L'écluse de Müden : quand un accident fluvial fait chavirer le marché du colza

[Edito] Qui aurait cru qu’un simple grain de sable dans l’engrenage du transport fluvial suffirait pour affoler les prix du colza pendant plus de dix jours ? C’est pourtant ce qu’il s’est passé ce mois-ci après l'accident survenu sur l'écluse de Müden, en Allemagne.

Dimanche 8 décembre 2024, 74 gros bateaux se sont retrouvés bloqués sur la Moselle, l’une des voies fluviales les plus fréquentées d’Europe. Du jamais vu. Un cargo chargé de 1500 tonnes de ferraille a percuté de plein fouet les portes de l’écluse de Müden, située dans le land de Rhénanie-Palatinat, en Allemagne. L’impact a été si violent que les deux vantaux du portail ont été entièrement arrachés de leurs ancrages. Pendant une semaine, il était impossible de naviguer. Les autorités estiment que les réparations coûteront plusieurs centaines de millions d’euros et devraient se prolonger jusqu’à fin mars 2025. Pour l'instant, il est encore difficile d'évaluer les conséquences économiques de cette énorme baisse d’activité dans les ports.

Mais cet incident met surtout en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement et l’interconnexion des marchés agricoles. 

L’écluse de Müden est un point de rencontre très important entre la France, l'Allemagne et le Luxembourg. Elle voit défiler 7000 bateaux chaque année et gère plus de 8 millions de tonnes de fret, représentant des centaines de millions d’euros. 

Comment cet incident a provoqué des fluctuations importantes des prix du colza ?

Faute d’approvisionnement, le marché s’est emballé. Les ports français de Belleville, Frouard et Metz ont été affectés par l’arrêt des livraisons en graines de colza. Rappelons que le nouveau port de Metz est le premier port fluvial céréalier français. Les conséquences ont été immédiates : les cours ont bondi, atteignant 555,50 €/t. Un record inégalé depuis deux ans ! Cette volatilité s’est traduite par des fluctuations importantes avec des amplitudes quotidiennes allant jusqu’à 15 € par jour.

Une écluse temporaire en acier a été mise en place, permettant aux bateaux de circuler à nouveau sur la Moselle dès le lundi 16 décembre. Mais pour passer, c’est désormais la croix et la bannière. Une péniche de 70 mètres qui mettait environ 30 minutes auparavant doit maintenant attendre deux heures. La nouvelle d’une reprise progressive du trafic a fait chuter les cours. Le colza s’affichait à 440 €/t, le 17 décembre.

Haro sur le colza

La reprise est lente et laborieuse, les opérateurs travaillent au ralenti. Or, à cette période, les flux entre la France et l’Allemagne s’accélèrent jusqu’au mois de mars. La demande de grain pour la transformation en huile de colza augmente en hiver car elle ne gèle pas et est mieux adaptée aux biocarburants durant les mois froids. Pourtant, alors qu’on aurait pu penser que les prix baisseraient avec la reprise du trafic, ils ont encore grimpé ces derniers jours. Jeudi 19 décembre, le colza a clôturé à 524,50 €/t sur Euronext. Va-t-il bientôt se stabiliser ?

Cet or jaune est très prisé pour sa transformation en biocarburant et pour la trituration. La demande continuera à croître dans les prochaines années. Malheureusement, la production européenne reste faible et peine à satisfaire la demande. En 2024, la récolte de colza n’a atteint que 17,2 millions de tonnes, la plus faible depuis 2020. Les pays européens doivent donc importer auprès de l’Ukraine, de l’Australie et du Canada. Cependant, ce dernier augmente fortement ses capacités de trituration locale chaque année ; à terme, il pourrait y avoir moins de volumes disponibles à l’exportation sur le marché.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase (d’huile)

Reste que la casse de l'écluse de Müden pose question. Comment un tel accident est-il possible s'agissant d'un des carrefours stratégiques du commerce mondial ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas de solution de repli efficace et rapide ? Nous avons encore tous en mémoire l’Ever-Given qui a chaviré en 2021 dans le canal de Suez et dont les conséquences ont causé des réactions en chaîne. L’évidence voudrait aussi que les infrastructures de transport soient davantage robustes pour maintenir l’approvisionnement des matières premières et assurer la stabilisation des prix sur un marché fragile. 

L'écluse de Müden qui rompt et c’est aussitôt l’ “effet papillon” qui se met en branle : un fragile battement d’ailes peut déclencher une série de réactions en chaîne capables de provoquer un ouragan à l’autre bout du monde. L'incident  a affecté non seulement le transport fluvial, mais aussi l'approvisionnement des usines de trituration et les flux commerciaux entre la France, l'Allemagne et le Luxembourg. 

Cet incident a jeté inutilement de l'huile sur le feu d'un marché déjà volatil.