Réapprendre à cohabiter avec le loup

Le loup est de retour durablement en France et il est impossible de s'opposer à la présence de cette espèce protégée. Toutefois, la menace perpétuelle qu'il engendre et ses attaques récurrentes génèrent des traumatismes chez les éleveurs. La plupart d'entre eux prennent des chiens de protection et se retrouvent accusés de générer des nuisances en raison des aboiements. Ils ont besoin de plus de soutien et de tolérance de la part de la société.

En juin dernier, les chambres d'agriculture ont entamé un cycle de conférences-débats pour faire dialoguer agriculture et société. Après les usages de l'eau, le deuxième « Rendez-vous des citoyens avec leur agriculture » s'est intéressé au loup, le 29 septembre. Objectif : « prendre du recul » sur un sujet médiatisé et passionnel.

Quelques centaines d'individus seulement

Ce « recul » a été notamment apporté par Vincent Vignon, directeur de recherche à l'Office de génie écologique : le loup fait partie des espèces qui regagnent du terrain et son expansion est observée dans tous les pays de l’Hémisphère nord. En France, cette reconquête reste toute relative : même si les comptages sont difficiles, la population tournerait autour de 600 individus, tous venus d'Italie. La reproduction du loup sur le territoire français a été documentée une seule fois, en 2013, dans les Vosges.

"A part la mer, aucun obstacle n'est insurmontable pour le loup."

« Le loup est partout où il a à manger et où il n'est pas tué », résume l'écologue, insistant aussi sur la forte propension de l'espèce à se disperser. « Les jeunes adultes, vers un à deux ans, quittent leur meute, généralement composée d'un couple et de ses jeunes. Un individu peut s'éloigner de 50 km à 1500 km, c'est-à-dire se promener partout en France. A part la mer, aucun obstacle n'est insurmontable pour le loup ».

Les ongulés sauvages en hiver : le facteur limitant

Pour Vincent Vignon, il n'y a pas d'explosion de la population des loups en France et même peu de risques que cela arrive : « Le loup est avant tout un prédateur d'ongulés, chevreuils, cerfs, sangliers, chamois. Même si le mouton figure à son menu, il ne le sélectionne pas spécialement. Les ressources clés pour les loups, ce sont les ongulés en hiver, période où les moutons ne sont pas disponibles. La population s'adapte à la ressource », assure-t-il.

Selon l'écologue, le loup est « très mal accueilli en France », beaucoup plus mal que dans d'autres pays limitrophes, où il parvient à se reproduire. La géographie, la densité humaine, expliquent ce mauvais accueil, mais aussi le rejet viscéral de cette espèce par les éleveurs et les habitants, qui ont oublié la menace qu'il faisait peser jusqu'au XIXe siècle. « En France, le loup a été éradiqué : le dernier a été tué dans les années 1930 ». Même remarque de la part de Jean-David Abel, administrateur de France Nature Environnement (FNE) et membre du groupe national loup : « On a vécu des générations sans ce prédateur, c'est un réapprentissage compliqué, c'est un bouleversement à ne pas minorer ».

Jean-David Abel, administrateur de France Nature Environnement (FNE) et membre du groupe national loup lors de la conférence-débat organisée par les chambres d'agriculture le 29 septembre 2021.

Une menace épuisante et injuste

Ce bouleversement, les éleveurs et leurs représentants ne manquent pas de le faire connaître : pour Cédric Laboret, éleveur et président de la chambre d'agriculture de Savoie-Mont-Blanc, « la situation est alarmante pour nous. On se sent démunis. En Savoie, il y a une explosion des attaques. Le loup tue et abîme. Parfois, les éleveurs doivent finir leurs animaux. Ce n'est pas cela, leur métier ».

Le président alerte aussi sur la détresse des éleveurs, soumis à pression par la menace constante du loup dans les alpages, détresse qui ne semble pas prise en compte par les Pouvoirs publics. Avec la MSA, l'organisme consulaire a d'ailleurs mis en place un accompagnement psychologique des éleveurs, avec notamment des collègues « sentinelles », pour les aider à parler et à relâcher la pression : « Lorsque leurs troupeaux sont attaqués, les éleveurs se sentent coupables, ils ont du mal à en parler ».

"Moins de 200 exploitations concentrent la moitié des attaques."

Les attaques du loup semblent en effet se concentrer sur certaines zones, certains troupeaux, et donc paraissent d'autant plus cruelles et injustes : « Certaines exploitations, peu nombreuses, peuvent avoir 20 à 25 attaques par an », remarque Jean-David Abel, de France nature environnement. « Mais globalement, sur 3000 exploitations qui ont mis en place des mesures de protection, les deux tiers n'ont eu aucune attaque dans l'année et 13% ont eu une seule attaque. Moins de 200 exploitations concentrent la moitié des attaques ».

Les éleveurs sont certes indemnisés pour les pertes subies. Mais le fait de vivre en permanence avec la menace qui rode, ou d'avoir à achever des bêtes constituent des traumatismes importants.

Les tirs sont possibles en dernier recours

Pour Jean-David Abel, ces statistiques montrent que les moyens de protection (les chiens, les parcs de nuit...) fonctionnent bien, mais qu'un effort de suivi, de protection renforcée doit se porter sur les zones très attaquées. Et de reconnaître que lorsque rien ne fonctionne, il n'est pas exclu de tuer l'animal qui pose problème. « Détruire des individus peut faire partie de la protection de l'espèce, mais il faut faire les choses dans le bon ordre ».

De son côté, l'éleveur et responsable agricole Cédric Laboret regrette que ces tirs soient très difficiles à obtenir sur le plan administratif. Mais il reconnaît que le monde agricole a néanmoins « acté » que le loup revenait durablement : « C'est un choix de société. Mais on aimerait que tout le travail supplémentaire que cela engendre soit mieux pris en compte ».

Cédric Laboret, éleveur et président de la chambre d'agriculture de Savoie-Mont-Blanc, lors de la conférence-débat sur le loup organisée par les chambres d'agriculture le 29 septembre 2021.

Les chiens protègent, les voisins portent plainte

Pour s'adapter à la présence du loup, les éleveurs ont donc massivement fait appel à des chiens de protection, souvent des montagnes des Pyrénées (ou patous). « 90 % des troupeaux ont des chiens », explique Cédric Laboret. Et malheureusement pour les éleveurs, ces moyens de protection semblent aussi poser problème aux autres utilisateurs de la montagne : les randonneurs, les sportifs, les professionnels du tourisme, ou même les riverains des bergeries dans les villages, se plaignent régulièrement de nuisances. Ils estiment que ces chiens leur font peur (même si les cas de morsures sont rares...), mais surtout qu'ils sont bruyants : les aboiements des patous sont effet leur principale arme de dissuasion face aux prédateurs.

« Les éleveurs n'ont pas choisi cette situation, et se retrouvent au cœur de conflits de voisinage. Ils se sentent désociabilisés », regrette Cédric Laboret. Cette situation a été soulignée récemment par la Confédération paysanne, dans un communiqué du 28 septembre dernier : « L’État doit légiférer en créant un statut particulier pour les chiens de protection des troupeaux afin de confirmer que la coexistence avec les grands prédateurs est l'affaire de tous et impose à tous de faire des concessions ».

Apprendre à vivre avec le loup implique aussi de cohabiter avec les chiens de protection des troupeaux, leur présence et leurs aboiements. Les éleveurs demandent un statut juridique particulier pour ces animaux.

Dialogue, concessions, expérimentations

Concessions, coexistence, concertation sont des valeurs qui parlent beaucoup à Philippe Gamen, président du Parc naturel régional du Massif des Bauges, et vice-président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France : « Depuis toujours, les parcs naturels régionaux prônent le dialogue, la médiation et l'équilibre avec les activités humaines. En 2017, nous avons pris une motion de soutien à l'activité pastoraliste, tout en respectant le statut de protection du loup », décrit-il.

Dans leur recherche de conciliation entre pastoralisme et protection du loup, plusieurs parcs régionaux ont mis en place des expérimentations, et Philippe Gamen aimerait qu'elles puissent se poursuivre, avec « plus de moyens et plus de liberté ». En complément des chiens de protection, des moyens d'effarouchement des loups ont été testés, ainsi que des drones, des réseaux d'alerte entre éleveurs, des « colliers anti hyènes » importés d'Afrique, et aussi, des bergers d'appuis pour les éleveurs. « On se cherche, on teste, cela fonctionne plus ou moins bien. Ce qui est certain c'est qu'il ne peut pas y avoir une solution standard, mais des solutions, adaptées à chaque contexte », estime Philippe Gamen.

Un besoin de travaux en éthologie

« Ce qui nous manque le plus, ce sont les références sur le comportement du loup, en fonction des milieux », remarque Philippe Gamen. Le loup est en effet un animal remarquablement intelligent, adaptable, mobile et donc imprévisible. Par exemple, en France, il était autrefois présent dans les plaines, alors qu'aujourd'hui, il revient et pose des soucis essentiellement dans les massifs montagneux. Il a beau être connu comme le loup blanc, Canis lupus recèle encore beaucoup de mystères.