Le blocage du canal de Suez ravive le débat autour du transport maritime du bétail

L'Ever Given, un porte-conteneurs de plus de 220.000 tonnes et de 400 mètres de long coincé pendant près d’une semaine en travers du canal de Suez, a remis en lumière le transport de bétail par bateau. Celui-ci concerne chaque année des millions d'animaux, exportés dans des conditions dénoncées comme indignes par les ONG.

Si le trafic a désormais repris dans le canal de Suez, cette voie stratégique qui voit passer environ 10% du commerce maritime international, l'inquiétude est grande pour les quelque 130.000 moutons dont le séjour à bord des onze cargos partis de Roumanie a été considérablement rallongé.

"Chaque heure compte pour les moutons et le taux de mortalité ne va faire que grimper. Les onze (bateaux) roumains ont un gros retard et on est certain que la nourriture (du bétail) est épuisée", s'est ému Gabi Paun, directeur pour l'Europe de l'ONG Animals International. Selon la présidente de la principale association roumaine d'éleveurs et d'exportateurs de bétail (Acebop), Mary Pana, la Roumanie a exporté depuis février par voie maritime 50.000 moutons par semaine, notamment vers l'Arabie Saoudite et la Jordanie, à l'approche du Ramadan.

2,8 millions d'animaux exportés vivants

Ce n'est pas la première fois cette année que des cargaisons entières d'animaux sont mises en péril entre l'Europe et les pays de la partie orientale de la Méditerranée. La semaine dernière, les autorités espagnoles ont ordonné l'abattage de quelque 1.600 bovins, embarqués sur le cargo Elbeik depuis l'Espagne vers la Turquie. Les autorités turques avaient refusé le débarquement du cheptel, craignant une épidémie de fièvre catarrhale à bord. Les bêtes ont donc été euthanasiées après avoir erré en Méditerranée pendant pas moins de trois mois. Une issue qui fait écho à celle qu'ont connue le mois précédent quelque 800 bêtes refoulées de Turquie vers l'Espagne à bord du bateau Karim Allah. Sans compter le tragique naufrage d'un cargo en mer Noire en novembre 2019, peu après son départ du port de Midia (sud-est de la Roumanie). Sur les 14.600 moutons à bord, seuls 180 avaient pu être sauvés.

Plus de 2,8 millions de bovins, ovins et caprins ont été exportés vivants par la mer depuis des pays-membres de l'UE vers des pays du pourtour méditerranéen en 2018. Un chiffre qui comprend plus de 625.000 bovins et 2,2 millions de moutons et chèvres (dont 56% en provenance de Roumanie) expédiés vers des pays comme la Turquie, la Syrie, la Jordanie, l'Égypte, ou la Libye, selon un rapport de la Commission européenne d'avril 2020. Il y est fait état de lacunes dans la supervision par les Etats-membres (Roumanie, France, Espagne...) qui voient embarquer ces animaux dans leurs ports.  

Depuis des années, l'ONG CIWF (Compassion in World Farming) dénonce, avec d'autres organisations, des infractions à une règlementation qu'elle juge par ailleurs insuffisante. Parmi les principaux problèmes observés dans le transport maritime, "la qualité de construction, de conception et d'entretien des navires", indique à l'AFP Agathe Gignoux, responsable du plaidoyer pour CIWF France. Elle cite pêle-mêle "des inclinaisons de rampes très pentues, des hauteurs de pont très basses, des hauteurs de stalles trop basses", qui compliquent l'apport de nourriture, d'eau, et plus généralement, des navires vétustes, qui ont été réaménagés, "mais n'ont pas été construits pour le transport d'animaux".

Dans son rapport, la Commission européenne souligne que, pour la plupart, les cargos utilisés pour le transport de bétail sont d'anciens navires qui transportaient des voitures. Plus grave, selon Mme Gignoux, "il n'y a pas de suivi vétérinaire à bord", lors de ces trajets qui peuvent durer "entre 5 et 8 jours en moyenne". La Commission européenne note que ces trajets durent parfois plusieurs semaines.    

Une question de prix

Si autant d'animaux sont expédiés vivants dans des enclos surpeuplés et mal ventilés pour nourrir les populations du Proche et du Moyen-Orient, et non des carcasses, ce n'est pas pour éviter des problèmes de conservation ou d'abattage rituel, affirme CIWF France. "Honnêtement, la vraie raison est simple, ça coûte plus cher de procéder à un abattage en Europe", tranche Mme Gignoux.

En juin dernier, le Parlement européen s'est inquiété des "allégations de violation de l'application du droit de l'Union" dans le transport des animaux vivants et acté la création d'une commission d'enquête sur le sujet, pour une durée d'un an.