- Accueil
- Les fleurs sont-elles vraiment des cultures non essentielles ?
Les fleurs sont-elles vraiment des cultures non essentielles ?
La grande majorité des surfaces agricoles françaises est consacrée à la production alimentaire. Très minoritaires, les productions de végétaux d’ornements et de fleurs coupées n’occupent que 0,5 % de la SAU française. Ces productions non alimentaires doivent-elles être considérées comme moins nobles ou moins essentielles que les autres ? Sans doute pas !
En juin dernier, dans le cadre d’une action contre les carrières de sable, des centaines de militants du Mouvement « Les soulèvements de la terre » ont arraché des plants de muguet pour les remplacer par du sarrasin. Ces manifestants ont apporté plusieurs justifications à cette action symbolique, notamment celle que le muguet est une culture « non alimentaire » qui concurrencerait d’autres productions agricoles pour l’eau et le foncier. Ce même argument du caractère non alimentaire du muguet a été repris dans le communiqué de presse du parti EELV pour justifier son soutien à l’action militante.
En France, peu de concurrence pour les terres cultivées
La soi-disant concurrence du muguet vis-à-vis des productions alimentaires est pourtant assez anecdotique au niveau du sol : avec 200 ha de muguet, le Pays nantais concentre 85% de la production française. Elle est réalisée par 13 exploitations, qui, toutes, ont aussi une activité légumière à côté. Ces 200 hectares représentent 0,04% de la SAU du département de Loire-Atlantique. On est loin de l’accaparement des terres. Si l’on étend le raisonnement à toutes les productions florales et de végétaux d’ornement et à toute la France, on n’obtient que 15 000 ha, soit à peine 0,5% de la SAU française qui est occupée par ces végétaux d’ornement non alimentaires.
Peut-on vraiment dire que ces cultures non alimentaires soient moins nobles, ou moins essentielles que les autres comme le sous-entendent les manifestants ? En situation de pénurie alimentaire, on pourrait le concevoir, mais la France en est loin. En outre, de plus en plus d’études scientifiques confirment et prouvent ce que chacun perçoit de manière plus ou moins empirique : offrir des fleurs fait plaisir, une plante verte dans un intérieur en change l’ambiance, s’occuper de végétaux apaise et même disposer des bouquets sur un cercueil contribue à atténuer la peine des proches d’un défunt.
« Les fleurs nous entourent, nous séduisent ou nous aident à séduire. La fleur est un symbole toujours positif que l’on retrouve partout dans notre vie courante. On en offre dans tous ses moments forts, tristes ou gais. Qui oserait critiquer les fleurs ? Même Charles Baudelaire avec ses Fleurs du mal n’a pas réussi à les ternir », écrit ainsi François Parcy, chercheur au CNRS dans son ouvrage « L’Histoire secrète des fleurs ». Et de commenter lors d’une récente interview sur France Inter : « Par leurs formes, leurs couleurs, leurs odeurs, les fleurs touchent nos cinq sens. A l’origine, cela ne nous est pas destiné, puisque c’est pour attirer les pollinisateurs, mais nous y sommes aussi très sensibles ».
Des preuves scientifiques du flower power
Plusieurs études scientifiques ont tenté de mesurer cette sensibilité des êtres humains aux fleurs. Ainsi, en 2005, une étude de Jeannette Haviland-Jones, professeur de psychologie à l’Université du New-Jersey, compare l’effet de la livraison d’un bouquet de fleurs et d’une corbeille de fruits et de bonbons à des femmes pour les remercier d’avoir participé à une étude sur leur humeur (en réalité, l’étude était surtout celle de leur réaction à la réception du cadeau).
Formés au repérage des émotions, les livreurs constatent que l’émotion de joie exprimée par les femmes à la réception des fleurs est plus sincère que celle exprimée à la réception de la corbeille de fruits et de bonbons. Mieux encore, quatre jours après la réception du cadeau, l’état de satisfaction mesuré chez ces femmes est plus élevé chez celles ayant reçu des fleurs que chez celles ayant reçu des produits alimentaires.
Une autre étude, française celle-là, montre un effet des fleurs sur l’évaluation de l’attractivité d’un partenaire. L’équipe de Nicolas Gueguen, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Bretagne sud, a recruté des étudiantes célibataires pour leur demander leur avis sur des œuvres de jeunes artistes locaux. Cette évaluation se faisait dans une pièce où il y avait un jeune homme, complice de l’étude, qui donnait également son avis (toujours le même) sur les œuvres, et dans laquelle des bouquets de fleurs étaient présents ou non.
Interrogées ensuite sur ce qu’elles pensaient du jeune homme, les jeunes femmes qui l’avaient côtoyé en présence de fleurs ont évalué son attractivité et la qualité des interactions avec lui plus élevées que celles qui l’avaient rencontré sans fleurs. D’autres études donnent des résultats du même genre (sur des femmes, comme sur des hommes) : on serait plus enclin à se rapprocher ou à venir en aide à des personnes lorsqu’il y a des fleurs dans l’environnement proche. Les chercheurs estiment que les fleurs auraient un effet positif sur l’humeur, ce qui faciliterait les relations sociales. Mais on ne peut pas exclure non plus l’hypothèse selon laquelle les substances produites par les fleurs pour attirer les insectes (qui imitent souvent leurs phéromones sexuelles) soient aussi efficaces sur les humains…
Des effets sur la mémoire et sur la guérison
Les effets des fleurs sur les humains peuvent aller encore plus loin que la simple amélioration de l’humeur. Dans une étude clinique portant sur 90 personnes ayant subi une appendicectomie, Seong-Hyun Park and Richard Mattson, deux chercheurs du département d’horticulture de l’université du Kansas, montrent que l’humeur des patients est meilleure dans les chambres avec plantes et fleurs. Mais ils mesurent également que ces patients de chambres fleuries sont plus tolérants à la douleur (moins de consommation d’antidouleurs), moins stressés (moins de pression artérielle et baisse du rythme cardiaque), et qu’ils se remettent plus vite de leur opération.
Sur des personnes âgées résidant en maison de retraite, une étude réalisée par la psychologue américaine Jeannette Haviland-Jones montre un effet marqué de l’envoi de fleurs sur les performances de mémoire épisodique des personnes âgées. A propos de cette étude, la psychologue se dit elle-même surprise de l’effet exceptionnel des fleurs sur les personnes âgées. Et elle ajoute que les suites de l’expériences ont été aussi surprenantes. « Durant nos nombreuses années d’étude des émotions, nous n’avions jamais reçu de câlins, baisers, remerciements pour des bonbons, gâteaux, chèques-cadeaux ou argent… Les fleurs sont différentes ».
« Il est où le bonheur, il est où ? »
Difficile, par conséquent, de classer la production de fleurs comme moins noble ou moins essentielle que celle de nourriture. Surtout lorsque celle-ci est française comme le muguet, alors que le marché des fleurs coupées est majoritairement d’importation (80 à 85%). « Cela fait plusieurs générations que nous produisons du muguet en Pays nantais. Nous étions une centaine auparavant, nous ne sommes plus que 13… », regrette Philippe Nauleau, président de la section muguet des Maraîchers nantais. « Mais on perpétue la culture de cette fleur symbolique qui apporte "un peu de bonheur aux gens" ».