissière des prix et des tensions commerciales qui obstruent les flux de marchandises. Le panorama est donc morose, très morose et surtout périlleux.

Le cataclysme de 1929 fut précédé par de multiples petites crises. Elles n'ont pas empêché les gouvernements et les entreprises à persister dans leurs erreurs, la plus saillante ayant été celle consistant à maintenir les politiques déflationnistes, un entêtement favorisé par le rattachement des monnaies à l'or (étalon-or). On sait que, depuis le début des années 2000, plusieurs alertes ont jalonné les économies jusqu'à aujourd'hui, et notamment la grande crise de 2007-2012. Faut-il y voir un signal ? Institutions financières, de conjoncture, économistes... ils sont nombreux à prévenir du danger que court l'économie mondiale, c'est-à-dire d'une probable reproduction d'une dépression d'ampleur similaire à celle des années 1930. Il est d'ailleurs curieux que l'évocation, à défaut de la célébration, de la Grande Dépression soit si discrète. On ne pourra pas dire cette fois-ci que nous n'avons pas été prévenus. 

Extrait de la LETTRE ECONOMIQUE - Avril 2019 - Thierry Pouch APCA