Charly Bideau, jeune viticulteur : « Mes vignes, ça vaut tout l'or du monde »

Installé depuis le 1er janvier dernier avec sa sœur, Charly Bideau, 23 ans, est à la tête d'un domaine viticole à la Haye-Fouassière, au cœur du Vignoble nantais. Il aborde son métier de vigneron avec réalisme, car il a vu ses parents travailler dur, mais aussi avec passion et une petite dose d'idéalisme.

« L'école et moi, ça ne collait pas trop. Après mon CAP en mécanique moto, comme je ne voulais pas continuer mes études, mon père m'a dit « tu viens travailler au domaine ». Ici, comme salarié, j'ai commencé tout en bas : j'ai fait la taille des vignes, j'ai nettoyé les cuves, j'ai conduit les tracteurs... ». Cinq ans après cette entrée « par la petite porte », Charly Bideau est devenu en janvier dernier, à 23 ans, chef d'exploitation du domaine Bid'Gi situé à La Haye-Fouassière en Pays nantais.

« J'ai beaucoup grandi »

Du jeune garçon qui ne se croyait pas fait pour les études, au viticulteur plein d'ambition, Charly Bideau a bien évolué : d'abord, en faisant ses armes comme salarié sous la houlette de ses parents, un poste où il prend progressivement des responsabilités sur le travail du sol, la taille et l'encadrement des saisonniers. Ensuite, en 2019, il a le déclic : pour progresser encore, il lui faut se former, repartir à « l'école ». Mais cette fois, c'est une formation adulte et c'est du concret : un BP REA viti-oeno, qu'il choisit de faire en Bourgogne.

Pendant 11 mois, il suit une formation intense, en viticulture et œnologie, mais aussi en gestion, commerce, droit... « J'ai beaucoup grandi ». Il apprend en cours, mais également chez son maître de stage, Stéphane Bridet, un vigneron bourguignon qu'il a rencontré... grâce au Hellfest, le festival de musique metal organisé chaque année à Clisson, en Loire-Atlantique ! « J'ai adoré la Bourgogne et j'ai même envisagé d'y rester pour travailler, parce qu'il y avait beaucoup d'opportunités là-bas. Mais j'ai fait le choix de revenir, j'avais envie de m'installer, j'ai pris conscience qu'ici, en Vignoble nantais, il y avait beaucoup de possibilités, beaucoup de choses à faire ».

"Une reprise, ça se construit, ça se réfléchit"

L'envie de s'installer de Charly est cependant soumise à une condition : que sa sœur Sarah, de 8 ans son aînée et qui travaille depuis longtemps chez un agent commercial et revendeur de vin, s'installe avec lui à la tête de ce vaste domaine (53 ha, 14 cuvées, 9 salariés). Pour elle aussi, c'est « le bon timing », mais un timing qui nécessite quand même réflexion avant de quitter son travail : « Une reprise, ça se construit, ça se réfléchit. Pendant un an, on s'est réunis régulièrement tous les deux pour bien définir le partage des responsabilités sur le domaine, notre vision de l'avenir et aussi des choses très concrètes comme notre moyenne horaire hebdomadaire, ou le nombre de semaines de vacances... », explique la jeune femme.

Décision est prise de confier la responsabilité de la production et des terres à Charly et toute la partie gestion, administrative, commerce, logistique à Sarah : « On se retrouve sur la vinification et la mise en bouteille, poursuit Sarah. Nous avons défini les sujets sur lesquels il y avait prise de décision par l'un avec avis consultatif de l'autre, et ceux sur lesquels il fallait une décision collégiale. Lorsque nous avons fait par la suite notre formation CREA (NDLR : le parcours à l'installation), nous avons suivi un module sur l'association. Nous nous sommes rendus compte que nous étions dans la bonne direction ».

« Un métier difficile, mais extraordinaire »

Après une année 2021 de réflexion et de construction du projet d'installation, 2022 est celle de la passation : Marie Béatrice et Daniel, les parents, vignerons depuis 40 ans, transmettent progressivement les rênes de l'exploitation à leurs enfants, Sarah et Charly. Tous les quatre travaillent ensemble sur le domaine. « Nos parents ne nous ont jamais mis la pression pour qu'on fasse ce métier. Mais dès qu'on a exprimé notre souhait de reprendre, ils ont été plus durs, plus rigoureux, ils nous ont demandé plus d'investissement. Ils nous ont prévenu que ce métier était difficile. Difficile, mais extraordinaire ».

"Un vigneron n'a que 40 essais dans une carrière : on ne fait que 40 millésimes"

Depuis le 1er janvier dernier, Marie Béatrice et Daniel sont officiellement en retraite, et Sarah et Charly, seuls conducteurs à bord. Responsable à 100%, Charly n'en a pas pour autant abandonné ses 1000 idées, ses rêves, et son goût pour les chemins de traverse. « J'ai pris conscience qu'un vigneron n'a que 40 essais dans une carrière : on ne fait que 40 millésimes. Ce n'est pas beaucoup, alors, il faut que je kiffe mes vins, comme je veux kiffer ma vie. Je ne veux pas faire des vins sans âme ».

Heureusement, le domaine transmis par les parents a de bonnes prédispositions pour cela : un clos de 23 ha d'un seul tenant, que Daniel a passé sa carrière à restructurer, des coteaux magnifiques, trois types de roches (orthogneiss, micaschiste, amphibolite) qui multiplient les possibilités de faire des vins au goût de terroir, un soin apporté aux sols depuis toujours (même quand partout ailleurs, les vignes étaient désherbées « propres »), deux cahiers des charges exigeants (Terra vitis sur 23 ha, AB sur 30 ha), sans oublier une « vision » de la vigne, non pas en opposition mais en alliance avec la nature.

Charly n'a pas oublié ses premières amours pour la mécanique : il bricole ainsi des vieux tracteurs. « Ils fonctionnent très bien pour le travail du sol et consomment très peu de carburant ». Photo Catherine Perrot

Tout pour la biodiversité

Charly partage cette vision, et veut même aller plus loin, en réduisant encore les traitements apportés aux vignes, y compris ceux de biocontrôle. Pour lui, la biodiversité, ce sont les micro comme les macroorganismes, sur le sol et sous le sol : « On est là pour l'entretenir ». Il participe à l'atlas de la biodiversité de sa commune et s’émerveille par exemple de retrouver sur ses parcelles « trois espèces de trèfles, des espèces peu communes de chauve-souris et des alouettes qui nichent à même le sol ».

Dans cette optique, le jeune vigneron vient de démarrer l’implantation de 300 mètres de haies bocagères, qui pourront héberger des auxiliaires de cultures. Cette plantation se fait dans le cadre d'un programme financé par Système U : le viticulteur ne paye que la prestation de conseil auprès de la chambre d’agriculture et fournit la main d’œuvre. Le projet comprend plusieurs centaines de mètres linéaires, d'une dizaine d'essences locales, en bordure, mais aussi en milieu de parcelles. En plus de leur rôle sur la biodiversité, ces haies auront des fonctions de réduction du ruissellement et de l'érosion, de stockage de carbone et de protection des riverains. Tant pis, ou tant mieux, s'il faut sacrifier quelques ceps de vignes, Charly et Sarah envisagent de toute façon de réduire les hectares en production, pour laisser une partie des terres se reposer.

« En plantant des haies bocagères, je veux faire comprendre que nous ne sommes pas des pollueurs, au contraire, nous sommes là pour entretenir la biodiversité ». Photo Catherine Perrot

La biodiversité est aussi présente au domaine dans les cépages : même si le melon de Bourgogne du muscadet domine ici et fait plusieurs vins très différents, on trouve aussi du pinot gris, du colombard, de la folle blanche, de l'abouriou et du pineau d'Aunis, récemment introduit par Charly car il en est « tombé amoureux ».

Enfin, quand on lui parle biodiversité, Charly évoque aussi la diversité humaine, au sein de son équipe de salariés et de saisonniers. Il aime avoir avec lui des gens de tous âges et de tous modes de vie : certains vivent en camion et il est attentif à leur fournir de bonnes conditions d'accueil. « C'est très enrichissant de côtoyer des gens aux parcours variés ». Ce volet humain est d'ailleurs un critère renforcé dans le label Terra vitis, qui intègre de forts engagements RSE dans son cahier des charges. Charly en sera l'un des porte-parole actifs, puisqu'il va bientôt devenir vice-président de Terra vitis Loire.