Berger : entre chien et loup... et touristes

Comment concilier itinérance ovine sous bonne garde de chiens de protection avec les touristes à l’assaut des sentiers de randonnée : le défi des bergers de l’estive du Puy Mary.

À 14 ans, Julien Valet a quitté le collège... avant de trouver une nouvelle voie, sa voie auprès des troupeaux et d’entrer dans une autre école, celle de berger. “Sauf qu’à l’école des bergers, on n’apprend ni à gérer la prédation ni le tourisme de masse”, deux phénomènes qui ont grandement complexifié le quotidien de Julien et de son épouse Aurélie, tous deux bergers, jadis sur l’Isoard (Alpes), désormais du Puy Mary. Pas de cours pour appréhender cette nouvelle réalité, pas de transmission de savoir-faire non plus de la part des anciens qui n’y ont pas été confrontés.
Alors il faut s’adapter et composer avec, apprendre à vivre ensemble, avec le loup, les chiens de protection, les randonneurs et les trailers qui souvent oublient les règles de base de la montagne et du règne animal. “Il y a des gens qui veulent caresser les brebis ou les chiens de protection, sauf que la brebis comme le chien n’en a pas forcément envie...”, sourit le jeune berger salarié pour la seconde saison consécutive du groupement pastoral ovin du Puy Mary. Des éleveurs qui confient de début juillet à début octobre une troupe de quelque 568 brebis au couple expérimenté.

Remettre les touristes sur le droit chemin...

Pour remettre ces brebis à deux pattes égarées ou imprudentes sur le droit chemin, Julien dégaine son arme de prédilection : le sourire et surtout la parole. Imparable. “Dès qu’on voit un randonneur qui s’élance à côté du troupeau avec ou sans chien, on essaie de communiquer, d’expliquer quelques règles de sécurité : tenir son chien au pied, en laisse, ne pas lever le bâton si le chien de protection s’avance... Il y a toute une génération qui n’a jamais eu de contact avec les bêtes”, a expliqué la semaine dernière au préfet le berger qui reprend ainsi chaque jour son bâton... de pèlerin pour éviter les conflits d’usage et accidents potentiels. Des incidents avec des chiens de protection qui, par le passé dans les Alpes, l’ont conduit à quatre reprises devant les gendarmes.
Dans cette mission de sensibilisation, le berger et la bergère du Puy Mary comme les éleveurs sont aidés par le syndicat mixte du Grand site mais aussi l’État qui met à disposition des panneaux d’information. Apposés sur les clôtures, aux abords des chemins de randonnée concernés, ils indiquent la conduite à tenir et invitent à respecter le travail des bergers. Des messages que Julien Valet juge cependant trop discrets et insuffisamment dissuasifs :
“On a filmé pendant 48 heures les passages devant l’un d’eux et la seule personne qui s’est arrêtée pour le lire, c’est un enfant”, déplore le berger.

Feux rouges plutôt que cédez-le-passage

“Les comportements en montagne c’est comme sur la route, si vous ne mettez jamais de feu rouge mais que des cédez-le-passage, il y a plus de risques d’accidents”, a-t-il imagé au préfet appelant État et syndicat mixte à une information plus offensive, surtout à la veille d’une saison estivale qui devrait voir une très forte affluence sur les crêtes et sentiers du massif cantalien. De même verrait-il d’un bon œil un accompagnement accru des éleveurs dans le dressage de leurs chiens de protection mais aussi le contrôle de ces gardiens à deux pattes dans les secteurs où des conflits d’usage apparaissent. “J’adhère à votre discours à la fois modéré et passionné. L’important c’est d’aller vers des relations apaisées”, a abondé le préfet Castel.
“L’objectif n’est pas de fermer la montagne mais d’apprendre à travailler ensemble comme on le fait avec le syndicat mixte pour éviter l’accident en déviant par exemple une petite portion d’un chemin de randonnée”, plaide le berger, reconnaissant des efforts faits par la structure.
Car derrière la carte postale des brebis encadrées par leurs protecteurs bergers des Pyrénées, Tony Joanny, président du groupement pastoral, a rappelé que l’enjeu était ni plus ni moins que la persistance d’un élevage ovin dans le Cantal. Une production dont le loup, installé sur les Monts du Cantal depuis 2018, s’est délecté - tout comme il a décimé les mouflons dans le secteur - avant que cette estive ovine collective apporte une réponse à la détresse des éleveurs.
Une réponse qui a fait ses preuves dès la première saison en 2021 même si la menace de prédation ne peut jamais être totalement écartée. La preuve : depuis début juillet, trois brebis ont été attaquées par temps de brouillard. De nouvelles attaques qui posent la question de monter d’un cran le dispositif à la disposition des éleveurs : tirs de défense simple, renforcés voire intervention de la brigade loup pour se prémunir du prédateur qui a compris “qu’il a ici un McDo gratuit”, image Julien Valet. Des mesures sur lesquelles les services de l’État vont désormais se pencher, a indiqué le préfet Castel.