Naïo : des robots fabriqués à la chaîne

Six ans après le lancement de son premier robot maraicher Oz, la start-up toulousaine compte près de 200 automates en parc et se prépare à la montée en charge industrielle. L’entreprise mise sur la formation et l’accompagnement pour s’assurer que le couple agriculteur-exploitation soit « robot-compatible » et durable dans le temps.

« Quand on livre un robot sur une exploitation, on ne repart pas tant que l'agriculteur n'est pas autonome dans la conduite et la maîtrise de son robot », déclarait Mathilde Ceaux, ingénieure référente maraîchage chez Naïo Technologies, dans le cadre d'un atelier consacré à l'intégration d'un robot sur les exploitations maraîchères, à l'occasion du Forum international de l'agriculture robotique (Fira). Autrement dit : concevoir et construire des porte-outils autonomes ne suffit pas. Les agriculteurs doivent eux-mêmes être autonomes dans la maîtrise et l'exploitation de leur engin. Et du reste, cette phase d'apprivoisement mutuel est le troisième étage de la fusée en matière d'appropriation d'un robot, fût-il terrestre. « Avant toute commande on s'assure que les caractéristiques de l'exploitation et le profil de l'agriculteur sont robot-compatibles », indique l'ingénieure. « La topographie, le type de sol, les cultures en place ou encore les règles de sécurité doivent correspondre à notre cahier des charges. L'arrivée d'un robot peut par ailleurs induire des changements de pratiques. Nous nous assurons que l'agriculteur est disposé à les mettre en œuvre ».

Maraichage diversifié, avantages divers

Maraîcher diversifié et bio à Saint-Vincent-de-Paul (Landes), Matthieu Follet a témoigné, dans le cadre du Fira, de son rapport au petit robot inter-rangs Oz, acquis il y a deux ans. « Quand vous êtes en maraîchage bio et diversifié, les gens ne vous achètent pas que des légumes », a expliqué le jeune maraîcher. « Il vous achètent aussi le fait que vous protégez la biodiversité, que vous préservez la fertilité du sol en tassant moins et que vous participez à moins impacter le climat grâce à l'économie d'énergie fossiles, qu'il s'agisse du carburant ou des engrais. L'achat d'Oz est le fruit d'une réflexion collective avec d'autres maraîchers mais aussi avec des consommateurs dans le cadre d'une Amap, ce qui permet de se soustraire en partie des enjeux économique de court terme pour se projeter dans du long terme. L'enjeu du robot, c'est aussi d'attirer des salariés que la pénibilité ne rebuterait plus, et dont la qualification serait en adéquation avec le niveau de connaissance requis par les 50 espèces cultivées tout au long de l'année. Pour moi, Oz est une brique et ce que j'espère, c'est qu'il nous permette demain d'apporter de la fertilisation au pied des poireaux ou de pulvériser des préparations naturelles, dont le caractère préventif induit de nombreux passages, comme le désherbage. Une autre préoccupation, c'est de savoir comment on peut gagner en productivité pour pouvoir répondre localement à la demande de la restauration collective, avec des prix décents. Jusqu'ici, c'est le pétrole qui nous a offert les gains de productivité ».

« Ça fait le café aussi ? »

Le témoignage du maraîcher tranche avec les réactions entendues il y a quelques années, quand Naïo a commercialisé son premier robot. C'était en 2014, trois ans après la création de la société par Aymeric Barthes et Gaëtan Séverac, ingénieurs en robotique. « Au départ, il y avait une certaine incrédulité », se remémore Joan Andreu, responsable de la R&D. « Sur le ton de la plaisanterie, on nous demandait si Oz faisait aussi le café. Aujourd'hui, le regard et le questionnement des agriculteurs a complètement changé. Ils sont passés de la question : « est-ce que ça marche ? » à la question : « est-ce que ça peut marcher chez moi ? ».

On imagine aisément une autre question : est-ce que je peux me le payer ? « J'y réponds par d'autres questions », poursuit Joan Andreu. « Est-ce que je sais travailler aussi précisément qu'un robot ? Est-ce que je sais employer des chauffeurs toute l'année ? Est-ce que je sais avoir un impact fort sur ma culture quand il y a une fenêtre climatique avec deux employés ? Est-ce que je peux me le payer ? Peut-être pas. Mais est-ce que je peux biner ou passer ma lame intercep ? Peut-être pas non plus. Où je mets la priorité ? De mon point de vue, le robot est accessible à beaucoup d'agriculteurs ». Les arguments ne manquent pas : pression phytosanitaire, problématique de main d'œuvre, préservation des sols...

Industrialisation imminente

En 2019, Naïo compte plus de 130 Oz en service dans le monde, auxquels s'ajoute une trentaine de Dino, le robot enjambeur de planches maraîchères, apparu en 2016 et médaillé au dernier Agritechnica. Anticipant une demande en forte croissance, Naïo se prépare depuis quelque temps à la montée en charge industrielle. « On est prêt à sauter le pas », déclare Joan Andreu. Il faut dire que la start-up est rompue à la fabrication. Elle dispose en effet d'un laboratoire de prototypage, lui garantissant une très grande réactivité en matière de conception. « On a très rapidement vendu des robots pour se confronter à la réalité mais aussi pour engranger du chiffre d'affaires », relève Joan Andreu. De là à ce que l'industrialisation induise une baisse des prix... Malgré son antériorité et la réalité de ses ventes (2,8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018), Naïo ne dégage pas encore de profit, notamment du fait de ses investissements dans la recherche et le développement. Actuellement, l'entreprise finalise Ted, un robot enjambeur et désherbeur (mécanique) des rangs de vigne, avec une vingtaine d'exemplaires en test. « Les retours d'expérience sont d'une richesse absolue », jubile Joan Andreu. « Le plus réjouissant, c'est que l'on a conquis l'affection des viticulteurs. Quand on gagne la confiance des gens qui travaillent la terre... ».