Le carbone, le puits et le(s) fond(s)

[Édito] Les initiatives et programmes de rémunération de carbone évité et séquestré par l’agriculture se multiplient. La manne est relative mais les co-bénéfices sont palpables. La lisibilité et la visibilité font cependant encore défaut.

Engranger quelques subsides tout en apportant sa contribution, même modeste, à l’appréhension d’une menace planétaire qu’est le changement climatique : c’est la promesse des programmes de décarbonation qui fleurissent ici ou là au milieu des prairies, des parcelles agroforestières, des cultures sous couverts permanents et vivants, des colzas associés etc. Depuis que la France a formalisé en 2015 sa stratégie bas carbone, qui vise à atteindre la neutralité en 2050, la chasse au carbone est ouverte, pour mieux l’emprisonner ou l’empêcher de s’enfouir. Si l’agriculture, avec ses émissions, est une partie du problème, elle est aussi une partie de la solution, grâce à la séquestration de carbone opérée par la photosynthèse.

4‰

L’agriculture est un puits à ciel ouvert. Si chaque année, au plan mondial, on augmentait la matière organique des sols agricoles de quatre grammes pour mille grammes de CO2, on compenserait l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre produits par la planète en un an. C’est le fameux programme 4‰. Ce carbone stocké ou évité, il est monétisable. Et c’est ainsi que depuis quelques temps, la chasse au carbone se double d’une foire au carbone : 27,5 €/t par ci, 40 €/t par là. De là à faire jouer la concurrence, voire à adhérer à plusieurs dispositifs en même temps... La lisibilité fait encore un peu défaut mais on peut faire crédit aux premiers opérateurs déclarés, tels que Nataïs, Saipol, Soufflet Agriculture, Soil Capital ou encore France Carbon Agri dans le domaine de l’élevage, qui sont tout sauf hors sol.

40 à 80 €/ha/an

Avec grosso modo 40 à 80 €/ha/an à capter, la rémunération carbone ne va pas sortir l’agriculture du fond du puits, d’autant plus que la visibilité et la pérennité à moyen et long terme posent quelques questions. Elle va en prime ajouter une couche au millefeuille de paperasse, même si la numérisation va faire son œuvre et même si le papier... c’est du carbone.

Outre la prime carbone, il faut aussi compter les co-bénéfices associés à la démarche de séquestration, à commencer par la fertilité et la résilience, qui dans un bilan et dans le temps, peuvent largement dépasser le montant de la prime. Et puis enfin, il est possible de faire valoir, auprès de la société et de nos concitoyens, ce chemin vers décarbonation de l’agriculture et sa contribution à l’atténuation du changement climatique. Pas le plus facile à vendre...