L’élevage bovin piqué à vif par l’appel à la décroissance de la Cour des comptes

Le ministre de l’Agriculture a réagi à la publication d’un rapport de la Cour des comptes, laquelle demande au ministère d’adopter une stratégie de réduction du cheptel bovin conforme aux objectifs climatiques de la France et d’aider les éleveurs les plus en difficulté à se reconvertir, expliquant que « la souveraineté alimentaire n’est pas menacée ». Décryptage.

« Le discours sur la décroissance forcée, portée comme politique publique, est curieux pour ne pas dire hors des réalités, quand on sait que la France n’est autosuffisante pour aucune filière animale. Serait-ce à dire que certains assumeraient de voir renforcer nos importations, baisser notre souveraineté alimentaire au profit de formes d’agriculture que nous ne voulons pas ? Serait-ce à dire que nous laisserions à d’autres le soin de nous nourrir ? Et à ne pas assumer, de manière hypocrite que le carbone émis pour nous nourrir soit comptabilisé dans nos émissions ? ». Telle est la réaction du ministre de l’Agriculture, sur Twitter, à la publication le 22 mai, par la Cour des comptes, d’un rapport consacré aux soutiens publics accordés aux éleveurs de bovins, lequel a créé un émoi certain au sein de la profession.

Problème n°1 : un modèle déficitaire, malgré les aides

Le rapport dresse l’inventaire des aides publiques accordées à l’élevage bovin : elles s’élèvent, pour l’année 2019, à 4,3 milliards d’euros, ce qui en fait « l’activité agricole la plus aidée », hors dépenses fiscales et sociales, et sans compter les aides « substantielles » au développement, à l’investissement et aux filières. Le rapport cite notamment les 840 millions d’euros des PCAE sur la période 2015-2020. Le problème ? Depuis 2015, « la situation des élevages bovins allaitant s’est nettement aggravée, avec des taux de subvention atteignant près de 120 % de l’EBE (Excédent brut d’exploitation) et plus de 250 % du RCAI (Résultat courant avant impôts) en 2020. Un taux de dépendance aux aides supérieur à 100 % signifie que le modèle économique des exploitations est structurellement déficitaire malgré les aides », croit bon de rappeler la juridiction. A titre comparatif, les élevages bovins laitiers s’inscrivent de leur côté dans la moyenne nationale, avec un taux de subvention de 43 % de l’EBE (moyenne nationale à 44%) et 87 % du RCAI (moyenne nationale à 81%). « Le RICA ne prenant en compte que les exploitations présentant une production brute standard (PBS) supérieure à 25 000 €, il est probable que ce taux de dépendance soit encore plus important pour les micro-exploitations, fortement représentées en élevage bovin allaitant avec 32% des exploitations », enfonce la Cour des comptes.

Une solution battue en brèche par le ministère de l’Agriculture

La solution ? « Mieux accompagner les éleveurs les plus en difficulté en développant un dispositif d’aides à la reconversion sur la base de cahiers des charges publics et précis, définis en cohérence avec les objectifs économiques, environnementaux et sociétaux affichés ». C’est la première des deux recommandations de la Cour des comptes. « Il n'est pas souhaitable de mettre en place à court ni moyen terme un dispositif d'aide à la reconversion de ces élevages », a répondu la Direction générale de la performance économique (DGPE), le bras financier du ministère de l’Agriculture, évoquant les services environnementaux et sociétaux, ainsi que les différents dispositifs d’aide tels que l’AREA (Aide à la relance des exploitations agricoles), la AITA (Aide à l'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture) ou encore les dispositifs d’aide à la réinsertion.

Problème n°2 : un bilan climatique défavorable

Le second coin enfoncé par la Cour des comptes porte justement sur les impacts climatiques de l’élevage, à l’heure où la France est sommée d’accélérer sa décarbonation pour respecter ses engagements à l’horizon 2030. Au vu du rapport de la Cour des comptes, l’élevage bovin est une cible toute désignée. « Malgré certains effets de réduction des émissions, le solde carbone de l’élevage bovin est largement émetteur », cingle le rapport. Et de citer l’ « abondante littérature scientifique », dont le Citepa, qui souligne que l’élevage bovin est responsable 81,6% des émissions de l’élevage et de 11,8% des émissions totales de GES de la France (2018), dont 59% dus au méthane (CH4) de la fermentation entérique, le stockage des prairies en effaçant entre 15% et 20% tandis que les recherches en génétique et en nutrition animale augurent d’une baisse comprise entre 10 et 20% du méthane entérique.

La solution : « Définir et rendre publique une stratégie de réduction du cheptel bovin cohérente avec les objectifs climatiques du « Global Methane Pledge » signé par la France, en tenant compte des objectifs de santé publique, de souveraineté alimentaire et d’aménagement du territoire ». C’est la seconde recommandation du rapport.

La Cour des compte adresse malgré tout quelques bons points au ministère, s’agissant de l’inflexion des aides couplées dans le PSN ou encore de la promotion des races mixtes, en attendant l’effet d’Egalim sur les revenus et la structuration de la filière allaitante, « moins avancée que la filière laitière ». « Il importe également de renforcer la collaboration entre la filière laitière et la filière allaitante, encore peu développée ».

La Cour des comptes mentionne les Chambres d’Agriculture France, qui font savoir qu’il est « possible de développer l’engraissement en amplifiant les synergies entre systèmes de cultures et élevages », invitant à « engraisser des broutards du Massif Central en zones de grandes cultures ».

Le GIEC à la rescousse du méthane entérique

Sur la question climatique, dans sa réponse, la DGPE en appelle au GIEC, dont le résumé du rapport de synthèse du 6ème, publié le 20 mars dernier, indique que « certaines émissions agricoles sont difficiles à réduire et que les émissions de méthane des énergies fossiles et des déchets ont un potentiel important et un coût d'abattement faible ». En outre, « le règlement européen sur les émissions de méthane dans le secteur de l'énergie en cours de discussion et qui a fait l'objet d'une orientation générale en décembre 2022 exclut l'agriculture, pour les mêmes raisons », relève la DGPE. Celle-ci souligne par ailleurs le caractère « collectif » et non « individuels » des engagements du Global Methane Pledge.

Et la souveraineté alimentaire ?

Le ministère de l’Agriculture ne s’exonère pas des efforts de décarbonation assignés à l’agriculture en général et à l’élevage en particulier, soulignant être « pleinement engagé pour que l’agriculture participe à cet effort collectif ». Selon le ministère, l’atteinte des objectifs ne pourra s’affranchir d’une évolution des régimes alimentaires, sans quoi « une réduction de l'élevage n'apporterait aucun bénéfice net pour le climat, car les émissions seraient déplacées, le déficit de production locale étant remplacé par des importations ».

Sur ce point, le rapport de la Cour estime qu’avec un solde exportateur positif de 3,3 milliards d’euros en lait et de 1,1 milliard d’euros en viande (2021), la souveraineté alimentaire française n’est pas « menacée » pour ce qui concerne la filière bovine. Encore que. S'agissant de la viande, le bénéfice commercial est dû intégralement à l’export d’animaux vifs, la France important 20% de sa consommation domestique, générant un déficit commercial de 283 millions d’euros en 2020.