Nitrites : bataille judiciaire entre les charcutiers et l'application Yuka

Une saucisse sèche obtient une piètre note de 3 sur 100. Des dés de jambon plafonnent à 36. Trop de gras, de sel et surtout de nitrites ajoutés : sévère, la populaire application nutritionnelle Yuka provoque le mécontentement des fabricants de charcuterie.

Avec l'association de consommateurs Foodwatch et la Ligue contre le cancer, Yuka participe à une campagne demandant le retrait dans les charcuteries des nitrites de potassium E249, de sodium E250, et des nitrates de sodium E251 et de potassium E252, jugés responsables de cancers du côlon ou de l'estomac.

Mercredi 25 septembre, leur pétition, lancée depuis un an, avait recueilli plus de 228.500 signatures. "Les charcuteries traitées apparaissent plus cancérigènes que les non traitées à ces sels, chez les rats et les hommes. Elles provoquent des lésions de l'ADN. Cela ne fait aucun doute, il est urgent de sortir du traitement des charcuteries par les nitrates et les nitrites", explique Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, cité dans un communiqué avec Foodwatch et Yuka.

Sur l'application, chaque consommateur ayant "scanné" le code-barres d'un saucisson ou d'un jambon se voit immédiatement invité à signer dans la foulée la pétition. Et c'est l'établissement d'un lien direct entre des informations nutritionnelles et commerciales et une démarche militante qui est apparu insupportable à la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT).

Début octobre, elle a envoyé une lettre d'assignation de 11 pages aux trois organisations, dénonçant des "allégations trompeuses" dans les classements, et demandant le retrait de la pétition du site Yuka. Initiative dénoncée en retour comme une "tentative d'intimidation" par les trois organisations.

"Ce sont des additifs légaux (...) les charcutiers respectent la loi", affirme le président de la FICT Bernard Vallat, interrogé par l'AFP. "L'usage encadré des additifs est autorisé par les autorités sanitaires jusqu'à 120 mg par kilo", fait-il valoir, en disant souffrir d'une situation "bloquée".

La position de l'Anses attendue pour 2021

Au pays de la gastronomie et des terroirs, le sujet est devenu extrêmement sensible. D'autant que la polémique éclate au terme de plusieurs mois d'auditions menées par une mission de députés. Avec l'objectif avoué de fortement réduire, voire de supprimer les sels nitrités des recettes de jambons et saucissons, la mission parlementaire, pilotée par Richard Ramos (Modem, Loiret), a entendu depuis septembre une cohorte de charcutiers industriels ou artisanaux, chercheurs, médecins, industriels de l'agroalimentaire et décideurs publics.

Jusqu'au ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Julien Denormandie, qui a avoué son embarras le 19 novembre. "Sur la question des sels nitrités (...) je vais vous dire clairement ma position, c'est qu'au moment où je vous parle, je ne sais pas" a dit le ministre, qui attend la position révisée de l'agence sanitaire Anses, sollicitée le 29 juin, pour trancher. Son rapport est attendu début 2021.

Accusés par leurs détracteurs d'être surtout utilisés pour garantir la couleur rose du jambon, les sels nitrités "ont généralement pour fonction d'être des conservateurs et d'assurer la sécurité microbiologique des produits alimentaires", a rappelé la directrice générale de la DGCCRF Virginie Beaumeunier lors de son audition. Un médecin de l'institut Pasteur a mis en garde contre le risque de botulisme, maladie paralytique largement oubliée du fait même des progrès sanitaires de l'agroalimentaire moderne.

Une exception française

Mais la mission a fait bouger les lignes. "Nous avons utilisé pendant des lustres des quantités trop importantes (...) je pense qu'il faut fortement les réduire" a admis Frédéric Guillet, directeur de la stratégie du groupe Solina, spécialiste en ingrédients pour l'industrie des produits carnés.

Certains ont commencé depuis plusieurs années. Ainsi les gammes sans nitrite du leader du marché, Herta, représentent déjà 25% de ses ventes de jambon, a indiqué à l'AFP Arnaud de Belloy, directeur général d'Herta France, qui fait néanmoins remarquer qu'il s'agit d'une demande "très française" : "On exporte en Allemagne, en Belgique, en Angleterre et il n'y a pas du tout cette demande".