Fourrage : produire ses semences, un atout économique

Bien moins répandue que celle des céréales, la production de semences fourragères fermières offre des avantages économiques et agronomiques pour les éleveurs, ainsi qu’une meilleure adaptation aux terroirs locaux. Des initiatives comme le projet ClimatVeg encouragent son développement en fournissant des ressources et en facilitant l'échange d'expériences entre agriculteurs.

Si l’utilisation de semence fermière est courante en céréales, la situation est bien différente pour les productions fourragères. Très peu d’éleveurs produisent aujourd’hui leurs propres semences prairiales. Pourtant, la méthode existe et certaines exploitations y ont recours depuis longtemps. « Mes parents ont toujours fait leur semence, d’abord de blé, puis de prairie lorsque les surfaces ont augmenté », se souvient Guillaume Cousineau, à l’occasion d’un webinaire organisé par Vegepolys Valley le 29 novembre dernier dans le cadre du projet ClimatVeg. Éleveur en Vendée, il a perpétué les pratiques familiales, notamment dans un but économique. Sur les 111 hectares de prairies temporaires de l’exploitation, il en sème 30 ha chaque année, issus de sa production de semence réalisée sur 2 ha in situ. « J’ai la chance d’avoir une surface fourragère importante. De ce fait, les bandes dédiées à la production de graine n’entrent pas en concurrence avec la production de fourrage », précise-t-il.

Sur son exploitation, Guillaume Cousineau dédie des bandes fourragères à la production de semence. © Grapea

Ne pas se focaliser sur la génétique

Si la production de semences fermières fourragères ne bénéficie pas de la même dynamique que le blé, c’est surtout par manque de connaissance des matériels et des techniques à mettre en œuvre. En céréales, la finalité de la culture est de produire du grain. La marche supplémentaire pour faire de la semence est donc relativement simple à franchir.

"60 à 65 % des semences fourragères utilisées en France sont produites à l’étranger"

Pour Cyril Firmat, chercheur à l’Inrae, l’approche est différente dans le cas des fourrages pour lesquels le grain n’est pas un objectif cultural. Il explique que les projets de recherche sur la semence fermière sont axés sur la génétique depuis les années 2000. Or, pour développer la production de semence fermière fourragère, il insiste sur la nécessité de se concentrer sur les méthodes de production de semence en elle-même et non pas sur la génétique. « 60 à 65 % des semences fourragères utilisées en France sont produites à l’étranger, sans compter le coût de ces semences pour les fermes herbagères. Il y a un enjeu important sur l’autoproduction », souligne-t-il.

Des ressources disponibles grâce à ClimatVeg

Dans le cadre du projet de recherche ClimatVeg, plusieurs éleveurs membres des Civam des Pays de la Loire ont échangé sur leurs pratiques de production de semences prairiales paysannes durant trois ans. Les conclusions du projet ont permis au Civam d’élaborer des itinéraires techniques en libre accès pour épauler les producteurs.

Dans la Sarthe, Pierre-Marie Nouveau a profité de cette dynamique pour se lancer. Trois ans après ses premiers essais, la démarche est bien installée sur sa ferme. Il récolte 80 ares de prairie chaque année pour resemer l’année suivante. « Je récolte des prairies multi-espèces de ray-grass, trèfle, fétuque et fléole dans les prairies les plus belles et les plus propres », décrit-il. Une approche qui diffère de celle de Guillaume Cousin. Sur son exploitation vendéenne, ce dernier réalise des bandes de trèfle blanc/fétuque ou de trèfle violet/fétuque. Après un déprimage, la fétuque est récoltée à la moissonneuse-batteuse. Le trèfle est lui récolté en deuxième coupe en août, soit directement avec la machine pour le violet, soit fauché et andainé avant récolte pour le blanc. Les semences sont ensuite séchées sur une dalle en béton, avant de passer dans un trieur séparateur et d’être stockées en sac. Pierre-Marie Nouveau a lui opté pour une fauche trois jours avant la récolte. Le séchage se fait ensuite sur une bâche. Pour le tri, il a investi avec un collègue dans un petit trieur à grille. Les deux éleveurs insistent sur un point : la récolte doit se faire sous forte chaleur pour optimiser le séchage.

Pour le tri, Guillaume Cousineau a équipé son trieur d’un moteur pour ne pas l’actionner à la main. © Grapea

Un chantier pas si chronophage

Si le gain économique est certain en auto-production de semence fourragère, le temps nécessaire pour obtenir les graines peut poser question. Guillaume Cousineau estime le temps de travail à 12 h/ha. « Quand nous allons nettoyer les rumex, il faut compter une à quatre heures », calcule-t-il. L’éleveur vendéen y ajoute le temps de battage, de séchage et de triage. « Plus on en récolte et plus c’est rentable », souligne-t-il.

Pierre-Marie Nouveau, pour qui la pratique est nouvelle, ne relève pas de son côté une charge de travail trop importante. « Cela représente peu de temps de travail, car le système est très simple. Je compte une journée de triage quand j’ai le temps », chiffre-t-il.

Peut-on vendre ses semences fourragères fermières ?

Dans le cas d’une surproduction de semences fourragères, est-il possible d’en vendre à ses voisins ? « Non, indique-t-on chez Semae, il faut une autorisation à produire pour pouvoir rentrer dans une démarche commerciale des semences ». Cependant, un don ou un échange peut être fait dans le cadre de l’entraide agricole à condition que la variété soit libre de droit et qu'elle fasse partie des 34 espèces autorisées en production de semences fermières. Dans ce cadre, la fourniture de semences fourragères fermières à un voisin contre une prestation agricole par exemple est autorisée.