Les collectivités friandes de baux environnementaux

Sous l’effet de la pression sociétale sur le sujet des produits phytosanitaires, certaines collectivités commencent à s’intéresser aux baux ruraux environnementaux (BRE) pour maîtriser les pratiques agricoles sur leur territoire. Un phénomène qui s’avère d’autant plus important sur les zones de captage d’eau potable.

Le feuilleton à rallonge des arrêtés anti-pesticides a mis en évidence l'émergence d'un nouvel acteur dans le débat sociétal autours des produits phytosanitaires. À l'échelle de la commune ou de l'intercommunalité, les collectivités vont prendre un poids de plus en plus important dans l'orientation des pratiques agricoles sur leur territoire. Si les arrêtés anti-pesticides ont surtout eu un effet médiatique, un autre outil prend de l'ampleur et pourrait concerner à terme plusieurs milliers d'hectares. Le bail rural environnemental (BRE), ainsi qu'il se nomme, existe depuis 2006. La commune d'Ohain, dans le département du Nord, illustre bien ce phénomène : après avoir pris un arrêté anti-pesticides, son maire a décidé de passer les 30 hectares détenus par la commune en BRE, comme l'a rapporté la Voix du Nord le 11 mars 2020.

Concrètement, le principe de cet outil repose sur l'inclusion de critères environnementaux dans un bail rural classique. En contrepartie, le bailleur propose un fermage inférieur à la fourchette permise par l'indice national. Les critères sont multiples, diversifiés et peuvent être plus ou moins contraignants pour le fermier. Dans certains cas, ils sont co-construits avec la profession agricole pour prendre en compte ses contraintes. Il s'agit par exemple du non-retournement des prairies, de la sauvegarde d'une mare ou d'une haie sur la parcelle, voire d'une labellisation en HVE ou en agriculture biologique. Certains critères peuvent être assez originaux, comme « la préservation des races locales ».

Une manière de garder la main sur le foncier agricole

En 2019, la Métropole européenne Lilloise (MEL) a voté une délibération pour recenser le foncier agricole qu'elle détenait et pérenniser sa fonction agricole. « Par exemple, autour de Villeneuve d'Ascq, il reste du foncier acquis au moment de la construction de la ville. Certains agriculteurs sont encore concernés par des contrats précaires. Sur ces zones, nous allons refaire des baux ruraux à longue durée mais y adossant des critères environnementaux », explique Mélanie Lotte, chargée de mission agriculture durable - développement territorial au sein de la collectivité.

Si la métropole lilloise n'imposera pas ce changement aux fermiers qui ont déjà des baux ruraux en bonne et due forme, certains de ces agriculteurs contactent la collectivité de manière spontanée pour bénéficier d'un BRE et de la réduction de fermage qui en découle. À terme, les baux ruraux environnementaux pourraient être étendus aux 713 hectares de foncier agricole détenu par la MEL.

Sur la même idée de flou entourant les baux actuels, le département de Loire-Atlantique a attribué 32 baux ruraux environnementaux pour une surface de 600 hectares sur l'ancienne ZAD de Notre-Dame des Landes.

Si la politique de ces collectivités donne une idée de l'ampleur que pourrait prendre les BRE, impossible aujourd'hui de faire un chiffrage exhaustif des surfaces concernées par les critères environnementaux, faute de recensement. « Actuellement, il n'y a pas d'observatoire de l'évolution de ce type bail, mais c'est une mission dont pourrait se charger la Safer, en lien avec ses partenaires agricoles », indique Christophe Maillet, directeur des études du groupe Safer. Selon lui, de plus en plus de collectivités s'intéressent à ce mécanisme et l'outil se démocratise. « Aujourd'hui, quand une collectivité utilise un BRE pour installer un maraîcher bio en péri-urbain, il n'y a plus débat », ajoute-t-il.

Des acquisitions autour des zones de captage

Si la métropole lilloise et le département de Loire-Atlantique mettent en place des BRE sur des zones déjà en leur possession, d'autres collectivités ou organismes poussent la démarche jusqu'à acheter des terres afin d'y installer des baux ruraux environnementaux. Il s'agit généralement de zones de captage d'eau potable où la ressource doit être protégée via la mise en place de pratiques agricoles durables. L'exemple le plus emblématique et peut-être le plus ancien concerne la régie des eaux de Paris. Depuis 1995, l'organisme mène une politique amiable d'achat de terre et a déjà acquis 191 hectares via une convention avec la Safer.

Plus récemment, le syndicat d'eau du département de la Vienne a mis en place une politique similaire autour de ses 15 secteurs de captages prioritaires. Deux zones d'environ 70 hectares ont déjà été acquises sur les communes d'Availles-Limouzine et-Curzay sur-Vonne. « Ce sont des agriculteurs qui partaient en retraite qui nous ont contactés car ils savaient qu'on leur donnerait un bon prix. L'objectif est de garder des prairies sur ces zones et donc de maintenir l'élevage en rendant le foncier accessible », explique Lydie Blanchet, animatrice ressource territoriale Eaux de Vienne.

Mais il existe des endroits où certaines acquisitions de terre ont déjà généré des conflits. C'est le cas de la commune de Nort-sur-Erdre, en Loire-Atlantique. La collectivité s'est positionnée pour acheter 1,8 hectare de terres agricoles sur les champs captants que le fermier en place voulait également acquérir. La FNSEA 44 s'est fortement mobilisée en mars dernier pour exprimer son désaccord. « Ce n'est qu'un début, ils veulent acheter les 2 400 hectares du périmètre de captage », s'inquiète Nicolas Favry, président de la section syndicale locale. Il s'étonne de la stratégie de la commune alors que de nombreuses actions pour la qualité de l'eau sont déjà mises en place par les agriculteurs. « S'il y avait vraiment urgence et qu'on nous expropriait pour que les terres ne soient plus cultivées, on pourrait comprendre. Mais là, ils achètent les terres et ils nous laissent en place sans rien changer, ça n'a pas de sens », s'exclame-t-il.

Ce phénomène d'acquisition du foncier agricole pour installer des baux ruraux environnementaux pourrait s'amplifier à l'avenir. La loi N°2019-1461 du 27 décembre 2019 instaure ainsi un nouveau droit de préemption des collectivités pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine sur du foncier agricole. « Cette loi vient en concurrence directe avec les outils de médiation et de maîtrise du foncier par les Safer, indique Christophe Maillet. Même si elles détiennent un droit de préemption, leurs interventions se font dans 90% des surfaces acquises à l'amiable et permettent d'engager une réelle concertation entre collectivités et profession agricole, dans le cadre d'une gouvernance foncière partagée entre tous les acteurs du monde rural ».