Charlène et Brice : « Ouvrir notre ferme pour recréer du lien entre citoyens et agriculteurs »

A Oudon (Loire-Atlantique), Charlène aimerait rejoindre Brice, son compagnon, sur la ferme spécialisée en élevage allaitant. Professionnelle de l'animation, elle prépare depuis un an son installation sur un projet alliant accueil pédagogique, vente directe, et hébergement de tourisme.

A Oudon, sur les bords de Loire, Brice Chéret élève des charolaises sur une ferme qui a vu se succéder au moins quatre générations avant lui. « Au plus loin que je remonte dans ma famille, ils sont tous agriculteurs », explique le jeune homme de 33 ans. De la même façon, du plus loin qu'il s'en souvienne, Brice n'a jamais envisagé de faire un autre métier que celui de la terre.

Une production adaptée au territoire des bords de Loire

Ses parents avaient des bovins, des cultures, des vignes et des canards. Brice, désormais seul à la tête de l’exploitation, s'est spécialisé dans le bovin charolais : il est naisseur-engraisseur de 80 vaches et leur suite. Dans un système très herbager (140 hectares dont 110 en herbe), très autonome, très intégré dans son territoire : chaque printemps, l’éleveur amène une partie de ses bêtes sur des îles de Loire. Il entretient aussi plusieurs hectares de terres inondables et de marais des bords de Loire.

Jusqu’en 2020, Charlène, 31 ans, sa compagne et maman de leurs trois enfants, travaille dans l'animation socio-culturelle, comme animatrice multimédia, puis comme directrice d'un centre de loisirs. Toutefois, un autre projet lui trotte dans le « coin de la tête » depuis quelques années et c'est à l'occasion du premier confinement de 2020 qu'il refait surface.

Le nom de l'activité d'accueil sur la ferme : le foin des curieux, une jolie contrepèterie qui correspond bien à la créativité et l’imagination de Charlène. (Photo Catherine Perrot)

« L'agriculteur, acteur d'éducation populaire »

Lors de ses études de DUT « carrières sociales », Charlène a rédigé un mémoire sur le thème des « fermes pédagogiques comme moyen d’émancipation ». Ce mémoire prenait comme support principal la ferme Marcel Dhénin de Lille, une ferme pédagogique en milieu urbain, et s'intéressait aussi aux fermes pédagogiques qui sont de « vraies » exploitations. « Au début, j'étais sceptique sur cette activité. Mais je me suis rendu compte qu'il y avait une vraie utilité pour le public. Beaucoup de gens méconnaissent les bases de la production agricole. Les enfants ont de moins en moins d'agriculteurs dans leurs familles, et l'école sensibilise les enfants à l’environnement mais pas forcément à l'agriculture ».

"Il y a des besoins pour des fermes pédagogiques en ville et en milieu rural."

Nourrie de ces valeurs d'éducation populaire, qui veut faciliter l’accès aux savoirs au plus grand nombre, Charlène prend conscience que rapprocher les citoyens de l'agriculture a « du sens ». « Il y a des besoins pour des fermes pédagogiques en ville et en milieu rural. Il y a une vraie complémentarité entre les deux. On peut faire découvrir aux gens l’œuf et la poule, mais aussi la différence entre vache laitière et vache allaitante. L'agriculteur peut ouvrir les portes de son exploitation et devenir un acteur d'éducation populaire ».

« Faire le lien entre la vache et la viande, sans tabou »

Le projet de Charlène s'affine tout au long de l'année 2020, avec de plus en plus d'implication de Brice. « Nous souhaitons montrer le métier d'éleveur allaitant tel qu'il est. Faire le lien entre la vache et la viande, sans tabou », décrit Charlène. « Mais il y aura une vraie séparation entre l'activité d'animation et l'activité de production. Brice ne doit pas être gêné dans son travail. »

"Les vaches, c'est la vie."

« Nous, éleveurs de bovins, on est de plus en plus montrés du doigt », renchérit Brice. « Les gens n'ont pas toutes les données. Ils ne savent pas que sans élevage, il n'y a plus de prairies, plus d'entretien des marais, que les friches augmentent... Ils ne connaissent pas l'équilibre qui existe entre les cultures et l'élevage, le rapport entre la paille et le fumier. Les céréales ne nourrissent pas la terre. Mais les animaux le font », poursuit le jeune éleveur. « Les vaches, c'est la vie ».

Charlène saute le pas fin 2020 en quittant son poste de directrice de centre de loisirs grâce à une rupture conventionnelle. Elle suit une formation avec le réseau Bienvenue à la ferme, et réalise plusieurs stages auprès d'agriculteurs voisins en productions porcine, ovine, caprine, volaille et vache laitière. « Je voulais découvrir les différentes productions et me mettre en réseau avec des professionnels. Pour notre projet pédagogique, nous pensons avoir différentes espèces rustiques pour rendre la visite plus diversifiée ».

Professionnelle de l'animation auprès de tous les publics (enfants, adultes, personnes âgées ou handicapées), Charlène étudie les propositions pédagogiques du réseau Bienvenue à la ferme, dont l'exploitation est adhérente. (Photo Catherine Perrot)

« On interroge le besoin avant »

Charlène développe aussi la vente directe de viande, activité qui était déjà présente sur la ferme, mais de façon plus anecdotique. « Notre objectif, à présent, c'est une bête tous les deux mois environ. Mais on abat un animal que si on a trouvé les acheteurs.  On interroge toujours le besoin avant. Récemment, nous avons proposé de la viande de veau : ce sont nos clients qui nous l'ont demandé ».

Même s'il est plus habitué à travailler avec des marchands de bestiaux, Brice reconnaît trouver de la satisfaction avec la vente directe. « C'est valorisant de bien choisir l'animal, de bien le finir, et d'avoir le retour des clients ». Un retour qui est souvent positif : « Certains enfants ne mangent de la viande que si c'est le "steak haché de Brice" », s'amuse Charlène.

Pour consolider cette vente directe de viande, Charlène développe une activité de mise en conserve artisanale : « Nous avons trouvé un prestataire qui nous fait des recettes en bocaux : bourguignon, chili, blanquette, bolognaise... Ce sont des produits qui nous ressemblent, qui sont dans la continuité de la qualité de notre viande ».

Plus de 200 réponses à l'étude de marché

Cette interrogation du besoin, Charlène et Brice la font donc aussi à propos de leur projet d'activité pédagogique : en février 2021, ils diffusent une enquête auprès des écoles, structures d'accueil et du grand public (via les réseaux sociaux) de leur secteur. « Nous avons eu plus de 200 réponses. Avec des avis très positifs, des idées intéressantes. Aujourd'hui, des écoles, des centres de loisirs, nous appellent : ils sont impatients de venir nous voir ».

L'envie du couple de se diversifier avec de l'accueil, les besoins du territoire, et la validation du projet par le réseau Bienvenue à la ferme ne suffisent toutefois pas à engager une installation. Il faut aussi pouvoir disposer de certains équipements réglementaires, notamment un bloc sanitaire, et d'une salle pédagogique pour accueillir différents publics (scolaires, personnes âgées, handicapées...), à différentes périodes de l'année. « Cette salle pourra nous servir aussi à faire des ateliers cuisine, à recevoir nos clients pour la vente directe, ou être louée pour d'autres activités de loisir », souligne Charlène.

Une étude économique implacable

Le bâtiment pour la salle et le bloc sanitaire représentent toutefois un investissement important. L'étude économique, que le couple réalise en mars 2021, approuvée par CERFrance et le réseau Bienvenue à la Ferme, révèle que l'activité d'accueil pédagogique, même complétée par la vente directe, ne suffit pas à amortir le bâtiment et dégager un salaire. « Pas question de mettre en péril l'exploitation », reconnaît le couple. Une solution est proposée : ajouter un hébergement sous forme de quatre chambres au-dessus de la salle.

Le site d'Oudon est en effet favorable à ce type d'hébergement de passage car il se situe sur le circuit de la Loire à vélo. « En plus, nous pourrions proposer nos bocaux aux cyclistes ». Plutôt confiants quant à la possibilité de pouvoir bâtir leur salle pour diversifier leur activité, là où il y avait jadis un bâtiment de béton d'élevage de canards, Charlène et Brice déposent leur certificat d’urbanisme auprès de la communauté de communes des pays d’Ancenis en avril dernier. Mais ils se heurtent à un refus. « On nous a laissé entendre que c'était l'hébergement qui posait problème », décrit Brice. « Il est vrai que le PLU est bien utile aux agriculteurs pour protéger les terres, mais là, cela nous empêche de mener notre projet ».

Le tourisme pour sauver l'élevage ?

Les deux jeunes gens ont demandé à être entendus par la municipalité d'Oudon, et ses commissions urbanisme, développement économique, enfance jeunesse et tourisme. La communauté de communes du pays d’Ancenis, la chambre d’agriculture et le réseau Bienvenue à la ferme seront conviés à cette rencontre où le jeune couple veut plaider la pertinence et l'utilité de son projet. D'autant plus qu'il est éligible à une subvention de la Région dans le cadre du plan de relance sur l'agritourisme.

« Ce projet, assure Charlène, ce n'est pas une lubie de femme d'agriculteur ». « Nous avons un rôle à jouer pour faire connaître notre production », souligne Brice, qui estime qu'en ces temps difficiles pour la production bovine, c'est « peut-être le tourisme qui pourra sauver l'élevage ».