Portrait d'agriculteur : Bienvenue dans l’élevage nouvelle génération

Production d’énergies renouvelables, automatisation du travail, confort des animaux... Chez Sébastien Sachet, les petits veaux bénéficient d’un élevage à la pointe.

Des préjugés sur la production de veaux de boucherie ?

Une production énergivore, contraignante, industrielle ? Une visite chez Sébastien Sachet, qui a repris l'exploitation de son père en 2008, remet les pendules à l'heure. Direction Essé, au pays de la Roche aux fées. Dans la suite logique de l'essor de l'élevage laitier, la Bretagne est le premier producteur de veaux de boucherie. En 2015, quelque 600 exploitations y ont produit plus de 260 000 veaux. Celle de Sébastien comprend 20 ha et un bâtiment de 380 places créé en 1988, transformé par le jeune éleveur en outil dernier cri. Dès son installation, Sébastien s'est passionné pour les énergies renouvelables. Chaudière à bois en 2008, panneaux photovoltaïques en 2009, solaire thermique en 2014 : son élevage produit aujourd'hui 100 % de ce qu'il consomme. Un enjeu de taille en veaux de boucherie : deux fois par jour, chaque animal boit de 2 à 8 litres de lait, fait de poudre de lactosérum et d'eau chauffée à 75°C. « Le solaire thermique couvre 54 % des besoins en eau chaude, précise ce papa de deux garçons. Le reste est chauffé par la chaudière à bois. »

« Je reste maître de mon exploitation »

Comme 95 % de ses collègues, Sébastien travaille en intégration. Il réalise une prestation d'élevage pour l'industriel Van Drie. Ce groupe hollandais l u i fournit les animaux, les produits vétérinaires, l'alimentation et assure le suivi technique. L'éleveur ne possède « que » son bâtiment et apporte la main-d'œuvre, l'eau et l'électricité. Un système où l'agriculteur n'est pas libre de ses choix ? Pas pour Sébastien : « Personne ne m'interdit de faire quoi que ce soit, je reste maître de mon exploitation. » Ce qu'il apprécie : la transparence des contrats. « C'est le seul contrat où on sait combien l'entreprise vend la viande, on peut comparer d'un lot à l'autre. » L'intégrateur vend donc ses veaux en moyenne 5,3 €/kg à l'abattoir (qui fait partie du même groupe). Sébastien, lui, touche « une prestation moyenne de 100 à 125 € par veau », avec un prix planché. Une rémunération qui peut être complétée par une prime de résultat technique. Pour décrocher cette « carotte », il n'y a pas de secret : « Il faut être bon technicien. » Et donc surveiller la santé des petits veaux dès leur arrivée, quand ils sont âgés de 14 jours. « Les intégrateurs collectent des veaux de toutes les fermes laitières, explique cet éleveur passionné. Quand une bande arrive, ils viennent d'au moins 375 fermes différentes ! » Ils repartiront 165 jours plus tard, quand ils pèseront entre 130 et 140 kg.

Durant tout l'élevage, les petits veaux ne seront jamais sevrés. Mais Ils reçoivent de plus en plus de fibres : « des céréales nobles, du maïs concassé, des granulés de lupin et de la paille ». Devenue obligatoire, cette pratique permet de stimuler la rumination des veaux. « Les veaux profitent mieux, sont plus résistants et plus calmes, on gagne en confort pour les animaux et l'éleveur. » À condition de pouvoir, comme chez Sébastien, mécaniser la distribution. C'est dans ce but qu'il a ajouté un couloir de 2 m à son bâtiment en 2012. Quatre ans plus tard, les veaux ont bénéficié de caillebotis en plastique sur deux tiers de leur case.

Les contrats apportent visibilité et transparence.

Pour celui qui a été responsable de cette filière pour JA Bretagne, l'intégration offre aussi de la visibilité. « Un contrat couvre en général trois bandes de veaux, soit un an et demi. J'en ai signé quatre. Pour les jeunes qui s'installent, les entreprises signent quatre à six contrats d'un coup, pour qu'ils puissent aller voir les banques. » Car le renouvellement des générations est crucial pour cette filière, qui a perdu 40 % de ses éleveurs en 10 ans. « Un quart des producteurs ont plus de 50 ans », souligne le jeune éleveur. Soit pour la seule Bretagne 150 exploitations à reprendre. « La relation avec les intégrateurs s'est nettement améliorée ces dernières années, car ils sont à la recherche de jeunes... » Au niveau national, industriels et éleveurs sont justement en train de négocier le futur contrat type. Pour les futurs agriculteurs, veau de boucherie rime souvent avec astreinte quotidienne. Chez Sébastien, la préparation et la distribution de la buvée est entièrement automatisée depuis 2016. « Je peux suivre la distribution sur mon portable, précise-t-il. Je la déclenche quand j'arrive, puis j'observe les animaux pendant leur repas. » Un investissement lourd (autour de 90 000 €), mais qui améliore le confort de travail et fait gagner du temps. « Pour s'installer, il faut au moins 400 places par personne, soit 5 à 600 000 € pour un bâtiment équipé et mécanisé, estime Sébastien. Ce sont de gros investissements, mais il y a de la rentabilité. » ◆

« Il faudra 15 à 20 ans pour reconstruire nos sols »

 C'est un questionnement qui a provoqué, en 2010, le passage de Sébastien Sachet à l'agriculture de conservation. « Je n'entendais plus parler de records de rendement, affirme-t-il. Je me suis dit qu'il était temps de changer. » Qui plus est, ses 20 ha de céréales et d'oléagineux sont implantés sur des terres « profondes, plutôt bonnes, mais battantes ». Sébastien s'engage donc dans une démarche agronomique de longue haleine : réduction progressive du travail du sol, allongement des rotations, recherche sur les couverts végétaux pour « remplacer le métal par le végétal ». Une transition qu'il a construite avec d'autres agriculteurs membres du groupe Sol vivant du Geda 35. Pour arriver jusqu'au semis direct sous couvert, pratiqué pour ses céréales semées en automne 2016. « L'éleveur de veaux et de vers de terre » ne voit que des avantages à cette démarche : moins de carburant consommé, moins de temps passé dans le tracteur, plus de temps pour observer nos cultures et des charges réduites... Après sept ans d'agriculture de conservation, il commence à observer les premiers effets bénéfiques sur les sols : une dégradation plus rapide des pailles, un stock d'humus plus important et donc moins d'azote minéral à apporter. « En 2016, mes maïs ont peu souffert de la sécheresse, j'ai obtenu des rendements parmi les plus élevés du secteur. » Mais il faudra « 15 à 20 ans pour reconstruire nos sols », estime celui qui s'est pris de passion pour cette nouvelle manière de produire. « Je le fais pour moi, mais aussi pour ceux qui me suivront. Nous nous devons de leur laisser des sols fertiles. »

Article JA MAG n° 739 - Yannick GROULT