Léa et Damien : ingénieurs, entrepreneurs, agriculteurs

Tous deux ingénieurs agricoles, Léa et Damien viennent de s'installer sur une exploitation laitière après avoir connu une vie professionnelle déjà bien riche. Pour eux, l'installation est l'occasion de développer des projets de diversification. Ils n'hésitent pas à se donner les moyens de leurs ambitions.

Léa Dulos et Damien David le reconnaissent sans détour : pendant près de dix ans, ils ont l'un et l'autre connu une vie professionnelle et personnelle intense et très confortable. Tous deux diplômés de l’école supérieure d'agriculture d'Angers, ils ont occupé des postes dans des grands groupes agroalimentaires et agricoles, mettant à profit et développant leurs compétences techniques, commerciales, mais aussi leurs capacités d'adaptation et d'innovation.

Léa et Damien ont presque toujours travaillé à l'international, avec notamment un séjour de deux ans en Roumanie pour développer des marchés des semences en Europe de l'Est, ils ont rencontré énormément d'acteurs de la filière, ont « beaucoup appris », « beaucoup bougé ». « On a bien vécu cette vie d'ingénieur. On ne regrettera rien ! ».

Un côté business assumé

« Il y a un temps pour tout », raconte Damien. « Après tant d'années à être payés pour avoir des idées pour les autres, on a voulu avoir des idées pour nous-mêmes ». Piloter sa propre entreprise, mener des projets innovants, développer un business : pour le couple, tout cela peut être réalisé via la reprise d'une exploitation agricole. « Un agriculteur est forcément un chef d'entreprise : il lui faut le côté technique et le côté business. L'un ne va pas sans l'autre. Il doit réfléchir, savoir où il va ».

« Aujourd'hui, il y a deux schémas pour faire une agriculture rentable », poursuit Damien. « Soit on maximise les unités de production ; soit on transforme et commercialise nos produits, pour capter la valeur ajoutée ». C'est clairement du côté du second schéma que Damien et Léa se dirigent : pour Damien, fils d'éleveurs laitiers dans l'Orne, c'est l'occasion de renouer avec une production qu'il aime depuis toujours et de goûter à la « fierté d'être agriculteur ». Pour Léa, qui n'a pas de racines agricoles, mais qui, depuis toujours « fourmille de projets », le terrain de jeu sera plutôt la diversification, en particulier le commerce de produits fermiers.

Une exploitation avec du potentiel

A l'époque où ils imaginent leur projet agricole, en 2018, Léa et Damien vivent à Saint-Malo. Pendant un an, ils prospectent, en Bretagne puis dans tout l'Ouest, pour trouver l'exploitation qui « coche toutes les cases ». C'est finalement à Guérande, à deux pas de la côte Atlantique, qu'ils dénichent, via une agence spécialisée, la ferme qui a « le potentiel pour leurs affaires » : un troupeau de bonne valeur génétique, un parcellaire groupé, des bâtiments en pierres de taille, une zone de chalandise importante, un accès facile, peu de concurrence sur la vente de produits fermiers...

Damien s'installe comme agriculteur fin 2019, après quelques mois de tuilage avec Philippe, le cédant. Pour l'aider à conduire le troupeau de 75 vaches (600 000 litres livrés à Lactalis), il reprend aussi le salarié de l'exploitation. Son premier grand projet est la conversion expresse de l'atelier laitier au cahier des charges de l'agriculture biologique, un modèle auquel croit le couple, pour son aspect environnemental, mais aussi commercial et sociétal.

« La première année, cela nous a coûté très cher en aliment », reconnaît l'éleveur. Ce n'est que courant 2020 qu'il peut enfin mettre en place les hectares de prairies multi-espèces (chicorée, plantain, dactyle, fétuque, luzerne...) dont il a besoin pour pratiquer le pâturage tournant dynamique. « Aujourd'hui, nous avons 85 ha d'herbe et 15 ha de maïs ». En parallèle, il redéfinit les parcelles (une quarantaine à présent) et réhabilite les chemins d'accès, pour maximiser le pâturage et donc l'autonomie alimentaire du troupeau. « Je préfère investir là-dedans plutôt que dans du matériel. Je sais que cela augmente la valeur de la ferme ».

Damien a beaucoup investi pour organiser son pâturage tournant dynamique (implantation de prairies multi-espèces, clôtures, accès...). « Contrairement à du matériel qui se décote, cela donne de la valeur à une exploitation ». Photo Catherine Perrot

Transformer et commercialiser

Léa quant à elle vient tout juste de quitter son emploi en cette rentrée 2021 et de s’installer comme co-associée : elle peut enfin se consacrer à plein temps au deuxième grand volet du projet, la diversification. La gamme de produits issus de la transformation du lait de l'exploitation est déjà plus ou moins définie : elle s'articulera autour des fromages. « Si les gens se déplacent dans une ferme, ce sera pour un produit de gourmandise et de plaisir ».

Le couple projette, à terme, de transformer 200 000 litres de lait par an, dans le laboratoire actuellement en cours de construction sur le site de la ferme. Dans quelques mois, ce sera le chantier du magasin de produits fermiers qui démarrera, sur l'emplacement de l'ancienne laiterie (qui, elle, sera remplacée et déplacée).

Pour ces deux bâtiments, Léa et Damien ont vu grand : 200 m2 pour l'atelier de transformation, 150 m2 pour le magasin de produits fermiers. Ils savent déjà qu'ils vont embaucher du personnel : sans doute au moins trois personnes, dont une fromagère et deux employés polyvalents (ferme, atelier, magasin, livraisons...). « On ne pourra pas tout faire à deux. Nous, nous resterons sur les postes où nous avons le plus de valeur ajoutée », décrit Léa.

L'exploitation est engagée dans plusieurs réseaux : Bienvenue à la ferme, le Groupement des agriculteurs biologiques (GAB), mais aussi la LPO, le parc de Brière, le Centre permanent d'initiatives pour l'environnement (CPIE)... Photo Catherine Perrot

Savoir s'entourer

Dans le même esprit, Léa et Damien estiment qu'en tant que chefs d'entreprise, « il faut savoir s'entourer ». Que ce soit sur les plans de la production, de la transformation ou de la vente, ils n'hésitent ainsi jamais à faire appel à des experts (conseiller agronomique, collègues expérimentés, technicien de l’École nationale des industries laitières, spécialiste des études de marché...), à participer à des groupes et à se former. Léa s'est, par exemple, formée à la logistique avec les Épiciers de France.

La jeune femme a déjà identifié une « centaine de fournisseurs » pour son magasin de produits fermiers, qui proposera « une expérience qui n'existe pas pour l'instant sur le secteur : de bons produits en circuits courts, le plus souvent locaux, bio et à tarifs maîtrisés ».

Pour faire connaître cette activité (avant même son démarrage, courant 2022), Léa a organisé des visites de la ferme cet été. Ces visites (payantes), dont elle a fait la publicité uniquement sur Facebook, ont attiré pas moins de 400 personnes : « Presque uniquement des locaux, des voisins », remarque-t-elle. « C'est exactement ce que nous voulions. Désormais, les gens sont impatients que le magasin ouvre ». Cet intérêt de la population locale a été confirmé par une étude de marché réalisée par le cabinet spécialisé Polygone : selon lui, le chiffre d'affaires potentiel de la boutique est de 800 000 euros par an.

Léa et Damien savent que leur projet est « atypique » en agriculture, notamment par le montant des investissements engagés. Mais ils ont réussi à convaincre la banque de les suivre, car « ils savent où ils vont ». « Une exploitation doit toujours avoir des projets, être prête à se transformer, sinon, elle s'enterre ». Bien qu'atypiques, ils ont aussi réussi à bien s'intégrer dans un territoire où ils n'avaient aucune attache : « On a été bien accueillis et même encouragés par nos collègues. On n'est pas vus comme des concurrents pour les terres. Et même si on est « ingénieurs », on reste humbles : quand on se plante, ce qui est arrivé sur le plan agronomique, on n'hésite pas à le dire ! ».

La maison ainsi que plusieurs dépendances de l'exploitation sont en pierres de taille : un atout pour y développer des projets d'ouverture au public. Photo Catherine Perrot