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Décarbonation : des chiffres qui bousculent les préjugés sur les agriculteurs
Lors d’une grande consultation adressée aux agriculteurs, le centre de réflexion The Shift Projet s’est intéressé aux transitions environnementales du secteur agricole. Les pratiques émettrices de gaz à effet de serre étaient au cœur des questions. Sans langue de bois, les agriculteurs interrogés ont démontré qu’ils étaient déjà partis prenants de la solution.
Soixante-quatre pour cent des exploitants français se disent « très inquiets » face au changement climatique et à ses effets, et 80% souhaitent adopter ou ont déjà adopté des pratiques agronomiques durables. Seuls 7% d’entre eux ne veulent pas s’engager ou accélérer la transition environnementale de leur ferme. Ces chiffres forts, bien que peu surprenants pour quiconque côtoie les professionnels agricoles, sont issus de la grande consultation agricole organisée de mars à octobre 2024 par The Shift Project, un centre de réflexion qui œuvre pour la décarbonation de l’économie, ainsi que par l’association The Shifters, qui apporte un soutien bénévole au Shift Project. (le président du Shift Project), qui visent à mettre en œuvre une transition vers une économie décarbonée face au réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre et face à l’épuisement des énergies fossiles.
Durant cette enquête, 7711 agriculteurs ont répondu à un sondage en ligne sur leurs pratiques. Cette consultation, les Shifters l’ont volontairement voulue très concrète. Hélène Lepetit, l’une des trois responsables du projet, a expliqué cette approche à l’occasion du webinaire de présentation des résultats le 12 décembre dernier. « Nous ne leur avons pas demandé s’ils étaient pour ou contre la transition. Nous avons cherché à leur poser des questions factuelles par rapport à des actions qu’ils avaient mises en place ou qu’ils souhaiteraient mettre en place pour ne pas partir sur des postures ou des mots génériques pour lesquels chacun met quelque chose derrière ». Pour interpréter les réponses encourageantes obtenues lors de cette consultation, il faut garder à l’esprit que l’échantillon correspond bien à la diversité et la répartition des types de production en France, cependant les répondants sont plus jeunes, plus récemment installés et plus diplômés que la population agricole de référence.
L’élevage au cœur des compromis
Ce n’est un secret pour personne, l’élevage, notamment bovin à travers les émissions de méthane, représente la principale source d’émission de gaz à effet de serre imputée à l’agriculture. Interrogés sur la possibilité de réduire leur cheptel, peu d’éleveurs y voient une solution acceptable. Ils sont 55% à ne pas souhaiter la mettre en œuvre. « Ils ne sont pas dans le déni, mais ils avancent à petits pas avec les contraintes qui sont les leurs », souligne Anne-Sophie Tricaud, également Shifteuse en charge de mener la consultation.
À noter tout de même, 22% des répondants ont déjà eu recours à la décapitalisation de leur cheptel et 14% pourraient l’accepter si la solution est financièrement rentable. Des chiffres loin d’être anodins dans une ferme France où l’agrandissement est le maître mot depuis plusieurs dizaines d’années.
D’autres pistes pour entamer une transition des élevages remportent en plus grande adhésion. C’est le cas de l’autonomie alimentaire des élevages, déjà mise en œuvre par 49% des répondants et que 42% de leurs confrères souhaiteraient mettre en œuvre si cela s’avère financièrement rentable et qu’ils soient accompagnés. (réduire la Matière azotée totale dans la ration, couvrir la fosse à lisier, etc.) pourrait par ailleurs tenter 42% des répondants. Dans les deux cas, cela représente des marges de progression importantes pour le secteur de l’élevage français.
La question des engrais minéraux bien appréhendée
Après le méthane émis par les ruminants, c’est l’utilisation d’engrais azotés qui représente la source d’émission de gaz à effet de serre la plus problématique pour l’agriculture. Et les professionnels en sont bien conscients, comme le révèle la grande consultation.
Concrètement, puisque c’est l’approche de l’enquête, parmi les pratiques à mettre en œuvre dans le cadre d’une transition environnementale, c’est l’utilisation d’engrais organique qui rassemble le plus de suffrages positifs sur le volet agronomique. Soixante-trois pour cent des répondants assurent que les engrais organiques sont déjà présents sur leur exploitation et 28% souhaitent mettre en œuvre l’utilisation d’engrais organiques. Dans le même temps, ils sont 45% à avoir réduit leur utilisation d’engrais minéraux et 38% à souhaiter le faire en supposant que ces nouvelles pratiques soient rentables et qu’ils soient accompagnés dans leur mise en œuvre. Quatre-vingt-deux pour cent des agriculteurs ayant répondu à l’enquête plébiscitent également la culture de légumineuses, autre levier pour réduire les apports d’engrais minéraux.
Des avis divisés sur l’énergie
Les résultats de la grande consultation des Shifters sont particulièrement intéressants concernant le volet énergie. Sans surprise, il ressort que 22% des agriculteurs ont déjà installé des équipements photovoltaïques en toiture et 59% souhaitent le faire. Les installations solaires, sous forme d’agrivoltaïsme, soulèvent beaucoup moins d'enthousiasme. Cinquante et un pour cent des répondants n’y sont pas favorables. Si surprise il y a, elle vient de la méthanisation. En effet, 61% ne souhaitent pas mettre en œuvre cette méthode de production d’énergie. Seuls 4% des agriculteurs affirment l’avoir déjà mis en œuvre et 21% pourraient être tentés de le faire si cela s’avère financièrement rentable et qu’ils soient accompagnés pour la mise en œuvre.
Ne pas négliger le volet financierSi les agriculteurs sont prêts à franchir le pas dans la mise en œuvre de la transition carbone, le nerf de la guerre reste l’argent. Quatre-vingt-un pour cent évoquent au moins un frein financier constaté sur leur exploitation. Le premier d’entre eux, cité par 53% des répondants, évoque des pratiques trop coûteuses et pas assez valorisées. Le risque financier fait également partie des freins. Pour y remédier, les exploitants français sont 53% à évoquer une rémunération pour services environnementaux et 51% à appeler de leurs vœux une politique sécurisant des débouchés et des prix rentables pour l’exploitation. « Quatre-vingts pour cent du pas en avant fait par les agriculteurs sera par une incitation financière. J'ai des convictions mais elles ne me feraient pas vivre », souligne ainsi l’un des répondants à la consultation. |