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Transmission : bâtir une politique pour tous
D’ici 2026, 30 % des chefs d’exploitation se¬ront en âge de partir à la retraite. Soit un total de 160 000 exploitants de 55 ans et plus, d’après la MSA. C’est une certitude : les annonces de fermes à reprendre vont fleurir dans les prochaines années.
Et avec elles un sacré défi à relever : renouveler les générations pour maintenir le potentiel agricole et la vitalité des territoires ruraux. Et pourtant, en France, premier pays agricole de l'UE, la politique de transmission reste largement à construire. « On part quasiment d'une page blanche », confie Loïc Quellec, vice-président de JA, en charge du Renouvellement des générations.
« Nous voulons un cadre national pour la transmission, explique cet éleveur bovin des Alpes-de-Haute-Provence. Qu'on soit agriculteur dans les Alpes-Maritimes ou dans le Finistère, on doit avoir un accès équitable aux mêmes aides. » Jeunes Agriculteurs participe avec Chambres d'Agriculture France (nouveau nom de l'APCA) à un projet visant à « renforcer et mutualiser les actions de sensibilisation et d'accompagnement des cédants » (lire l'encadré en page 29). L'un des objectifs ? Créer un cadre national de l'accompagnement à la transmission, qui sera ensuite décliné dans les Régions. Bref, poser les premières pierres d'une politique nationale de la transmission.
La priorité, pour Loïc Quellec : « l'accompagnement humain, qui doit être très personnalisé. » La première étape ? Repérer les futurs cédants et « leur faire prendre conscience de l'importance de transmettre leur ferme ». Des outils existent, mais « ils ont besoin d'être dépoussiérés », estime-t-on chez JA. Le Répertoire départ installation (RDI) recense plus de 2 500 offres de fermes à reprendre. D'après Chambre d'Agriculture France, chacune d'elles est consultée en moyenne... 1 800 fois !
Une « thérapie de couple » pour cédants et repreneurs
Une fois le cédant décidé à transmettre sa ferme, il reste encore à le mettre en relation avec des repreneurs potentiels. Un « gros travail » que le responsable syndical compare à « une thérapie de couple », car « la mayonnaise n'est pas obligée de prendre du premier coup ». Avant de trouver "le" bon repreneur, un cédant peut rencontrer de nombreux porteurs de projet. Certains départements proposent des parrainages pendant lesquels le futur repreneur est salarié ou stagiaire de son cédant. Une formule sécurisante pour les deux parties. En 2017, les chambres d'Agriculture ont accompagné 660 stages de ce type.
30 % des installations se font désormais hors du cadre familial. Une nouvelle génération d'agriculteurs débarque, souvent avec une nouvelle vision du métier d'agriculteur... au risque de faire des étincelles avec des cédants inquiets pour l'avenir de "leur" ferme. Un désaccord qui peut être exacerbé lorsque l'exploitation est dans la famille depuis plusieurs générations – c'est la majorité des cas. Pour un agriculteur, cesser son activité est déjà un grand bouleversement en soi. Cet aspect affectif est l'un des freins à la transmission identifié lors de la session RGA 2018. « Réussir sa transmission, c'est permettre la réussite d'un projet autre que le sien », résumait à cette occasion Jacques Abadie, sociologue à l'Ensat de Toulouse.
D'où l'importance d'apporter un maximum d'objectivité dans ce processus basé sur l'alchimie humaine. C'est le but du projet Expertis, mené par JA dans le cadre du projet Transmission (lire l'encadré en page XX). Les cédants ont besoin d'accompagnement pour réaliser le diagnostic de leur exploitation, évaluer son prix, réaliser les procédures administratives, etc. Des missions aujourd'hui éclatées entre de nombreuses structures (chambres d'Agriculture, centres de gestion, notaires, experts-comptables, etc.). Selon l'expert consulté, la valeur de reprise d'une exploitation peut énormément varier. Additionner le prix des terres, des bâtiments, du matériel et du cheptel ne suffit pas à déterminer le "juste" prix d'une exploitation. Entrent aussi en ligne de compte le marché local et la rentabilité potentielle de l'exploitation.
De nombreuses initiatives dans le réseau JA.
Face à l'étourdissante complexité d'un processus de transmission, les cédants doivent absolument anticiper et se préparer cinq, voire dix ans, avant leur cessation d'activité. Ne pas le faire, c'est prendre le risque que ses terres partent à l'agrandissement. C'est le cas d'une ferme sur deux quand le repreneur n'est pas connu à 55 ans, d'après une étude d'Agreste (voir tableau page XX). Selon cette même étude, seul un tiers des agriculteurs de 55 ans ou plus connaît déjà son repreneur.
Cela fait longtemps que Jeunes Agriculteurs a pris à bras le corps le sujet de la transmission. De nombreux départements organisent des événements pour rapprocher cédants et repreneurs potentiels. Un exemple ? En novembre 2018, la chambre d'Agriculture d'Indre-et-Loire et JA 37 ont organisé un week-end à la découverte des élevages laitiers à reprendre dans la région de Tours. Visite des exploitations, du salon Ferme Expo Tours, des sites touristiques, etc. Cette initiative visait à attirer des porteurs de projet non issus du département. Un voyage de cinq jours pris planifié et pris en charge par la chambre d'Agriculture et la communauté de communes Loches Sud Touraine.
Dans d'autres départements, les JA expérimentent de nouvelles formes d'accompagnement. En Loire-Atlantique, le Projet de transmission collectif (PTC) propose une formation globale à l'attention des cédants. D'autres, comme la Haute-Savoie, mettent l'accent sur le volet financier et foncier avec le Fast (Fonds d'accompagnement à la succession et à la transmission).
Rôle structurant de la Pac
L'accompagnement humain est essentiel, mais il ne fait pas tout. D'après l'APCA, les transmissions sont aussi handicapées par les « faibles niveaux de retraite » en agriculture. S'y ajoutent les « enjeux liés au foncier » et des reprises d'exploitation nécessitant un capital de plus en plus important. Ces deux dernières tendances reflètent la concentration des exploitations à l'œuvre depuis plusieurs décennies. Des fermes de plus en plus importantes sont plus difficiles à transmettre, ce qui favorise la concentration, etc. Un cercle vicieux qu'il est possible de briser. Pour Loïc Quellec, « en changeant de système, une ferme peut permettre deux installations. »
Pour transmettre, encore faut-il que l'exploitation concernée offre des perspectives de rentabilité. Ce qui renvoie aux problématiques de filières et de revenu, qui ont été au cœur des EGA. La PAC joue également un rôle prépondérant via son effet structurant pour l'agriculture et le cofinancement européen des aides à l'installation. Pour la prochaine PAC, Jeunes Agriculteurs appelle à distribuer les aides à l'actif et non plus à l'hectare. Car, pour Loïc Quellec, le système actuel « favorise la concurrence sur le foncier ».
« Le gouvernement a botté en touche ».
Pour faciliter les transmissions, l'appui des pouvoirs publics sera nécessaire. JA en a fait son cheval de bataille. Pas sûr que le gouvernement actuel ait pris la juste mesure du problème. Un exemple ? La loi de finances pour 2019 comporte des mesures fiscales pour faciliter les transmissions... à titre gratuit uniquement. Or, les donations ne représentent qu'une part minime des transmissions. « Le gouvernement a botté en touche sur toutes nos propositions pour les transmissions à titre onéreux », regrette Loïc Quellec.
Avec la Dotation unique épargne transmission (DUET, issue du rapport d'orientation 2018 de JA), le syndicat jeune proposait un outil de gestion des risques qui permettait à un agriculteur de préparer sa transmission tout au long de sa carrière. Ce dispositif a un coût. Mais celui-ci est justifié par l'importance du renouvellement des générations pour les territoires ruraux. Une thématique que JA explorera dans son rapport d'orientation 2019. Il comprendra une large partie consacrée à la transmission des entreprises, agricoles ou non. « L'agriculture doit s'intégrer dans une dynamique globale des territoires ruraux, affirme Loïc Quellec. Elle ne peut pas maintenir un territoire toute seule, elle a besoin des services publics, des artisans, etc. » En grande partie né dans les zones rurales, le mouvement des "gilets jaunes" a poussé Emmanuel Macron à lancer un Grand débat national. Reste à espérer que, cette fois enfin, la voix de la ruralité sera entendue.
Article extrait du magazine JAMAG n° 756 - Yannick Groult et Jérôme Peleyras - Jeunes Agriculteurs