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Nhung cultive le konjac en terre angevine, une racine rentable
Productrice et transformatrice de konjac, Nhung Nguyen-Deroche s’est installée il y a 4 ans à deux pas d’Angers. Son parcours agricole est dans la continuité de sa carrière antérieure de chercheuse : avec méthode, rigueur et persévérance, elle cherche à implanter et valoriser localement la culture du konjac.
Si, à la fin des années 1980, on avait dit à la jeune Nhung, qui grandissait à Bao Loc (centre du Vietnam), qu’elle serait un jour agricultrice en France, elle n’aurait jamais voulu le croire. Elle se voyait plus sûrement médecin ou chercheuse, et n’avait aucun attrait particulier ni aucune attache avec le travail de la terre.
Et pourtant, aujourd’hui, Nhung Nguyen-Deroche est officiellement agricultrice, installée depuis 2020 sur une ferme de 10 hectares, à Saint-Jean de Linières, à deux pas d’Angers. Dans le milieu, elle est même déjà un peu « connue », car elle a emporté plusieurs concours en innovation végétale, dont le prix des Trophées de l’Excellence Bio 2022 dans la catégorie "producteurs".
Des organismes comme Angers Technopôle, Végépolys (pôles de compétitivité), la CCI et la chambre d’agriculture l’ont accompagnée avant et pendant son installation et elle a reçu des soutiens de collectivités locales. Mieux encore, elle a entraîné quelques agriculteurs voisins dans l’aventure qui l’occupe depuis 7 ans : l’adaptation au climat angevin à la culture du konjac.
Le konjac, tubercule riche en fibres
Le konjac est une plante dont on consomme le tubercule, quasi inconnue en France, mais très populaire au Vietnam : « Là-bas, il est réputé pour « tout soigner », décrit Nhung Nguyen-Deroche. Transformé sous forme de pâtes ou de riz, le konjac est riche en un polysaccharide particulier : le glucomannane.
D’un point de vue nutritionnel, ce glucomannane est une « fibre », c’est-à-dire un nutriment qui n’est pas métabolisé par l’organisme humain (donc qui n’apporte pas de calories), mais qui a des propriétés intéressantes : favoriser la digestion, augmenter la sensation de satiété, contribuer à réduire le taux de cholestérol… Les recommandations nutritionnelles actuelles insistent sur la nécessité d’inclure davantage de fibres dans les régimes occidentaux. Le konjac est donc une plante prometteuse.
Le parcours qui a conduit Nhung jusqu’à la culture angevine du konjac n’est pas commun : avant de devenir agricultrice, elle a eu une carrière d’enseignante-chercheuse. Venue en France pour y poursuivre ses études scientifiques, elle y décroche deux masters, puis un doctorat en biologie végétale, dont la thèse porte sur les microalgues. Elle est ensuite attachée d’enseignement et de recherche à l’université de Créteil, puis chercheuse à l’école nationale des ponts et chaussées.
C’est la rencontre avec son époux, angevin d’origine, et les difficultés à obtenir un poste pérenne dans la recherche, qui l’incitent à s’établir du côté d’Angers. C’est là qu’elle commence à s’intéresser de plus près au konjac : « j’ai constaté qu’en France, il n’y avait aucun agriculteur qui en faisait. Je me suis dit, si je ne le fais pas, personne ne le fera ».
La longue aventure de la sélection végétale
En 2016, Nhung commence donc à tester la culture de tubercules de konjac sur des micro parcelles qu’un agriculteur lui prête. « J’ai pu constater que les tubercules importés d’Asie ne poussaient pas ». Puisqu'elle a gardé des liens dans le monde de la recherche végétale, elle reçoit d’autres variétés notamment des hybrides issus d’un laboratoire allemand.
Elle trouve enfin des plants de konjac qui parviennent à pousser sur ses parcelles d’essais. Mais son chemin vers la culture de la plante n’est pas encore terminé : il lui faut encore trouver une « bonne variété », qui contient une quantité suffisante de glucomannane, la fibre alimentaire qui fait toute la spécificité du konjac. « Il y a une grande variabilité parmi les variétés ». Là encore, elle en a les compétences, et grâce à ses contacts en laboratoires, elle fait ses propres analyses et finit par dénicher une variété intéressante.
En parallèle de ses activités de « sélectionneuse végétale », Nhung suit une formation avec la CIAP 49 (Coopérative d’installation en agriculture paysanne), pour obtenir une équivalence de diplôme agricole et pouvoir ainsi s’installer plus facilement. C’est avec ce projet concret d’installation, et soutenue, entre autres, par le maire de la commune, qui lui permet d'acheter 10 ha de terres à Saint-Jean de Linières en 2020.
Maîtriser la culture sous serre avant de passer à la pleine terre
« J’avais enfin un endroit à moi pour ma culture. Le temps passé avant sur des parcelles prêtées n’a pas été perdu, car j’ai pu expérimenter différents types de sols ». L’aventure du konjac ne fait toutefois que commencer, puisque cette plante, plantée en mai et récoltée en novembre, doit être cultivée trois années de suite pour donner des tubercules exploitables.
De plus, si, pour l’instant, le konjac est cultivé sous serre, le projet, à terme, est d’en faire une culture de plein champ, pour en produire de plus grandes quantités. « On est en bonne voie, on a notre méthode ». Etape préalable à mise en culture de plein champ : implanter des rangées de paulownias, arbres à croissance rapide, en agroforesterie et attendre qu’ils grandissent pour fournir de l’ombre indispensable aux futurs plants de konjac.
Maîtriser la transformation
En parallèle, Nhung travaille aussi depuis trois ans sur la transformation du konjac en pâtes, riz et semoules. S’il y a une chose dont elle est convaincue en tant qu’agricultrice, c’est l’importance de garder la valeur ajoutée sur la ferme. « Entre le tubercule et les nouilles, le prix peut être multiplié par douze ».
La SAS France-Konjac a donc été créée pour faire de la transformation, au début, à partir de farines importées, puis, peu à peu à partir des tubercules produits localement. Là encore, Nhung utilise sa rigueur de chercheuse pour trouver les meilleurs machines (son choix s’est fixé sur des machines japonaises), et les meilleurs process (les plus économes en énergie).
Dans cette SAS, Nhung n’est pas seule. « J’ai reçu beaucoup de soutiens, familles, amis et j’ai trouvé des associés, qui s’impliquent concrètement. J’ai fait beaucoup de belles rencontres ». Son principal associé est d’ailleurs un agriculteur, qui essaye la culture chez lui, et qui a investi dans la SAS « parce qu’il y croit, parce cela lui parle, alors qu’il pourrait aller vers des productions plus rentables à court terme. Je suis épatée par son implication ».
De chercheuse à agricultrice, Nhung a fait les deux métiers, et est désormais convaincue qu’il n’y en a pas un plus prestigieux que l’autre. A les côtoyer de près depuis plusieurs années, Nhung admire les capacités d’adaptation des agriculteurs, leur esprit toujours pragmatique, leur volonté de produire de la qualité : « Ce ne sont pas des pollueurs », assure-t-elle en regrettant l’agribashing dont ils sont si souvent victimes, « alors que tout le monde utilise les fruits de leur travail ».
A bien y réfléchir, en tenant compte de toute l’étendue des compétences dont ils doivent faire preuve, la jeune femme estime que « le métier d’agriculteur, est plus complexe qu'il n'y paraît. D’ailleurs, j’ai encore beaucoup à apprendre ».