[Interview] Ma ferme ressemble davantage à une forêt qu’à une ferme !

Rencontre avec un agroforestier un éleveur de vaches et de volailles du Cantal, Sylvain Caumon. On a voulu en savoir plus sur ce modèle, qui fait aussi partie des solutions pour un élevage durable.

Alors que le Pacte Haie est doté d’un budget de 8 millions d’euros en 2024* pour la seule région Auvergne-Rhône-Alpes, et que l’agroforesterie est un des thèmes abordés lors du Sommet de l’Élevage, Sylvain Caumon, a commencé à planter des arbres et des haies il y a 20 ans.

Pouvez-vous nous présenter votre exploitation ?

Je suis installé à Leynhac, dans le Cantal, depuis 2003. J’ai repris l’exploitation familiale, d’abord avec mon père, puis tout seul à partir de 2012. Nous avons 80 hectares. Mon père était passé en bio dès 1997. A l’époque, c’était une façon de ne pas dépendre de fournisseurs extérieurs peu traçables, notamment lors de la crise de la vache folle. Pour apporter aux 60 vaches de l’exploitation des minéraux et pour développer son autonomie, il a cherché des fournisseurs en bio (dont un basé à Rodez avec qui on travaille encore aujourd’hui). C’était important pour lui de diversifier l’activité de la ferme, pour avoir plus d’autonomie.
Aujourd’hui, avec ma femme et un apprenti, nous élevons 50 vaches pour vendre des veaux sous la mère en rosés bio, des volailles, des pommes (une dizaine de tonnes par an), en cueillette et en transformation (avec du cidre, du vinaigre, du jus), de la farine de châtaigne et de blé. Nous avons également une activité de gîtes et chambres d’hôtes, reprise par ma femme en 2017.

Quand avez-vous commencé à planter des arbres sur votre ferme ?

Quand j’ai repris la ferme, en 2003, j’ai planté un verger de pommiers sur un demi-hectare, d’abord parce que je suis passionné d’arbres. L’idée était d’avoir des essences les plus diversifiées possible. Ensuite, je me suis dit qu’il était dommage de tondre l’herbe de ce verger, et de ne pas en profiter pour faire autre chose. Donc j’ai commencé à acheter des poulets de chair et à les faire grandir dans cet espace. Au fur et à mesure, j’en ai eu de plus en plus. Aujourd’hui, j’en vends 700 par an.

Quels sont les intérêts de cette association volailles / pommiers ?

D’un côté, les arbres hébergent les volailles, leur amènent de l’ombre, de l’alimentation : tout un écosystème se développe autour des arbres, avec notamment des insectes que les poules mangent. De l’autre côté, la volaille nourrit le sol des arbres grâce à leurs déjections (il n’y a pas besoin d’engrais), tond la pelouse, et débarrasse les arbres des nuisibles.

Après ce verger de pommiers, avez-vous continué à planter des arbres ? Des haies ?

Depuis, j’ai planté d’autres vergers en pré-verger. Je sème et je greffe des variétés anciennes, sur des bordures de parcelles. Dans le pré-verger, il y a des arbres francs, assez gros, pour que les vaches puissent passer dessous. C’est le système traditionnel de Normandie, avec de gros pommiers dans les champs. C’est un système qui a été abandonné mais c’est le plus rentable pour la production de pommes car les arbres sont costauds, ils n’ont pas besoin de traitement, et vont puiser l’eau profondément.

J’ai aussi planté des haies en multi-espèces de feuillus. Depuis que j’ai commencé, il y a un millier de nouveaux plants d’arbres, ce qui représente 2000 mètres linéaires de haies et d’arbres supplémentaires. Il y a encore des grandes parcelles sur la ferme, mais je commence à les transformer en plus petites parcelles.

Savez-vous à quoi ressemblait votre ferme avant vous ?

On a quelques textes et quelques photos de la châtaigneraie. Je m’inspire de ces photos pour l’organisation générale de la ferme. Mon père n’avait pas arraché tous les arbres, donc il en restait quelques-uns.

Quels avantages les haies et les arbres apportent-ils vis-à-vis de la gestion de l’eau ?

Avec leurs racines, les arbres fixent les sols, les talus. Avec l’association Arbres et Paysages, nous avions d’ailleurs reçu des aides de l’agence de l’eau, pour aménager les pentes des bassins versants de rivières sensibles. Je suis toujours impressionné de l’inertie que représentent les arbres. Au lieu de partir au fossé, l’eau est captée par les racines. 1 mètre linéaire de haie retient 3 m3 d’eau ! Les arbres et haies permettent donc d’éloigner le spectre de la sécheresse, car ils restituent doucement l’eau stockée. Globalement, mon idée est de recréer un grand jardin : une ferme qui soit la plus logique possible dans la gestion de l’eau, sans irrigation massive. Et en plus des avantages vis à vis de l’eau, avec les haies et les arbres, on met nos animaux à l’ombre, on fait baisser la température du champ, on amène du feuillage, on augmente la qualité de l’humus...

En plus des pommes, que produisez-vous avec les arbres et les haies ?

En tout, sur la ferme, nous avons 18 hectares de bois de pente, qu’on exploite au treuil pour le chauffage. On utilise aussi les branches d’élagage pour le paillage des animaux depuis 20 ans.

Que diriez-vous à un éleveur qui hésite à se lancer dans l’agroforesterie ?

D’essayer ! Parce qu’on a tout à y gagner. J’ai conscience que ce n’est pas possible pour tout le monde. Moi, j’ai fait le choix de réduire le temps dédié aux animaux, pour pouvoir m’occuper de tout ça. C’est un choix stratégique sur le long terme. Pendant 20 ans, ça ne m’a rien apporté. Aujourd’hui, si on compte tous les apports des haies, c’est intéressant. Pour développer un système en autonomie et bio avancé, on ne peut pas se passer de l’arbre.

D’où vient votre passion pour les arbres ?

Il faudrait demander à mes aïeux ! Je les trouve beau, ils habillent le paysage, ils sont apaisants… L’arbre est une solution à une grosse partie de nos problèmes. C’est tellement enrichissant de travailler à leurs côtés. Ce n’est pas difficile d’en tomber amoureux, il suffit de les côtoyer.

* Cette année, le Pacte Haie est doté d’un budget de 8 millions d’euros pour la région Auvergne Rhône-Alpes, et propose d’aider les éleveurs en prenant en charge les fournitures (y compris les clôtures), ainsi que le temps passé à l’installation.

 

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