Que faire de la laine de mouton ?

C’est la question à laquelle répond une mission du CGAAER qui estime peu probable que la laine redevienne une source de profit pour les éleveurs, mais qui esquisse plusieurs pistes de valorisation d’un matériau biosourcé, recyclable, biodégradable et au final « porteur d’avenir ».

Résistante, élastique, renouvelable, isolante (thermique et phonique) antistatique, hypoallergénique, ignifuge, hygroscopique, peu perméable à l’eau froide, fixatrice de polluants atmosphériques : telles sont les qualités de la laine de mouton, une fibre naturelle composée majoritairement de kératine. Problème ? « Aujourd’hui le prix de vente de la laine, de quelques dizaines de centimes au kilo, ne couvre pas les frais de tonte qui s’élèvent en moyenne à 2,5 euros par toison », lit-on dans un rapport du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), qui s’est penché sur la valorisation de la laine et des peaux lainées. Le sort de ces dernières n’est pas plus enviable. « Seules les peaux d’agneaux de race Lacaune ou Mérinos sont valorisées, les peaux d’ovins adultes ou d’agneaux d’autres races sont en général directement détruites. Le coût de cette destruction, via l’équarrissage ou d’autres voies, est à la charge de l’abattoir, à qui il revient de l’amortir ».

Le prix de vente de la laine, de quelques dizaines de centimes au kilo, ne couvre pas les frais de tonte qui s’élèvent en moyenne à 2,5 euros par toison
Le prix de vente de la laine, de quelques dizaines de centimes au kilo, ne couvre pas les frais de tonte qui s’élèvent en moyenne à 2,5 euros par toison

Un gisement mal connu

Sur la base d’une production moyenne de 2 kg par animal (500 g pour une brebis Lacaune lait à 4-5 kg pour un mouton Est Mérinos), on estime à environ 10.000 tonnes la quantité de laine en suint produite chaque année en France. La filière souffre d’un gros déficit de caractérisation qualitative et quantitative de la ressource. « La réalisation d’un inventaire des qualités lainières de toutes les races françaises, à l’instar du document réalisé par le Bristih Wool est donc une priorité », recommande la mission du CGAAER. « De même, un suivi des productions, des marchés, nationaux et à l’export, sur les usages de la laine est un besoin pour les études économiques préalables au développement de la filière ».

A Villecomtal (Aveyron), Guillaume Jouin crée la marque La Maison Jouin , fabricant artisanal et sur mesure d’articles de literie et de matelasserie et décoration sur mesure
A Villecomtal (Aveyron), Guillaume Jouin crée la marque La Maison Jouin , fabricant artisanal et sur mesure d’articles de literie et de matelasserie et décoration sur mesure

Un cercle économique vicieux

La France disposait jusqu’au milieu du XXème siècle d’un outil industriel textile performant, permettant de valoriser la laine et les peaux lainées en de multiples produits : vêtements et chaussures à base de peaux retournées, ou de laines feutrées, tissées ou encore tricotées, confection des matelas ou des tapis. Le développement des textiles à base de coton, puis l’avènement, à partir des années cinquante, des fibres synthétiques, porteuses d’une image de modernité, permettant la fabrication de vêtements bon marché, faciles d’entretien et adaptés aux attentes des consommateurs, a déstabilisé l’économie de l’industrie lainière. A compter du début des années 1980, on a assisté à une disparition progressive de toutes les unités industrielles textiles en Europe du fait d’une perte de compétitivité vis-à-vis des pays émergents, combinée à des exigences environnementales rehaussées. Une à une, les petites unités de transformation de laine qui maillaient le territoire ont fermé et faute de débouchés locaux, les négociants ont dû se tourner vers le marché mondial, marché sur lequel ils ont rencontré des difficultés croissantes à commercialiser des laines ne correspondant pas aux standards techniques requis.

Le collectif Tricolor tente de faire renaitre une filière laine en France. Objectif : valoriser localement 25 à 50 % des toisons françaises d’ici à 2030
Le collectif Tricolor tente de faire renaitre une filière laine en France. Objectif : valoriser localement 25 à 50 % des toisons françaises d’ici à 2030

Des stocks qui s’accumulent

Il en a inévitablement résulté une baisse des prix d’achat de la laine aux éleveurs, amplifiée par le Covid-19. « La production de laine perdant son intérêt, les éleveurs se sont tournés vers des races produisant principalement de la viande ou du lait, délaissant la laine qui est devenu un sous-produit auquel aucune attention n’est portée ». Problème : éleveurs et négociants stockent respectivement la laine et les peaux lainées. Selon une enquête de la FNO réalisé en avril dernier, le stock des laines en élevage est estimé à 2940 tonnes dans les 49 départements ayant répondu. La FNO fait état de 13 départements dans lesquels il n’y a plus de collecte de la laine en ferme  et 24 autres où la collecte n’est que partielle.

Des valorisations potentielles à développer

La mission a exploré plusieurs voies de valorisation tombées en désuétude (compostage à la ferme, incorporation dans des engrais organiques et amendements), soit qui n’ont jamais été développées, faute de technologies adaptées (biométhanisation, hydrolyse plus ou moins poussée, ...). Le CGAAER recommande à la FNO, avec l’appui de l’Etat, de développer un dossier simplifié et un cahier des charges pour l’agrément et le fonctionnement d’unités de compostage à la ferme dans le respect des réglementations sous-produits animaux (SPAN) et installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). L’Anses est de son côté sollicitée pour réaliser une identification et une évaluation des risques sanitaires et environnementaux de la laine de mouton en suint utilisée comme fertilisant. A l’attention de l’agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (ADEME) et du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), il est demandé coordonner des travaux de recherche permettant de qualifier la laine de mouton française comme isolant et de développer des procédés de fabrication. « Le recours à ces nouvelles filières industrielles suppose une garantie sur la pérennité de la ressource et une réflexion sur à la fois la logistique d’approvisionnement et la valorisation économique pouvant être obtenue », pointe le CGAAER.

Les différents usages de la laine (Source : Mag’In France)
Les différents usages de la laine (Source : Mag’In France)

Recréer des capacités de lavage

La piste de l’utilisation de protéines animales transformées (PAT) issues de ruminants (donc de la laine) pour l’alimentation des animaux de compagnie est aussi évoquée, celle des animaux de rente demeurant interdite. Quelle que soit la destination retenue pour sa valorisation, au regard des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine (SPAN), la laine demande avant toute transformation une opération de lavage. Or, toutes les unités de lavage françaises ont disparu, à l’exception de celle de Saugue (Haute-Loire), au profit d’unités belges et espagnoles, sujettes à la saturation. La mission recommande de soutenir « l’étude de projet, voire le développement, d’une laverie industrielle du XXIème siècle en France via France 2030 ou tout autre mode d’aide au financement ».

Deux pré-requis

Le CGAAER fixe cependant deux pré-requis à l’ensemble de ses recommandations. Le premier consiste à appuyer le développement d’une interprofession pour la laine en France et veiller à ce que les différentes initiatives locales ou nationales visant à valoriser la laine française puissent bénéficier des financements offerts dans le cadre des plans de financement publics (nationaux ou européen) dès lors que l’ensemble présente une cohérence territoriale. Et de citer en exemple le collectif Tricolor qui a relancé une organisation interprofessionnelle et qui tente de faire renaitre une filière laine en France. Son objectif est de valoriser localement 25 à 50% des toisons françaises d’ici à 2030.

Le second pré-requis consiste à développer et promouvoir des bonnes pratiques d’élevage, d’organisation des chantiers de tonte et de sélection génétique au sein des troupeaux et à sensibiliser les éleveurs de moutons à l’intérêt de produire une laine et des peaux de qualité et ce, dès leur formation initiale. « Force est de reconnaitre que les méthodes de production des laines françaises (conduite d’élevage, sélection génétique et homogénéité des troupeaux, organisation de la tonte...) ne permettent pas d’obtenir des lots homogènes de laine de qualité suffisante pour répondre à la demande des industriels transformant la laine, ni des peaux répondant aux standards de l’industrie du luxe ».