Interdiction des emballages plastiques : un casse-tête pour les fruits et légumes

L’interdiction des emballages plastiques pour les fruits et légumes conditionnés en lots de moins de 1,5 kg, en théorie, c’est une bonne initiative. Mais comme personne ne vit « en théorie », sur le terrain l’application de cette mesure issue de la Loi Agec (Anti-gaspillage et économie circulaire) s’avère sacrément compliquée. Sur le plan technique, il est difficile de trouver des alternatives aussi performantes que le plastique. Sur le plan réglementaire, les allers-retours législatifs ne permettent pas aux entreprises de s’organiser.

Cela pourrait ressembler à un mauvais feuilleton, tant les péripéties et les retournements de situations sont nombreux. Mais c’est une pénible réalité que vivent les quelque 75 000 entreprises du secteur des fruits et légumes frais français à propos de l’application de la Loi Agec (Anti-gaspillage et économie circulaire) adoptée en février 2020.

Cette loi imposait, à partir du 1er janvier 2022, l’interdiction de la vente au détail de fruits et légumes frais dans des emballages plastiques, sauf lorsqu'ils sont conditionnés en lots de plus de 1,5 kg. Elle prévoyait des exemptions pour les « fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac ».

Premier décret de 2021 : abrogé

Un premier décret d’application de cette loi parait le 8 octobre 2021. Une quarantaine de fruits et légumes sont exemptés de l’interdiction, mais de manière temporaire : un calendrier de retrait de leurs emballages plastiques est proposé, jusqu’en 2026. Ce décret ne plait à personne : ni aux industriels du plastique (ce qui est logique), ni à la filière fruits et légumes, qui juge que les exemptions ne sont pas techniquement pertinentes et regrette qu’elles ne soient pas définitives, ni, non plus, aux associations environnementales, qui, elles, trouvent ces exemptions trop nombreuses.

Comparée à d’autres secteurs agro-alimentaires, la filière fruits et légumes est une « petite filière ». « On se demande si on n’a pas été choisis pour cela, pour servir de cobayes pour l’interdiction du plastique » estime Laurent Grandin, président d’Interfel (Crédit photo : Catherine Perrot)
Comparée à d’autres secteurs agro-alimentaires, la filière fruits et légumes est une « petite filière ». « On se demande si on n’a pas été choisis pour cela, pour servir de cobayes pour l’interdiction du plastique » estime Laurent Grandin, président d’Interfel (Crédit photo : Catherine Perrot)

Ce décret est contesté par plusieurs syndicats et associations professionnels, et le Conseil d’Etat leur donne raison en l’abrogeant le 9 décembre 2022. Le conseil d’Etat estime en effet que des interdictions « progressives » des emballages plastiques ne sont pas conformes à l’esprit de la loi Agec, qui, par ailleurs, fixe à 2040, la sortie totale du plastique jetable. Il juge également que la liste des exemptions (une quarantaine) est trop longue.

Deuxième décret : Bruxelles rentre en jeu

Le Gouvernement français prépare alors en urgence un nouveau décret avec une nouvelle liste, plus restrictive, de 24 exemptions au lieu de 40. Ces exemptions seraient définitives, du moins jusqu’en 2040. Mais c’est alors que Bruxelles rentre en jeu : la Commission européenne invite le Gouvernement français à reporter de 12 mois l’adoption de ce nouveau décret, car elle-même est porteuse d’une proposition de nouvelle réglementation relative aux emballages et aux déchets d'emballages.

Lorsque la réglementation européenne sera en vigueur (après adoption par le Parlement et le Conseil, cette procédure législative pouvant être très longue), les États membres ne seront pas en mesure de maintenir ou d’introduire des règles nationales sur les questions couvertes par les règles harmonisées.

La Loi Agec veut réduire, à juste titre, le gaspillage de plastique, mais en privant d’emballage réellement protecteur certains produits fragiles, elle pourrait entraîner davantage de gaspillage de denrées alimentaires
La Loi Agec veut réduire, à juste titre, le gaspillage de plastique, mais en privant d’emballage réellement protecteur certains produits fragiles, elle pourrait entraîner davantage de gaspillage de denrées alimentaires

Du côté des professionnels français de la filière des fruits et légumes, ce sursis de 12 mois est plutôt bien accueilli : depuis toujours, ils plaident pour une harmonisation des législations nationales sur ce sujet, pour éviter des distorsions de concurrence et pour pouvoir exporter chez les voisins (même si les imports sont plus importants, pour rappel, la France n’est autonome qu’à 50 % en fruits et légumes). « Nous avons pris l’engagement collectif de sortir du plastique, nous ferons le travail », affirme Laurent Grandin, le président d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes, « mais il faut à tout prix éviter les surenchères et les surtranspositions françaises. Quelle que soit la décision européenne, elle sera meilleure qu’une décision franco-française ».

 Troisième décret : va-t-il tenir ?

Mais un nouveau rebondissement de la saga intervient fin juin 2023 : la France refuse d’attendre l’Europe et sort quand même un nouveau décret, issu de la Loi Agec (pour éviter de se faire brocarder par les associations environnementales ?). Sorte d’intermédiaire entre les deux précédents, le nouveau décret comporte une exemption de l’interdiction du plastique pour 29 fruits et légumes, en plus des fruits mûrs à point et des graines germées.

Ces exemptions sont « définitives » (jusqu’en 2040) et elles semblent avoir tenu compte de certaines demandes de la Profession agricole, par exemple sur les carottes primeurs, les brocolis, les cerises… Autre victoire de la filière : les élastiques nécessaires au regroupement de plusieurs petits légumes sont autorisés. Par ailleurs, pour permettre l’écoulement des stocks d’emballages commandés durant la période « hors interdiction », le décret ne sera applicable qu’à compter du 1er janvier 2024.

Ce troisième décret ne devrait pas être contesté par les représentants de la filière fruits et légumes, d’autant moins que le plan de souveraineté qu’elle a co-construit avec le ministère de l’Agriculture est rentré en application, et qu’elle a obtenu un accompagnement technique de l’Ademe sur le sujet de l’emballage.

« Pour nous, c’est compliqué »

Sur le terrain, ces allers et retours réglementaires sont toutefois assez difficiles à vivre : « L’incertitude, c’est compliqué pour nous », confie Elorri Béhéty, responsable marketing & communication des Fermes Larrère, groupe de 12 fermes landaises qui produisent et commercialisent une dizaine de légumes, dont des carottes, asperges, choux, en bio et sous labels… « Chaque nouvel emballage c’est un engagement. Cela suppose des investissements importants, des commandes pour plusieurs mois de conditionnement, des adaptations de machines, des changements d’étiquetage ou de formats de commercialisation…».

Et encore, même si les fermes Larrère sont partantes pour le zéro plastique, dans la pratique, ce n’est pas facile de lui trouver des remplaçants au pied levé. Ils sont souvent plus onéreux, comme les barquettes en cartons, et ils ont aussi moins de « qualités ». Pour les carottes, par exemple : « La carotte, c’est un produit humide. Si on met les carottes dans des sachets en papier cellulosique, celui-ci se trouble. Si on les met dans un filet de cellulose, elles se dessèchent. On cherche, on fait des tests, on a des pistes fournies par le CTIFL ou par Carottes de France, mais pour l’instant, on ne trouve pas de solution optimale », reconnaît Elorri Béhéty.

L’industrie de l’emballage est l’un des principaux utilisateurs de matières vierges : en Europe, 40 % des plastiques sont destinés aux emballages. Les déchets d’emballage sont en constante augmentation. Une nouvelle réglementation européenne devrait voir le jour
L’industrie de l’emballage est l’un des principaux utilisateurs de matières vierges : en Europe, 40 % des plastiques sont destinés aux emballages. Les déchets d’emballage sont en constante augmentation. Une nouvelle réglementation européenne devrait voir le jour

Pour l’instant, faute de solution et dans le temps de la tolérance réglementaire, les Fermes Larrère sont revenues au plastique pour les carottes. « On attend des décisions définitives pour adapter notre outil ». Mais à terme, si aucune solution n’est trouvée, il faudra peut-être changer tous les conditionnements de 1 kg en 1,5 kg, puisque la Loi Agec ne s’applique qu’en dessous de 1,5 kg. « Mais nous risquons de ne plus satisfaire certains consommateurs ».

Lutte contre le gaspillage ?

L’absence de solution technique, c’est aussi ce que vivent certains maraîchers nantais qui commercialisent des « radis équeutés prêts à croquer ». Pour ces produits non exemptés, la seule solution compatible avec la Loi consistait en un sachet de papier kraft avec une fenêtre en hydrate de cellulose. Mais le bilan de la campagne test de 2022 s’est avéré catastrophique : « Le consommateur refuse d’acheter un produit qu’il ne voit pas. Le papier kraft absorbe toute l’humidité du radis, qui devient vite invendable ».

« Les fruits et les légumes ont une sensibilité et leurs qualités organoleptiques se dégradent dans le temps », poursuivent les Maraîchers nantais, « leur limite de commercialisation est estimée en heures, par exemple de l’ordre de 24 h pour les radis, petites carottes, endives, navets primeurs… ». Cette sensibilité de certains fruits et légumes souligne tout le paradoxe de la Loi Agec : elle veut réduire, à juste titre, le gaspillage de plastique ; mais en privant d’emballage réellement protecteur certains produits fragiles, elle pourrait entraîner davantage de gaspillage de denrées alimentaires.