« 8 espèces, 150 variétés et aucune épargnée par le gel »

A Laroque-des-Albères (Pyrénées-Orientales), Christine et Claude Cribeillet ont misé sur la diversification de leur verger bio pour déjouer les aléas. Le gel du 8 avril a pourtant enfoncé un coin dans la résilience. L’Amap fera un peu tampon, en attendant l’investissement dans un système antigel, mais pas anti-stress.

Adieu pêches, nectarines, abricots, figues, amandes, grenades... Dans la nuit du 8 au 9 avril, par -3°C pendant huit heures, Christine et Claude Cribeillet ont perdu la majeure partie de la production de leur verger, couvrant une surface de 20 hectares, au pied du massif des Albères, qui marque la frontière avec l’Espagne. Le broyage préventif des couverts inter-rangs n’y a rien fait. « Le taux de perte varie entre 40% et 100% selon les zones et les espèces », confie l’arboriculteur. Depuis, lui et son épouse arpentent les rangées de pêchers et de nectariniers, pas tant pour jauger les dégâts que pour sauver ce qui peut l’être. « On fait tomber les fruits touchés parce qu’ils continuent de pomper la sève des arbres déjà très affaiblis par l’arrêt de sève, explique le producteur. On élimine les plus cabossés mais certains ne présentent pas de symptômes externes ».

Sur pêcher, le fruit est extérieurement intact mais l’amande est touchée
Sur pêcher, le fruit est extérieurement intact mais l’amande est touchée

L’impossible évaluation des dégâts

Avec son sécateur, l’arboriculteur tranche de temps à autre un jeune fruit en deux, extérieurement intact. « Dans la plupart des cas, l’amande est comme brulée. Comment vont se développer ses fruits ? Vont-ils tomber un mois avant la récolte ? », s’interroge-t-il. C’est la première expérience du genre pour les arboriculteurs. « Un gel aussi tardif, c’est une première », souligne Christine Cribeillet. « Il y a deux ans, le gel avait frappé au moment de la fleur, c’était plus simple », énonce la productrice, comme si elle s’accoutumait aux coups de butoir du climat.

"En 55 ans, depuis que mes parents se sont installés ici, on n’a jamais vu ça "

Et pourtant. « En 55 ans, depuis que mes parents se sont installés ici, on n’a jamais vu ça, déclare son mari. Mais au cours des cinq ans, on a subi deux fois le gel, une fois la grêle et l’an passé, pendant le premier confinement, il est tombé 800 mm d’eau au printemps et on a été inondé ».

Avec des fruits qui risquent de tomber encore pendant des semaines et d’autres qui seront difformes, l’évaluation des dégâts sera tout sauf une sinécure, d’autant que le gel peut se faire ressentir sur la production de l’année d’après, comme le couple l’a déjà vécu avec les abricotiers.

Décimée, la production d’abricot pourrait aussi être compromise l’année prochaine
Décimée, la production d’abricot pourrait aussi être compromise l’année prochaine

La bienveillance des autorités et des OPA

L’EARL des Hirondelles n’était pas assurée contre le gel. Elle a même renoncé à se couvrir contre la grêle. « La prime d’assurance équivalait à notre marge bénéficiaire », se rappelle Claude. A défaut d’assurance, les producteurs ont bénéficié de la bienveillance des structures agricoles dont le Civam Bio 66 et la Chambre d’agriculture. « La maire de Saint-Génis-des-Fontaines, commune voisine où l’on a des parcelles, est venue sur place, déclare Claude. Mon frère, arboriculteur bio également, a reçu la visite du sous-préfet ». « On est un peu surpris par ces témoignages de soutien mais ça fait du bien », déclare Christine.

"Une tour à vent, c’est 30.000 euros pour protéger environ 4 ha, mais face à une gelée noire, la tour ne fera aucun effet"

Le couple a enclenché auprès de la Chambre d'agriculture le processus administratif en vue de bénéficier d’une hypothétique indemnisation. « On aura peut-être une aide à hauteur de 20% ou 30% de la perte du chiffre d’affaires, avec peut-être un système d’acompte en attendant le bilan final ». Beaucoup de « peut-être » mais une certitude : très peu de revenus et pas d’investissement cette année, et malgré tout des emprunts à assumer, tel que celui consenti dans des filets destinés à protéger les pommiers des carpocapses, au demeurant très efficaces.

Du coup, le couple a commencé a jeté un œil aux différents dispositifs anti-gel : bougies, diffuseurs d’air chaud, micro-aspersion, tour à vent. « Une tour à vent, c’est 30.000 euros pour protéger environ 4 hectares, indique Pierre. Mais face à une gelée noire, la tour ne fera aucun effet ». Face à l’ampleur du phénomène, les arboriculteurs doutent que les fonds alloués dans le Plan de relance soient suffisants. Idem pour les PCAE régionaux, dont ils ont été plusieurs fois éconduits.

Les grenadiers ont été en partie gelés
Les grenadiers ont été en partie gelés

L’Amap solidaire

Depuis leur installation en 1986 puis leur conversion bio en 2010-2012, les arboriculteurs ont travaillé la résilience de leur système, bien avant que le changement climatique ne consacre le terme, en jouant sur la diversification des espèces et des variétés. Les pêchers et les abricotiers ont fait de la place aux grenadiers, amandiers, figuiers et pommiers. « En pommier, on est sur une quinzaine de variétés, explique Claude. En pêcher, on a des variétés différentes tous les deux rangs ».

« En figuier, on est à plus de 100 espèces mais c’est parce que je préfère m’acheter un figuier plutôt qu’un sac à main, rigole Christine. On mise tout sur le goût parce que l’on adore nous-même les fruits ». La diversification obéit à trois objectifs : élargir la gamme de fruits commercialisés en partie en vente directe, écrêter les pointes de travail pour diminuer le recours à la main d’œuvre et parer aux aléas climatiques.

"Cela fait partie du rôle d'une Amap de soutenir ses producteurs dans les moments de coups durs"

Pour le dernier, c’est raté mais pas pour les deux premiers. L’EARL fournit plusieurs Amap. Sise à Perpignan (Pyrénées-Orientales), l’Amap « Des légumes dans la ville » s’était rapprochée de l’EARL quelques semaines avant le gel. Gros dilemme à l’heure où les adhérents doivent s’engager, alors que la production de fruits est très hypothétique. « C'est une situation délicate, d'autant plus qu'il s'agit d'un premier engagement avec ce producteur, explique Nina Castellarnau, adhérente de l’Amap. Mais cela fait aussi partie du rôle d'une Amap de soutenir ses producteurs dans les moments de coups durs. On l’a déjà fait dans le passé avec notre maraicher ainsi qu’avec notre éleveur de volailles ».

« C’est une situation très inconfortable pour nous, explique de son côté l’arboricultrice. Cela fait 25 ans que l’on est agriculteur et on n’a jamais rien demandé ».

Bien que visuellement indemnes, les amandiers ont été aussi impactés
Bien que visuellement indemnes, les amandiers ont été aussi impactés

Un compromis a été trouvé entre les deux parties pour réduire un peu la taille du panier mais la décision appartiendra à chaque adhérent de l’Amap, sachant que les fruits risquent de se faire rares et chers cette année, l’Espagne ayant été aussi touchée par la vague de froid. Et a contrario, quand les prix grimpent, en début ou en fin de saison, ou parce que l’offre est limitée, les tarifs affichés par les producteurs livrant en Amap restent constants. A panier résilient, porte-monnaie résilient.

On peut aussi compter sur les « amapiens » pour accepter des fruits « cabossés ». « C’est de moins en moins vrai dans certains magasins bio », soupire Christine Cribeillet. Là aussi, le climat changerait-il ?

Le verger de pommiers est équipé de filets anti-carpocapse
Le verger de pommiers est équipé de filets anti-carpocapse