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Production porcine : concilier bien-être animal et confort de l'éleveur
La production porcine est l’un des élevages les plus questionnés par la société au sujet du bien-être animal. Depuis plusieurs années, les recherches appliquées menées au sein de l’Ifip-Institut du porc et des chambres d’agriculture explorent ces questions, souvent en lien avec des éleveurs « précurseurs ». Les résultats montrent qu’il existe rarement une réponse unique ou uniforme, et que les solutions qui fonctionnent le mieux, sont celles qui améliorent en même temps bien-être animal et bien-être de l’éleveur.
Mais que fait la recherche en production porcine ? Pour répondre à cette question, tous les deux ans, l’Ifip et les chambres d’agriculture de Bretagne et des Pays de la Loire organisent une journée de restitution de leurs résultats de recherche appliquée à destination des acteurs de la filière. Pour 2024, cette journée s’est tenue à Rennes le 28 novembre où elle a rassemblé 115 personnes à la maison de l’Agriculture et à peu près autant en ligne. Tous ont suivi une douzaine de présentations techniques autour de problématiques qui se posent ou vont prochainement se poser en production porcine.
Ces présentations ont porté sur des sujets variés, tant sur le naissage que sur l’engraissement des porcs. Une constante cependant dans quasiment tous les sujets : qu’il soit l’objet principal de l’étude ou non, le bien-être des animaux est toujours pris en compte. « La société nous attend sur ces sujets », commente Claude Montariol, chargée de communication à l’Ifip-Institut du porc.
Liberté des truies en maternité
Une étude a ainsi été présentée sur les retours d’expériences d’une trentaine d’éleveurs ayant opté pour la « maternité liberté », c’est-à-dire le logement des truies dans une case plus grande et avec un blocage moins long que la classique contention sur toute la phase de maternité (historiquement mise en place pour éviter les écrasements des petits par la mère et faciliter les interventions des opérateurs).
Ces éleveurs ne regrettent pas leur choix d’un système alternatif, la moitié d’entre eux observant des changements de comportement chez leurs truies, qui sont, selon eux, « plus calmes, plus mobiles, qui consomment mieux et allaitent mieux qu’avant ». Certes, le nouveau système engendre quelques difficultés supplémentaires dans l’accessibilité aux animaux et un temps de lavage des cases un peu augmenté, mais d’une manière globale, le travail des opérateurs s’en trouve plus facile, plus agréable, plus basé sur l’observation des animaux et, finalement, plus plaisant.
Apprivoiser les truies : un investissement qui rapporte
Autre étude présentée durant cette journée : une expérimentation menée à la station expérimentale des Trinottières (49) sur la domestication des truies : l’objectif étant d’améliorer la relation entre l’homme et l’animal de manière à faciliter le travail humain tout en réduisant le stress des animaux.
Les premiers résultats de ces travaux (encore en cours de dépouillement) semblent montrer que l’investissement dans l’apprivoisement des cochettes (via des contacts réguliers et un système de récompenses à base de sirop sucré), est rentabilisé par la suite car les interventions (vaccinations, pesées…) et les déplacements deviennent plus faciles. Responsable de cette étude, Florence Maupertuis, chargée de mission production porcine à la chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire, souligne toutefois qu’une bonne relation homme-animal « doit se construire et s’entretenir » (et donc qu’elle prend forcément du temps), mais aussi qu’elle peut être « source de plaisir pour l’éleveur ».
Les truies préfèrent le bois tendre
C’est aussi de plaisir dont il a été question dans une étude présentée par Alexandre Poissonnet de l’Ifip, mais cette fois il s’agissait de celui des truies, qui aiment jouer avec des objets. Le projet consistait à trouver quels étaient ceux suscitant le plus d’intérêt. Les essais montrent que les objets préférés par les truies sont des tasseaux en bois fixés au sol, mobiles mais avec une amplitude limitée de mouvement : ils restent accessibles en permanence et les truies peuvent les manipuler et les faire bouger avec leur bouche.
Toutefois, un écueil est apparu au moment de déterminer l’essence de bois préférée par les truies entre chêne, érable, hêtre et pin sylvestre. Ce dernier était en moyenne 4 à 5 fois plus exploré que les autres, mais il finissait par être détruit en quelques jours seulement : le coût de renouvellement des jouets devenait prohibitif. Des compromis sont donc à trouver entre le plaisir (de destruction) de la truie et son « budget jouet ».
Couper ou ne pas couper les queues ?
C’est aussi de compromis dont il a été question sur le sujet épineux de la coupe de la queue des porcelets. La législation interdit cette pratique « en routine », mais l’autorise en cas de risque de caudophagie. En pratique, la plupart des éleveurs considèrent que ce risque est toujours présent et continuent donc de couper systématiquement les queues lors d’une opération rapide après la naissance.
Plusieurs stations expérimentales porcines ont expérimenté l’arrêt de la coupe de la queue, certains depuis quelques années, et constatent, comme c’était attendu, que les épisodes de caudophagie sont plus nombreux lorsque les queues sont entières : à la station de Crécom (56), par exemple, 9% des porcs dont les queues ne sont pas coupées ont des plaies importantes à la queue en fin de post sevrage (aucun porc dans le lot à queue coupée). Ce pourcentage se réduit toutefois à 6% en fin d’engraissement car les attaques sont moins nombreuses et certaines plaies ont cicatrisé.
Les résultats montrent aussi que les cas sévères de morsure se concentrent sur certaines cases : 10% des cases ont 60% des cas graves et il y a un effet de contagion entre les animaux. Même si la plupart des porcs vivent donc une vie normale avec la queue entière, il y a un arbitrage à faire : en matière de bien-être, vaut-il mieux couper toutes les queues et faire un peu mal à tout le monde, ou laisser les queues entières et avoir quelques animaux fortement blessés ?
Heureusement, les études montrent aussi ce qu’il est possible de faire pour réduire les risques de morsure ou la gravité des morsures (mais sans garantir à 100% leur absence) : assurer de bonnes conditions d’espace et de nourriture, réduire les mélanges de portées lors de la mise en lot au post-sevrage, apporter régulièrement des jeux nouveaux aux animaux, et en particulier lors d’épisodes de caudophagie (des épisodes ont été « éteints » avec l’apport de nouveaux matériaux d’exploration), repérer les signes avant-coureurs, écarter les mordus à l’infirmerie (et les soigner avec cicatrisant et amérisant), et écarter aussi les mordeurs car certains individus sont plus portés sur la morsure que d’autres.
Davantage d'observation
Les retours d’expérience d’éleveurs ayant arrêté la coupe des queues depuis quelques années vont dans le même sens : pour maîtriser au maximum la caudophagie, il faut veiller au confort des animaux et à leur bien-être digestif, leur éviter les stress, leur apporter des jouets (bois, toiles de jute, chaînes, soucoupes…), et, en cas de signes avant-coureurs, réagir vite et faire diversion en changeant de case ou en apportant de nouveaux matériaux…
Point commun de toutes ces « solutions » : elles nécessitent de passer beaucoup de temps à observer ses animaux. Il faut donc être motivé et y trouver du plaisir, ce qui était effectivement le cas des éleveurs précurseurs et des salariés des stations expérimentales. Le conseil d’Aude Dubois, chargée des programmes de recherche à la station des Trinottières : commencer « petit », avec quelques animaux à la queue non coupée, pour apprendre à observer les signes précurseurs.
Les travaux sur ce sujet vont se poursuivre, en particulier pour estimer l’incidence économique de l’arrêt de la caudectomie sur l’ensemble du cycle de production : cet arrêt a en effet un coût, en matériels, en temps de travail, en produits vétérinaires, voire en saisies à l’abattoir. Là encore, des arbitrages seront à opérer par la profession et l’interprofession, dans un contexte économique déjà délicat pour la production porcine.