Canicules : sale temps pour les vaches

Les étés sont de plus en plus chauds en France, et, malheureusement, les vaches laitières sont très sensibles au stress thermique. Ses effets néfastes sont nombreux, parfois à retardement. Explications et pistes de prévention.

« Les vaches laitières ont un ressenti de la chaleur très différent de celui des humains. Pour elles, la neutralité thermique, c'est lorsque la température extérieure est entre 2 et 15 °C », explique Denis Denion, consultant chez Seenovia, organisme de conseil en élevage. « Entre 15 et 21 °C, elles peuvent s'adapter sans difficulté. Mais elles commencent à souffrir dès 21 °C », poursuit le consultant lors d'un webinaire organisé sur ce sujet le 22 juin, pour répondre aux nombreuses interrogations des éleveurs en ce début d'été.

Pourquoi une telle différence avec les humains ? « Parce qu'un ruminant, ça produit beaucoup de chaleur. Une vache, c'est l’équivalent d'un chauffage supérieur à 1000 Watts ». Circonstance aggravante : ces radiateurs sur pattes ont un système respiratoire déficient : comparé à un humain, une vache n'a qu'un tiers de ses capacités pulmonaires. Elle ne peut donc pas se rafraîchir par la respiration. Cela explique pourquoi, en période de forte chaleur, la vache reste debout pour augmenter sa surface en contact avec l'air extérieur.

Denis Denion, consultant chez Seenovia

Quels paramètres pour définir le stress thermique ?

Pour évaluer un stress thermique, la température de l'air extérieur n'est pas le seul paramètre : un autre facteur primordial est l'humidité. Comme les humains, les vaches supportent mieux une chaleur sèche qu'une chaleur humide : en France, une majorité de bovins vivent sous des climats océaniques, avec une humidité comprise parfois entre 70 et 80 %, et, donc, un stress thermique qui survient dès 21 °C.

Deux autres facteurs influencent la perception de la chaleur par la vache : la vitesse de l'air, qui peut modérer le ressenti thermique de l'animal, et le rayonnement thermique. La vitesse de l'air dépend de nombreux paramètres dans un bâtiment : l'orientation, la présence d'obstacles sur le trajet du vent (bâtiments accolés, bois, forêts, talus) et, bien sûr, sa conception. Quant au rayonnement, il se fait soit directement par entrée du soleil dans les aires de vie des animaux, soit à travers les éléments transparents comme des dômes ou des tôles translucides : il est d'ailleurs fréquent de voir les vaches déserter toutes les zones situées sous ces translucides.

Le niveau de stress thermique dépend des températures de l'air, mais également du degré d'humidité. En régions océaniques, les vaches laitières peuvent être en stress thermique dès 21 °C. (Source : La ventilation des bâtiments d'élevage de ruminants, Institut de l'élevage)

Des conséquences en pagaille

Les conséquences d'un stress thermique sont nombreuses : la plus visible est la baisse de production, qui, selon les troupeaux, peut aller de 1 à 11 kg par animal et par jour. Cette baisse de production est directement liée à la diminution de l'ingestion et de la rumination : « Les vaches tirent la langue, halètent, mais ne ruminent plus », décrit Denis Denion. Les taux, et en particulier le TB, sont également affectés par le stress thermique : « La vache perd des minéraux, par sa bave et ses urines. Elle aura moins de bicarbonate, ce qui fait baisser le TB ».

Le stress thermique engendre généralement une hausse du taux cellulaire dans le lait, due à la fois au développement bactérien dans les litières et à la baisse d'immunité des animaux. La fertilité des animaux est également affectée : les résultats d'insémination sont inversement corrélés au facteur humidité/température et tous les éleveurs ont constaté des chutes de fécondité lors des derniers étés chauds, « au point même que se pose la question d'inséminer en période de forte canicule ».

Le rapport entre stress thermique et boiteries est moins direct, mais tout aussi réel : en période de forte chaleur, les vaches sont plus souvent debout, et ont une perte d’état corporel plus ou moins amplifié selon l’importance de la chute d’ingestion. Or, le pied repose en partie sur un coussinet graisseux, qui risque de diminuer quand la vache perd de l'état : la fonte progressive de ce coussinet engendre des risques de boiteries à l’automne.

Selon les observations de Denis Denion, l'impact du stress thermique est plus important chez les éleveurs robotisés. L'un des facteurs est que la vache n'est pas « poussée » par l'éleveur à la traite deux fois par jour : en période de forte chaleur, elle peut ne pas avoir envie de se faire traire régulièrement. D'autant moins si le trajet vers le robot comporte des zones chaudes.

De l'eau, de l'eau, de l'eau !

Pour lutter contre tous ces désagréments, un certain nombre de solutions existent. Comme le soulignent tous les experts, , le premier réflexe, c'est d'adapter la disponibilité de l'eau : « Une vache qui produit 30 kg de lait par jour, quand il fait 25 °C, doit boire 120 litre d'eau par jour ». Cette eau doit être propre, ce qui impose un nettoyage attentif des abreuvoirs, notamment ceux qui sont proches des DAC, facilement souillés. Cette eau doit être disponible avec un débit suffisant (15 l/min), et bien positionnée : si des abreuvoirs sont ajoutés à terre, les vaches risquent d'y tremper leurs pattes ; en revanche, si les abreuvoirs sont trop hauts (au-delà de 85-90 cm pour des Prim'Holstein, mais dès 65-70 cm pour des jersiaises), les vaches vont laper l'eau et ne pas s'abreuver correctement.

L'eau est la première adaptation à considérer face aux chaleurs estivales. Elle doit être appétente et en débit suffisant. (photo : Seenovia)

Après la mise à disposition d'une eau de bonne qualité, les autres solutions relèvent de l'aménagement du bâtiment : tout ce qui peut être fait pour favoriser la circulation de l'air est bénéfique, enlever des tôles, démonter le bardage, créer des trappes comme dans les bâtiments volailles... Il faut cependant veiller à ce que toute ouverture nouvellement créée ne fasse pas entrer de soleil direct. Des aménagements sur le toit (décalage de toiture pour faire de l'ombre sur les murs) et le remplacement ou le blanchiment des translucides sont également à envisager.

En matière d'alimentation, il faudra diminuer la cellulose, concentrer la ration en MAT et en énergie, mais avec des aliments non acidogènes (mais grain ou matière grasse) et tamponner le rumen, par des apports en sel supplémentaires pour être à 3,5 g de sodium / kg de MS, et des solutions tampon pour viser un ratio K/Na de 5. Il faut également majorer les apports de minéraux de 15 - 20%.

Investir : en dernier recours et après réflexion

Pour l'expert, les investissements « ne sont à envisager qu'en dernier recours ». Dans tous les cas, ils doivent être bien réfléchis, raisonnés, positionnés : par exemple, vérifier les rayons d'action des ventilateurs, veiller à ce qu'ils ne soient pas trop bruyants (attention aux carénages métalliques des anciens modèles !), les placer aux bons endroits ; ou encore, veiller à ce que la brumisation s'accompagne toujours de ventilation, la préserver du gel en hiver, etc.

Dans ces investissements, comme dans les aménagements des bâtiments actuels ou futurs, une chose est certaine : il ne faut pas sous-dimensionner les dispositifs de régulation des stress thermiques. Dans les années à venir, ils seront de plus en plus fréquents.