Portrait de jeune installée : Joséphine donne vie à des immortelles

A Autheuil-en-Valois, dans l'Oise, Joséphine Mullet est productrice de fleurs séchées depuis 4 ans. Cette production originale, voire marginale, rencontre son marché : les fleurs séchées sont « à la mode » et celles de Joséphine sont locales, bio, et souvent vendues en direct sur les marchés par la productrice elle-même.

« J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans la production de fleurs car elle était non alimentaire, et donc peu estimée par les agriculteurs. Mais un jour, une collègue maraichère m’a dit : « Mais voyons, les fleurs sont la nourriture de l’âme ». C’est là que mon aventure florale a commencé ».

Cela fait près de 4 ans que Joséphine Mullet, 28 ans, s’est installée en production de fleurs séchées labellisées AB, à Autheuil-en-Valois, dans l'Oise. Pour décrire son métier, désormais, elle utilise les termes de paysanne ou d’agricultrice, ce qu’elle est pleinement aux yeux de l’administration. Ce qui ne l’empêche pas, parfois, mais de plus en plus rarement, de douter encore : ce fut le cas, pendant le premier confinement du Covid, où elle se sentait « non essentielle » ; ou lorsque quelques indélicats lui disent que les fleurs sont un hobby, pas une production agricole.

Dans ces cas, heureusement, elle sait qu’elle peut se tourner vers d’autres collègues agriculteurs, notamment ceux du réseau Initiative paysanne, qui l’ont accueillie avec son projet atypique, accompagnée pour son installation et qui continuent de le faire dans le cadre de formations, visites d’exploitations ou repas festifs.

Le savoir et le savoir-faire de son père

Avant de devenir agricultrice, Joséphine a expérimenté le salariat agricole, et, encore avant, elle étudiait l’agroécologie à l’université, discipline dans laquelle elle est diplômée d’un master. L’installation n’était pas son projet initial : « J’avais des bonnes notes, on m’a encouragée dans les études, beaucoup de choses me plaisaient ». Et même si elle se sentait attirée par une activité indépendante et au grand air, le déclic pour l’installation agricole ne s’est produit que lorsque son père, lui-même producteur de fleurs séchées en Corrèze, a annoncé qu’il allait prendre sa retraite.

La qualité des fleurs ne tient souvent qu’à un détail : le moment optimal de cueillette peut ne durer qu’une demi-journée. (Crédit photo : Joséphine Mullet / Les Immortelles)
La qualité des fleurs ne tient souvent qu’à un détail : le moment optimal de cueillette peut ne durer qu’une demi-journée. (Crédit photo : Joséphine Mullet / Les Immortelles)

« J’ai pris conscience que tout ce qu’il avait acquis, en 35 ans de ce métier, tout son savoir-faire, risquait d’être perdu, et que c’était plus que précieux. La production de fleurs séchées, c’est un métier rare, pour lequel il n’existe ni formation, ni littérature. Avant qu’il prenne sa retraite, je lui ai demandé de passer une saison de production avec lui ».

Son père ne se contente pas de lui transmettre une partie de son savoir, il lui fournit aussi les premiers plants que Joséphine tente d’acclimater aux sols de l’Oise. La jeune femme s’installe en 2019, sur une parcelle de 2000 m2 prêtée par ses beaux-parents arboriculteurs. « Ainsi, j’ai pu limiter les investissements Je n’aurais pas pu m’installer sans l’aide de nombreux agriculteurs ».

Un cycle de production classique

Comme ses collègues agriculteurs, Joséphine Mullet organise son travail en fonction du cycle de ses productions : de février à mai, ce sont les semis, les repiquages, la surveillance de la croissance des plantes ; de juin à septembre, c’est la grosse période de récolte manuelle, avec parfois des créneaux optimaux d’une demi-journée, puis de mise au séchage, qui pour l’heure se fait dans le grenier de sa maison ; d’octobre à décembre, c’est la remise en état des parcelles, les semis de certaines espèces et la commercialisation.

Comme ses collègues, Joséphine veille à l’irrigation (raisonnée, au goutte à goutte), à la gestion des adventices et des ennemis des cultures (pucerons, doryphores, mildiou…), et à la bonne santé de sa terre (couverture hivernale, engrais bio, fumiers…). Et comme eux, elle connaît des échecs, des semis ratés, des plantes qui ne font pas de fleurs, ou des impasses techniques faute de traitements bio disponibles.

Toutefois, avec 20 à 25 variétés de fleurs différentes, en général, les échecs et les réussites s’équilibrent. « Je m’étais fixé un objectif comptable de 6000 bottes de fleurs séchées par an en rythme de croisière. Pour l’instant, sur 4 cycles de cultures, j’ai produit entre 4500 bottes et 5200 bottes par an. C’est plutôt rassurant ».

« Une production à la mode »

L’agricultrice n’a aucun mal à vendre cette production : « J’ai de la chance, les fleurs séchées sont à la mode, ce n’était pas le cas il y a 10 ans ». La commercialisation se fait en grande partie en direct, sur des marchés d’automne. « Je vois mes clients une fois par an, lorsqu’ils viennent renouveler leur bouquet ». Joséphine vend également ses fleurs à des fleuristes et dans quelques magasins locaux. « Ils sont intéressés par l’origine France et par la qualité apportée par le label bio ». Comme pour les fleurs fraîches, les Pays-Bas dominent le marché des fleurs séchées (et c’est rarement bio).

Pour le moment, Joséphine rapporte du travail à la maison : c’est dans son grenier qu’elle fait sécher ses bottes de statices, immortelles, pieds d’alouette (blanc, bleu, rose), carthames, échinops, gypsophiles, rodanthes, accrocliniums… (Crédit photo : Joséphine Mullet / Les Immortelles)
Pour le moment, Joséphine rapporte du travail à la maison : c’est dans son grenier qu’elle fait sécher ses bottes de statices, immortelles, pieds d’alouette (blanc, bleu, rose), carthames, échinops, gypsophiles, rodanthes, accrocliniums… (Crédit photo : Joséphine Mullet / Les Immortelles)

Particularité : en général, Joséphine ne confectionne pas de bouquets, mais vend ses fleurs par bottes d’une même espèce. « Les clients sont d’abord un peu surpris, ils n’osent pas faire leurs bouquets eux-mêmes. Mais ça me permet de discuter avec eux, de leur dire qu’ils peuvent mélanger les variétés, de leur expliquer ma production, mon mode de séchage, sans ajout de conservateurs ou de colorants ».

Cette bonne santé du marché de la fleur séchée bio et locale permet à Joséphine d’avoir des projets, et ils sont nombreux : elle aimerait pouvoir trouver une parcelle de terre plus grande, pour y implanter ses bandes de fleurs et y construire un bâtiment, où elle pourrait faire sécher ses bottes et recevoir ses clients.

Elle aimerait aussi s’équiper un peu plus : par exemple, bénéficier d’un deuxième tunnel en plus de l’actuel, qui serait mobile et qui lui permettrait de protéger davantage ses fleurs des éléments (la pluie favorise les maladies). Elle cherche aussi à améliorer ses méthodes de culture, de cueillette et de séchage, pour produire des fleurs encore plus belles, plus grandes, plus résistantes. « J’aime produire pour les gens. Lorsque je cultive mes fleurs, je pense toujours à mes clients, j’espère que cela va leur plaire ».

Joséphine Mullet ne serait pas contre non plus, apporter un peu d’innovation dans ses cultures de statices, immortelles, carthames ou de rodanthe… « Il y a très peu de semenciers qui s’intéressent à ce créneau très spécifique. Mais il y a du potentiel d’amélioration variétale ». Enfin le graal pour une productrice de fleurs séchées, c’est de parvenir à faire sécher des fleurs qui comportent beaucoup de pétales, comme la pivoine ou la rose. « Seuls les producteurs très expérimentés y parviennent », commente Joséphine. Rendre les roses immortelles, elles dont la beauté « ne dure/ Que du matin jusques au soir » ? De quoi faire mentir Pierre de Ronsard et rendre justice à Cassandre !