« Je ne reviendrai pas en arrière »

[Grandes cultures bio] Rentabilité financière et réflexion agronomique sur le long terme ont convaincu Laurent Dugué de passer son exploitation en agriculture biologique. L’opportunité pour le céréalier de revoir son système, tout en travaillant différemment.

Installé sur le Gaec familial en 1984, Laurent Dugué a repris seul les rênes de l’exploitation en 1992. A cet instant, il fait le choix d’arrêter l’atelier de vaches allaitantes. Les investissements à réaliser sont trop conséquents, alors que les cours de la viande sont au plus bas et que la pandémie de vache folle fait son apparition.

"« En système conventionnel, je perdais de l’argent une année sur trois. Dorénavant, ce n’est plus le cas "

Il s’agrandit en 2004 pour atteindre 200 ha et fait le choix de la conversion à la production biologique en 2016. « En système conventionnel, je perdais de l’argent une année sur trois. Dorénavant, ce n’est plus le cas », explique le céréalier de 57 ans.

L’agronomie avant tout

En aucun cas, il ne ferait marche arrière. « Oui les baisses de rendements sont considérables comparé au conventionnel, de l’ordre de 50 % », admet l’agriculteur installé à Chédigny.

"Désormais, mes charges de mécanisation sont plus faibles. Je ne pratique pas le labour automatique."

Mais deux considérations sont à mettre en face : le montant des charges et le niveau de valorisation de la production. « Désormais, mes charges de mécanisation sont plus faibles. Je ne pratique pas le labour automatique. Et si je suis amené à retourner le sol, je ne le fais que sur 10 cm pour ne pas dénaturer la structure et pour conserver un taux de matière organique en surface », développe-t-il.

Bien souvent, il n’intervient que trois fois dans sa parcelle de céréales d’hiver : au semis pour un passage de fertilisation organique, puis à la moisson. Les frais de mécanisation sont donc limités.

Inexorablement, ses charges d’intrants ont, elles aussi, significativement diminué. L’absence d’engrais minéraux et de produits phytosanitaires y contribue fortement. Côté recettes, les montants perçus des cultures de vente sont au minimum deux fois supérieurs à ceux du conventionnel.

A ces pratiques agronomiques de bon sens pour le paysan, s’ajoute la mise en place d’autres leviers comme le décalage de la date de semis. « C’est un risque à prendre en effet, reconnait le céréalier. Il m’est arrivé parfois de ne plus pouvoir rentrer dans certaines parcelles hydromorphes quand nous avons un automne humide. » En revanche, en étalant ses semis de blé entre le 20 octobre et la mi-décembre, l’agriculteur limite considérablement le salissement de ses cultures. « C’est un levier indispensable en bio », prévient-il.

L’importance de l’assolement et du taux de matière organique

Aussi, depuis 2016, Laurent Dugué a considérablement allongé ses rotations. Désormais il cultive de la luzerne, du seigle, de l’épeautre, du blé, du triticale, du sorgho et du maïs. Afin de valoriser ses luzernes laissées en place deux à trois ans, le céréalier a conclu un partenariat avec deux éleveurs locaux. Ces derniers l’utilisent en foin, dans le cadre d’un échange de fumier. Enfin, depuis sa conversion, Laurent Dugué prête une grande importance à la qualité de ses sols, notamment au tassement.

"« Dorénavant, j’obtiens des rendements corrects, de l’ordre de 30 q/ha, mais également des taux de protéine intéressants »"

Toujours dans le but de conserver un maximum de matière organique, aucune paille n’est exportée. Il apporte également régulièrement des bouchons. Cet amendement des sols depuis plusieurs années en matière organique porte ses fruits. « Dorénavant, j’obtiens des rendements corrects, de l’ordre de 30 q/ha, mais également des taux de protéine intéressants », se réjouit l’agriculteur.

"J’ai intégré le sorgho à ma rotation récemment, mais j’ai supprimé le sarrasin et le soja. Dans mon système d’exploitation, les résultats économiques de ces deux cultures sont trop aléatoires"

Les rendements de plus en plus aléatoires des cultures de printemps de ces dernières années ont poussé le céréalier à changer son fusil d’épaule. « J’ai intégré le sorgho à ma rotation récemment, mais j’ai supprimé le sarrasin et le soja. Dans mon système d’exploitation, les résultats économiques de ces deux cultures sont trop aléatoires », regrette-t-il. Tout comme le colza, culture pour laquelle la réussite de la levée devient de plus en plus incertaine et les ravageurs difficiles à éliminer sans chimie.

Céréales bio : un marché plutôt stable

« Nous n’avons pas des variations de prix très élevées », indique Laurent Dugué. La folie des cours de 2022 n’a pas impacté plus que ça le segment du bio. « De l’ordre de 30 à 40 euros supplémentaires de la tonne seulement », rapporte le céréalier bio à Chédigny. Les tonnes de blé tendre a franchi les 550 euros.

Le désintérêt des consommateurs pour les produits biologiques devrait entrainer une baisse des prix payés aux producteurs, « mais toute relative, de l’ordre de 40 euros également », prédit l’agriculteur.

"« Je sème parfois mes cultures en mélange. C’est la coopérative qui s’occupe de trier ensuite. »"

L’aspect logistique plaît également au producteur qui expédie l’intégralité de sa production depuis la ferme. « Quand les volumes sont importants, la coopérative m’envoie un semi-remorque. En cas de lots plus petits, c’est parfois des camions multi-bennes. Cela leur permet de passer dans deux fermes différentes pour charger deux espèces distinctes », détaille Laurent Dugué. Tout comme le tri : « Je sème parfois mes cultures en mélange. C’est la coopérative qui s’occupe de trier ensuite. »