« Nous sommes les gens de l’autre côté du pot de glace »

[Reportage] Aux Herbiers (Vendée), les trois associés du Gaec Le petit ranch se sont lancés, il y a quatre ans, dans la transformation d’une partie de leur lait bio en glaces fermières. Le réseau Invitation à la ferme les a accompagnés dans cette aventure professionnelle, grâce à laquelle ils trouvent un sens nouveau à leur métier de producteurs laitiers.

Il y a des éleveurs qui gagnent des prix pour leurs vaches. Et d’autres, qui récoltent des médailles pour leurs glaces. Finalement, c’est à peu près la même chose : c’est une reconnaissance de leur travail quotidien, qui a de quoi les rendre fiers. En novembre dernier, Stéphanie, Eddy, et Hélène Christin, les trois associés du Gaec Le petit ranch, situé aux Herbiers (Vendée), ont obtenu cette reconnaissance : l’une des glaces qu’ils fabriquent avec le lait de leur ferme, sous la marque Invitation à la ferme, a reçu une médaille d’or au Concours international des produits laitiers de Lyon.

« C’était le bon moment »

« C’était notre troisième année de production de glaces et je crois que cette médaille n’est pas arrivée par hasard : c’est le résultat de notre travail et de nos constantes améliorations de recettes », se félicite Eddy Christin, celui des trois associés qui est le plus impliqué dans la transformation du lait. Pour la saison estivale 2025, la quatrième depuis la création de l’atelier, les pots de glace « caramel au beurre salé » de la ferme arborent donc fièrement le petit macaron doré gagné l’an dernier.

Eddy Christin est désormais éleveur et glacier : il transforme son lait brut, tel qu’il arrive de la traite et après pasteurisation, en glaces fermières (Crédit photo : Catherine Perrot)
Eddy Christin est désormais éleveur et glacier : il transforme son lait brut, tel qu’il arrive de la traite et après pasteurisation, en glaces fermières (Crédit photo : Catherine Perrot)

Le Gaec Le petit ranch, rebaptisé « ferme Cœur de Vendée » pour sa communication commerciale, n’a pas toujours fabriqué des glaces. Jusqu’en 2020, le Gaec produisait du lait et des lapins de chair en circuits longs classiques. Frère et sœur, Eddy et Hélène, sont la quatrième génération d’éleveurs sur le site. Ils sont associés à Stéphanie, l’épouse d’Eddy, depuis 2013.

Avant 2020, l’exploitation avait déjà connu pas mal d’évolutions, avec des hauts et des bas : l’arrivée des TCS (techniques de conservation des sols), la crise laitière de 2015 qui a failli la mettre à terre, des soucis de santé divers et variés, et la conversion en bio de l’atelier laitier en 2018.

Une conversion en bio déjà mûrement réfléchie

Cette conversion n’était pas dictée par une opportunité commerciale, mais elle était issue d’une réflexion technique, économique et même presque « philosophique » sur le métier, le bien-être animal et celui des éleveurs. « Je crois que nous étions arrivés au bout de notre système », raconte Eddy Christin. Ce passage au bio s’est accompagné d’une diminution des effectifs du troupeau et de la production laitière, de l’arrêt du maïs et de la recherche d’autonomie. Restait toutefois l’atelier lapins, difficile à convertir au bio, qui prenait place dans un bâtiment amianté nécessitant des rénovations, et qui, en plus, commençait à sérieusement fatiguer les articulations des éleveurs.

Valoriser le lait, reconvertir le bâtiment lapins

L’année 2020 et la crise du coronavirus, constitue l’occasion d’une nouvelle réflexion de la part des associés. « Nous sommes tombés sur un article de journal qui parlait du réseau Invitation à la ferme », raconte Eddy. « Nous nous sommes dit que ça pouvait être une bonne occasion de valoriser notre lait bio et de reconvertir notre bâtiment lapins ». « Nous avons pris contact avec eux et réalisé plusieurs visites de ferme. On a choisi les glaces, en se disant qu’il y avait déjà pas mal de collègues sur le marché des yaourts et des fromages et puis les glaces fermières, ça ne court pas les rues ! » poursuit Eddy. Comme c’est le cas pour chaque nouvelle ferme, la candidature du Gaec a été soumise à approbation du réseau : « On vérifie notamment qu’il n’y a pas de concurrence entre membres du réseau, l’objectif est de travailler en bonne intelligence ».

Dans les magasins où ils sont présents (en Vendée, dans le Choletais, et dans le nord des Deux-Sèvres), les glaces de la ferme Cœur de Vendée représentent 10 à 12 % du total des glaces vendues en pot Crédit photo : Gaec Le petit ranch)
Dans les magasins où ils sont présents (en Vendée, dans le Choletais, et dans le nord des Deux-Sèvres), les glaces de la ferme Cœur de Vendée représentent 10 à 12 % du total des glaces vendues en pot Crédit photo : Gaec Le petit ranch)

Leur candidature acceptée, le Gaec Le petit ranch est donc devenu associé de la SAS Invitation à la ferme. Et pour débuter dans le métier de glacier, c’est peu dire que les associés ont bénéficié de la force et de l’expérience du réseau : « Monter des dossiers, apprendre les process et les recettes, respecter les règles d’hygiène et sécurité, gérer les approvisionnements, acheter les machines, développer des techniques commerciales… Nous avons appris tout cela grâce au réseau », assure Eddy. « Tout seuls, on n’aurait sans doute pas sauté le pas ».

« Je pense que le réseau nous a fait gagner deux à trois ans ». Et de fait, tout est allé assez vite : les derniers lapins sont sortis du bâtiment en décembre 2020, et les premières glaces, fabriquées dans un bâtiment totalement réhabilité et aux normes sanitaires, sont sorties au printemps 2022.

De nouveaux métiers passions

« Eleveur, c’est un métier passion, glacier, c’est un métier passion », s’enthousiasme Eddy qui adore sa nouvelle activité : « On élève, on transforme, on vend. On se sent acteurs de notre production. Evidemment c’est du boulot, puisque toutes les opérations sont manuelles », poursuit l’éleveur-glacier qui reconnait travailler souvent 70 heures par semaine en saison (1). L’activité glaces a déjà engendré une création d’emploi sur la ferme et sans doute bientôt une deuxième. « Les glaces, c’est mon dada, mais faudrait pas y laisser notre peau ».

Si Hélène est restée à la production laitière, Stéphanie, quant à elle, a pris en charge toute la partie commerciale. Et elle aussi adore son nouveau métier et ne compte pas non plus ses heures. Elle livre à ce jour une centaine de magasins, auxquels s’ajoutent plusieurs sites touristiques vendéens. «  Le succès a été au rendez-vous dès le début. La première année, on avait prévu 15 000 pots et on en a vendu 22 000… Pour notre quatrième année de production, on sera encore en croissance. On nous demande, on est attendus. Désormais, on a notre place en rayon : une étude Kantar a démontré que dans les magasins dans lesquels nous sommes présents, nous représentons 10 à 12 % des ventes de glaces en pot ».

Une glace qui a une histoire, du sens

« C’est un produit plaisir qui marche bien. Nous travaillons avec notre lait entier, de la crème, c’est une glace qui a une histoire, du sens. Nous sommes les gens de l’autre côté du pot », analyse Eddy. « Quand on ne faisait que du lait en circuit long, on se sentait frustrés de n’avoir comme reconnaissance que la fiche de paye du lait. On ne savait pas où allait notre lait ». 

« Aujourd’hui, on rencontre d’autres gens que le chauffeur du camion de lait. On a des retours clients », se félicitent Stéphanie et Eddy. Ces retours clients sont bien réels : ils se font la plupart du temps en magasin. La philosophie du réseau est en effet de permettre des rencontres entre éleveurs et consommateurs : Stéphanie et Eddy réalisent ainsi, à eux deux, 60 à 70 jours par an d’animations en rayons, auxquelles s’ajoute une traite ouverte chaque premier mercredi du mois (2).

Le réseau Invitation à la ferme compte aujourd’hui 42 fermes, tous bio et actionnaires, et tous aussi impliqués que les Christin. « Il faut avoir le sens du collectif. Dans ce réseau, il y a une bonne cohésion, les éleveurs sont acteurs. Il n’y a pas de hiérarchie, on est tous engagés dans les commissions, et on se retrouve régulièrement pour travailler ensemble, progresser ensemble. Nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de concurrence entre nous, on ne va jamais dans les mêmes magasins, mais nous avons encore de la place pour de nouveaux éleveurs qui voudraient transformer, dans les zones où ne nous sommes pas encore présents ». 

(1) La saison de fabrication des pots de glace s’étend de mars au 15 août. Après une petite pause, Eddy reprend la fabrication en septembre pour fournir des buches glacées pour les fêtes de fin d’année

(2) Recevoir régulièrement des consommateurs à la ferme fait partie de l’engagement au sein du réseau