La filière chevreau en quête impérative de structuration

Le défaut de rentabilité conjugué à la baisse de consommation de viande caprine place les éleveurs de chèvre dans une impasse. Une mission du CGAAER invite les acteurs à co-construire les bases d’une filière pérenne et socialement acceptable.

« Une filière à faible valeur avec des petits chevreaux légers essentiellement destinés à l’export en carcasse, qui fonctionne de manière oligopolistique autour de trois abattoirs, une répartition de la valeur au détriment des éleveurs-naisseurs et surtout des engraisseurs et un risque bien-être animal très marqué » : tel est le constat sans appel dressé par le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER). Début 2021, celui-ci a été mandaté par le ministère de l’Agriculture pour tenter de dénouer la fragilité structurelle de l’élevage caprin et qui se résume en un chiffre : en France, plus de 90% du cheptel est dédié à la production de lait, ce qui crée une situation d’engorgement de chevreaux mal valorisés, sous l’effet d’une consommation domestique en baisse et d’une concurrence intra-européenne à l’export.

L’adoption contre l’euthanasie des chevreaux

La situation a atteint son paroxysme au printemps 2020, avec la crise du covid, qui a fortement impacté les débouchés commerciaux, en France et à l’export, au moment même où l’offre était des plus abondantes. La saisonnalité de la production, avec des pics au printemps et en fin d’année, est en effet un autre écueil pour la filière. Résultat : les chevreaux qui n’étaient déjà pas payés très chers (1 à 2 euros le chevreau en 2020) n’ont plus été ramassés par les engraisseurs, les abatteurs croulant sous les stocks de viande congelée.

L’État a mis la main à la poche avec deux enveloppes successives de 600.000 euros, sans pour autant empêcher la pratique d’euthanasies, pourtant contraires à l’article R214-78 du Code rural, la mise à mort d’animaux pour raisons économiques à la ferme par l’éleveur étant interdite. Cependant, la demande d’euthanasie peut être motivée par des raisons non médicales. Charge au vétérinaire de déterminer celles-ci, « à l’aune de son code de déontologie et de sa conscience ». Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, qui ne s’en satisfait pas, a appelé à créer et à promouvoir des circuits de valorisation des animaux d’élevage considérés comme des non-valeurs économiques pour lesquels la mise à mort ou l’euthanasie sont actuellement la seule issue. Les mouvements d’adoption de chevreau déclenchés par la crise du covid ont fait aussi office d’alerte pour la filière.

Les recommandations du CGAAER

La situation, aux plans économique et éthique, n’étant pas tenable dans la durée, la mission du CGAAER formule plusieurs recommandations dont une à l’adresse des abatteurs, dont elle attend une cartographie précise des capacités de prestation de service d’abattage et de découpe de chevreaux lourds.

L’interprofession (Interbev section caprins) est appelée à explorer les potentialités de développement des marchés de la viande de chevreau en France et à l’export. Elle est également invitée à mettre en place des indicateurs de coûts de production, en intégrant une présidence tournante (naisseurs, engraisseurs et abatteurs) et en créant un « comité de liaison » entre les interprofessions caprines lait et viande.

Au passage, le CGAAER recommande à l’interprofession caprine laitière de mettre en place un financement pérenne du plan de développement de la filière viande caprine. Un accord interprofessionnel est par ailleurs souhaité sur la mise en place de la charte de bonnes pratiques de production du chevreau chez les éleveurs naisseurs, en échange d’une contractualisation portant sur la garantie de collecte et sur une référence aux indicateurs de coûts de production du chevreau de huit jours pour le prix payé par les engraisseurs.

Signe encourageant : l’interprofession a déposé un projet dans le cadre de l’appel à projet « Structuration des filières » du Plan de Relance.

Repères : La France recense 15 000 exploitations agricoles détenant au moins une chèvre et totalisant 998 000 chèvres. Les 7 600 exploitations professionnelles (plus de 10 chèvres) se répartissent en 3 000 livreurs stricts (70% du cheptel, troupeau moyen de 225 chèvres), un peu plus de 2 900 exploitations fromagères (22% du cheptel, troupeau moyen de 79 chèvres) et 1 700 exploitations ne déclarant ni transformer ni livrer du lait et produisant de la viande ou du mohair. La production de chevreaux est très saisonnière : 72 % des chevreaux sont produits entre février et mai (53 % en mars et avril, 61% de mars à mai) et 15% en novembre-décembre. Près de 80% des chevreaux sont engraissés dans une soixantaine d’ateliers d’engraissement spécialisés, indépendants ou coopératifs, dont une trentaine est située dans le Grand Ouest. Environ 90% des 550.000 chevreaux abattus chaque année le sont dans trois grands abattoirs, le solde de 10% se répartissant dans une soixantaine de petits abattoirs pour le solde. La production de viande de chevreau s’établit à 3.200 tec/an. Elle est exportée à 55%. Le produit final est principalement composé de carcasses entières standard de chevreaux de 1 mois (5-6 kg de carcasse, rendement de carcasse de 56%) destinées au marché export.