La filière caprine laitière française, une réussite à part

L’élevage laitier caprin français n’a pas d’équivalent au Monde : productivité, qualité sanitaire, diversité des produits, complémentarité entre productions fermière et industrielle, notoriété garante d’une forte valeur ajoutée : autant d’atouts qui assurent à ses producteurs et transformateurs une place à part dans le paysage laitier, tant mondial que français, malgré des volumes restreints (équivalent à 3 % de la filière lait de vache).

La chèvre française, un ruminant « rustique » devenu modèle de performance

Originellement, comme tous les ruminants, la chèvre est élevée à la fois pour son lait et sa viande. Mais si cet animal reste une figure familière des élevages traditionnels dans de nombreux pays, dans aucun d’eux la valorisation de la production laitière n’a été poussée aussi loin qu’en France. Animal resté rustique dans les régions au climat sec et au sol peu fertile, emblématique d’une agriculture de subsistance pour laquelle il représente avant tout un capital de viande sur pied, auto-consommable pour l’éleveur, il n’a fait l’objet d’une sélection génétique que depuis quelques décennies dans les pays développés.

On peut ajouter que même dans les autres pays qui disposent d’une tradition laitière caprine, le rendement ramené à l’effectif caprin total est très faible, de l’ordre de 50 à 150 litres par an : il s’agit en fait d’une moyenne théorique qui englobe des élevages à dominante laitière et des élevages à dominante viande. L’Espagne ellemême, pourtant exportatrice de lait de chèvre, produit moins de 200 litres par animal et par an. Seuls trois pays au monde présentent un ratio de litrage/effectif total supérieur à 500 litres : les Pays-Bas et le Luxembourg, autour de 640 litres, suivis de la France, avec 520 litres. Loin derrière, on trouve l’Ukraine avec moins de 380 litres et ensuite seuls huit pays au monde présentent un ratio litrage/effectif supérieur à 200 litres.

Bien entendu, dans la réalité, plusieurs pays ont développé des filières caprines laitières, mais qui restent cantonnées à un nombre limité d’élevages spécialisés, sans rapport avec les élevages traditionnels. Ce sont le plus souvent des pays développés, pratiquement tous situés en Europe avec quelques exceptions comme les États-Unis, Israël ou la Nouvelle-Zélande. Il n’est pas interdit de supposer que dans ces pays puisse se développer dans les décennies à venir une filière caprine laitière plus puissante, car ils disposent d’ores et déjà de la maîtrise technique. Mais ceci se fera à la double condition que cela réponde à un marché qui se développe, et qu’il y ait suffisamment de candidats à l’établissement de fermes spécialisées à créer ex nihilo. L’élevage caprin français ne se différencie toutefois, pas uniquement par la productivité laitière. Il apparaît aussi comme la seule filière au monde à avoir su si bien valoriser le lait caprin. C’est pourquoi on a affaire ici à une filière d’exception dans le sens où elle offre une gamme importante en quantité et extrêmement large en variétés de produits bien valorisés et présentant de fortes identités.

L’élevage caprin français : deux modèles différents mais très complémentaires

Le développement exemplaire de la filière caprine française n’aurait sans doute pas rencontré un tel succès s’il ne s’était pas appuyé à la fois sur le perfectionnement technique et sanitaire de l’élevage fermier et sur la montée en puissance de produits de marque portés par plusieurs industriels. Aujourd’hui, les six mille élevages caprins français se répartissent à parts quasiégales entre fermiers et livreurs. S’ils partagent la même exigence en matière de conduite d’élevage, les deux modèles sont en réalité très différents, puisque les livreurs vont réserver leurs efforts à l’amélioration de la productivité laitière et à la maîtrise de leur coût de revient, tandis que les éleveurs fermiers doivent y joindre un travail permanent sur la confection de leurs produits, et bien entendu une démarche commerciale personnalisée.

La dynamique de ces deux populations n’est pas la même, puisque le nombre d’éleveurs fermiers reste stable et leur dissémination géographique assez grande pour correspondre à des zones de chalandise en circuit court qui soient calibrées à leur production.

À l’inverse, le nombre de producteurs livreurs tend à se réduire, ce qui oblige les industriels, qui sont leurs clients, à préparer et organiser les agrandissements de cheptel qui permettront d’assurer la stabilité des volumes. Il faut avoir à l’esprit que la performance des élevages caprins français est possible grâce à une très forte technicité, car le moindre relâchement dans la gestion des troupeaux, notamment sur le plan sanitaire, a très vite de fortes incidences sur la productivité laitière de la chèvre, très sensible aux attaques de parasites.

Le développement des élevages livreurs de lait est indissociable de celui des industriels du fromage caprin. Aujourd’hui, ceux-ci transforment 630 millions de litres, soit 510 millions collectés – 80 à 85 % de la production domestique – auxquels il faut ajouter 120 millions de litres importés sous forme liquide ou surgelée d’Espagne et des Pays-Bas. Le volume de lait transformé par les cinq premiers acteurs de cette industrie dépasse 500 millions de litres : il s’agit des coopératives Eurial et Terra Lacta, et de trois industriels privés : Lactalis, Savencia et Triballat-Rians. Ces gros acteurs ne sont pas seulement présents dans les produits de marques : certains d’entre eux occupent une place importante dans les produits d’Appellation, au point parfois d’en être la locomotive, comme Eurial pour le Sainte-Maure-de-Touraine ou Lactalis pour le Rocamadour.

Lire la suite de l’article