Téléchargez la nouvelle application Pleinchamp !
Vendredi 16/05/2025

[Edito]Le ComtéGate : il n’y a pas de quoi en faire tout un fromage !

“Comté, comté, comté”, la publicité du fromage AOP préféré des Français vous évoque des souvenirs ? Bientôt, vous vous rappellerez aussi que le Comté a été au cœur de tous les débats. D’un côté, les défenseurs de notre gastronomie se mobilisent pour protéger notre terroir, tandis que de l’autre, certains mettent en avant les conséquences environnementales de sa fabrication. Le débat est ouvert !

Le Comté, si c’est mauvais écologiquement, si c’est mauvais pour les animaux, est-ce que notre petit plaisir, de se faire une tranche de fromage, doit être supérieur à tout ça ?”. Tout est parti de ces propos, tenus le 24 avril 2025 par Pierre Rigaux, écologue et militant pour la cause animale, dans l’émission “La Terre au Carré” sur France Inter. Il n'en fallait pas plus pour que le sujet déchaîne les passions. La chronique a duré moins de 5 minutes, et pourtant, cela fait déjà plusieurs jours qu’on en fait tout un fromage.
Dans sa chronique, Pierre Rigaux pointe du doigt l’impact de la production du Comté sur les cours d’eau de la région Bourgogne-Franche-Comté. Il évoque aussi le sort des veaux, séparés de leur mère, puis envoyés à l'abattoir. A la question de l’animateur Mathieu Vidard, “Faut-il arrêter de manger du Comté ?”, le militant répond de manière implicite : “la réponse me semble évidente”. Mais pas pour Cyril Hofstein, journaliste au Figaro qui, dans un article du week-end du 10 mai, s’indigne et titre : “Les écologistes veulent faire interdire le Comté”. L’information est reprise partout, dans les matinales, les journaux, et devient virale sur les réseaux sociaux. Tout le monde s’empare du sujet et monte au créneau : élus locaux, producteurs, fromagers, acteurs de la filière, consommateurs et même la ministre de l’Agriculture ! Annie Genevard écrit sur X (ex-Twitter) : ”Le Comté, c’est bien plus qu’un fromage : c’est le fruit d’un terroir, d’un savoir-faire et d’une fierté française”. La préfecture du Jura fustige sur le même réseau social, “L’interdire ? Autant interdire les couchers de soleil sur le Jura. Restons sérieux !”. Le hashtag #TouchePasAuComté est lancé.

On continuera à s’en payer une tranche

A-t-on réellement besoin de défendre le Comté ? Oui. Sa production strictement encadrée par un cahier des charges rigoureux de l'AOP, repose en parti sur un lait cru issu des vaches Montbéliardes et Simmental, nourries à l'herbe et au foin local, qui pâturent dans le massif du Jura. Ce sont ce conditions naturelles qui expliquent son goût lacté et floral, sa texture qui se charge en caséine avec l’affinage, et font des envieux à l’étranger. Le fromage préféré des Français est élaboré dans des fruitières, ces ateliers coopératifs historiques du Jura, où la mise en commun du lait permet de produire de grandes meules. Leur existence remonte au XIIIe siècle, sans compter l’aspect touristique de ces structures - on pense au célébrissime Fort Saint-Antoine, “la cathédrale des fromages” qui abrite la maison Marcel Petite depuis 1966 et ses 100 000 meules !

Pourquoi donc un ComtéGate alors que sa réputation et la qualité de sa production ne sont plus à prouver ? Mais le défenseur de la cause animale, Pierre Rigaux a évoqué son point de vue sur la consommation de Comté. Ses convictions sont incompatibles avec le fait de manger ce fromage. Cependant, il n’impose rien, chacun est libre de faire ce qu’il veut. Il n’appartient pas non plus au parti écologiste, comme l'a rappellé Marine Tondelier, cheffe de file des Écologistes. Elle aussi s’est invitée dans le débat, en publiant une photo d'elle dégustant une tranche de Comté : “les Ecologistes n’ont jamais demandé d’arrêter d’en manger, et encore moins de l’interdire (...) comme (presque) tout le monde, nous aimons le Comté et nous en mangeons (...) cela n’empêche pas de se poser des questions sur l’impact environnemental de sa production, et de réfléchir aux moyens de l’améliorer, pour faire progresser les revenus des éleveurs et pour protéger la nature comme les animaux”. Par conséquent, aucun parti politique ne s’est positionné en faveur de l’interdiction du Comté. Mais le titre de l’article du Figaro a exacerbé le débat sans fondement réel. Discutons, mais en aucun cas n’interdisons !

La question de l’impact de la filière laitière sur l’environnement vaut bien un fromage sans doute ?

La filière Comté, forte de 2 400 exploitations sur 270 000 hectares, a vu sa production presque doubler en trente ans, passant de 30 000 dans les années 1990 à 73 000 tonnes en 2023. Ce développement s'est principalement fait grâce aux reconversions d'exploitations et à l'accueil de nouveaux producteurs, sans augmenter la productivité à l'hectare, qui reste stable autour des 3000 litres de lait. Cette croissance s'est faite en grande partie grâce à des reconversions, comme celle d'une coopérative créée de toutes pièces dans l'Ain par 14 exploitations où il n'y avait plus de production de Comté depuis le début des années 1990. Il n'existe aucun moyen (ni volonté) de limiter activement les habilitations. D'autre part, au regard d'autres filières AOP, la filière Comté considère qu'elle a beaucoup de chance d'avoir autant de candidats. Les chiffres en témoignent : ces quinze dernières années, près de 300 exploitations nouvelles ont rejoint l'aventure.

Cette intensification, reconnue par les acteurs eux-mêmes, n’est pas sans impact. En effet, les effluents agricoles contribuent à la prolifération d’algues vertes, phénomène accentué par la nature karstique des sols jurassiens. Toutefois, les efforts de la filière pour limiter ces effets sont salués, notamment par WWF et Greenpeace. Faut-il aussi rappeler que l'élevage est un catalyseur du maintien des prairies naturelles ?

“Comté or not Comté ?”

Oui, le Comté est une fierté nationale et permet de générer des revenus, des emplois, du tourisme, de perpétuer des traditions ancestrales et fait rayonner nos terroirs (sans oublier nos papilles !). Oui, la filière prend des mesures. Non, il n'est pas question d'interdire ce fromage. Au fond, le vrai débat n’est pas de savoir s’il faut interdire le Comté - ça ne risque pas - mais comment faire pour qu’il reste demain, ce fromage d’exception qui fait notre fierté. Car la filière est aussi concernée par le réchauffement climatique. Manque d’eau, raréfaction et moindre qualité du fourrage, qualité du lait … Et pis encore ! Altération de l’odeur, de la couleur du fromage et de saveur ! Alors là, oui, pas touche au vrai bon goût du Comté !