Portrait d'agriculteur : Maraîchage - la primeur du risque

Action, réaction et organisation. Tel est le leitmotiv de Frédéric Coibion qui cultive des légumes de plein champ dans les terres argileuses de Seine-Marne. Un an après son installation, il fait le point sur ses erreurs pour continuer à mieux valoriser sa production.

Schlack ! Décapitée par le gel, la tête blanche du poireau reste prisonnière du sol. Malgré tous ses efforts, Frédéric Coibion ne parvient pas à arracher ses légumes à la terre. La vague de froid annoncée par les médias a eu raison du jeune maraîcher et l'oblige à un repos forcé, lui qui d'habitude court à droite à gauche entre récolte, livraisons et prise de commandes. « Ça me fait presque une semaine de vacances, alors j'en profite pour faire une demande de subvention pour mon futur système d'irrigation. »

Frédéric Coibion, 23 ans, s'est installé il y a tout juste un an près de la ferme familiale à Faremoutiers, en Seine-et-Marne. Après un BTS Agronomie et productions végétales (APV), une licence pro en management des entreprises agricoles (MDEEA) et deux ans d'expérience comme chef de culture, il se lance dans la culture de légumes de plein champ. « Papa avait eu un AVC, il fallait donc que je revienne sur la ferme. Mais pour ça, il fallait se diversifier. » En juin 2016, il découvre sur le Répertoire départ installation (RDI) qu'une voisine souhaite louer 17 ha à un maraîcher et saute sur l'occasion. « Deux mois plus tard, on s'était mis d'accord », se souvient Frédéric, qui loue aussi 9 ha de terres à son père.

Reste à réunir les fonds pour démarrer son activité. Le jeune agriculteur investit 18 000 € d'économies dans du matériel d'occasion : une planteuse mini-mottes et un semoir à carottes sur buttes acheté aux Pays-Bas. « Les Hollandais sont très avancés en matériel pour légumes de plein champ (...) et ce sont des champions sur le marché de l'occasion. » Il lève 7 000 € sur la plateforme de financement participatif Miimosa pour acheter semences et plants et commence à semer dès son installation, quatre mois avant d'obtenir le feu vert des banques pour un prêt de 355 000 €. « C'était risqué, reconnaît le jeune maraîcher, alors dopé par la confiance de trouver des débouchés. Il n'y a que vers la fin de saison de semis que je me suis un peu dégonflé : je n'ai fait ni panais ni navet parce que je me suis dit : "Si jamais je n'ai pas les financements, je vais vraiment être mal..." »

Des légumes toute l'année « pour que les clients ne nous oublient pas ».

Frédéric pense sa production en termes de logique de calendrier et de mécanisation. Il cultive de quoi faire du pot-au-feu : pommes de terre, carottes, poireaux, oignons, céleri, courges, ainsi que des choux, des betteraves rouges et crapaudines. « C'est assez simple à produire. On utilise quasiment la même arracheuse et le même semoir pour tous les légumes et certains peuvent être stockés ensemble. »

Au départ, Frédéric voulait concentrer le gros de sa récolte de septembre à novembre, stocker le tout en chambre froide et écouler la production durant l'année. Sauf que la banque a refusé de financer son projet de grand bâtiment de stockage équipé d'une toiture photovoltaïque. « C'était un peu trop ambitieux pour le début », reconnaît Frédéric. Sans ce bâtiment, impossible de conserver les légumes toute l'année. Il a donc revu sa stratégie. « L'objectif maintenant, c'est de cultiver des légumes primeurs [récoltés courant juin, NDLR] pour proposer des pommes de terre, des carottes et des oignons toute l'année et que les clients ne nous oublient pas. »

Frédéric a aussi changé son fusil d'épaule en privilégiant la vente en circuits courts plutôt qu'aux industriels. « À Rungis, la pomme de terre vaut 60 €/t. Moi, je la vends quasiment 600 €/t. C'est le tarif que je me suis fixé pour les cinq ans à venir. » Il s'explique : « Le marché de la patate s'est complètement effondré ces derniers temps. (...) Mais mon prix correspond au tarif habituel : 60 ct d'€/kg, c'est ce que paie habituellement le  consommateur en grande surface. »

Toujours en quête d'acheteurs potentiels

Trois fois par semaine, il part en fourgon livrer ses clients en Seine-et-Marne et à Paris : des grossistes, des entreprises de restauration collective, des supermarchés, des traiteurs et des épiceries, pour la plupart. Son carnet d'adresses est déjà bien rempli. « C'est pour ça que je suis souvent au téléphone », lance Frédéric en rigolant, toujours en quête d'acheteurs potentiels. « Une de mes astuces, c'est de repérer les camions de traiteurs qui circulent. » Le jeune agriculteur s'en sort plutôt bien : il arrive à dégager un salaire complet pour son employé, malgré « trop d'erreurs lors de cette première campagne ». À commencer par le désherbage des cultures en plants tels le céleri, les choux et les poireaux. « J'ai eu peur de choquer mes cultures en mettant un désherbant trop proche de la [date de] plantation. (...) Je me suis fait déborder à ce moment là », dit Frédéric, qui regrette aussi d'avoir pris l'irrigation à la légère : « J'ai loué un enrouleur de trop petite dimension, il faut du bon matériel pour arroser 17 ha rapidement. »

JAMAG n° 747 / 2018  - Laurence Mainguy