La zone Euro rattrapée par le Coronavirus

Il n’est pas exagéré de dire que cette épidémie de Coronavirus a semé la panique depuis maintenant plusieurs semaines. Panique sanitaire évidemment, mais aussi panique économique et financière. Dans le cas de la zone Euro, les deux sont intimement liées. Car avec le confinement, l’activité économique se contracte lourdement, quel que soit le secteur. Conduisant ainsi les gouvernements de la zone Euro à lâcher les dépenses publiques pour soutenir une économie en phase de dévissage aigu, selon une ampleur inédite depuis la crise des années 2008-2014. Crise qui avait porté la zone Euro aux limites de l’éclatement.

Même si les prévisions de croissance de l'UE, et de sa composante zone Euro, avaient été révisées à la baisse par les principales institutions internationales à la fin de l'année 2019, la propagation du virus Corona a bouleversé les perspectives économiques. En France, comme ailleurs, la récession est soit déjà là, soit en gestation. Le Ministre de l'économie Bruno Le Maire l'a confirmé, elle serait forte en 2020 pour l'économie française, aux environs de – 1% (la prévision pour 2020 était de +1,3%), voire davantage dans l'hypothèse où la sortie de crise sanitaire tarde à venir. Ce serait ainsi la quatrième plus forte récession depuis 1950. Dans la zone Euro, la BCE indique que la récession pourrait être de l'ordre de – 5%.

Et l'exécutif français de sombrer dans une angoisse politique abyssale, à l'idée de voir les cas de faillites d'entreprises se multiplier, ou de fermetures temporaires pour protéger leurs salariés. De grandes manœuvres ont donc été entreprises dans la zone Euro ces derniers jours pour juguler l'épidémie de récessions.

L'Etat à la manœuvre

La métaphore énoncée par le Ministre l'Action et des Comptes Publics, Gérald Darmanin, mérite d'être retenue : Quand la maison brûle, on ne compte pas les litres d'eau pour éteindre l'incendie » (18 mars 2020). Concrètement, cela va se traduire en France par une injection de dépenses publiques de 45 milliards d'€ dans un premier temps, assorti d'une garantie de l'Etat sur les demandes de crédits bancaires des entreprises de quelque 300 milliards d'€. S'y ajoute un fonds de solidarité de 1 – voire prochainement de 2 – milliard d'€, pour les indépendants. Il s'ensuit que, si l'on met à part les 300 milliards de garantie, qui ne constituent pas une dépense réelle, le déficit budgétaire de la nation, initialement estimé pour 2020 à – 2,9% du PIB, se situerait au bas mot à – 4% environ. Le déficit budgétaire se fixerait alors à – 108,5 milliards d'€.

De manière consubstantielle, les levées de fonds sur le marché financier mondial par l'Agence France Trésor devraient être orientées à la hausse. Une première tranche, d'environ 7 milliards, sur des maturités de 3, 5 et 7 ans, a été lancée jeudi 19 mars. La dette française, comme celles des autres pays membres de la zone Euro, va s'alourdir, franchissant allègrement le seuil des 100% du PIB en France.

Conséquence directe, on observe une remontée des taux d'intérêt sur les marchés, tournant la page des emprunts à taux négatifs, qui allégeaient les charges financières de l'Etat. Les créanciers s'inquiètent d'une dégradation des finances publiques de la zone Euro, et augmentent donc les conditions financières dans lesquelles ils prêtent aux Etats. D'où le surgissement, tel un spectre, de la menace d'une nouvelle crise des dettes dans la zone Euro, une décennie après celles de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal.

La BCE entre en scène

La sévère contraction de l'activité économique fragilise les banques. Sur les quinze premiers jours de mars 2020, l'indice du secteur bancaire européen a perdu 40% de sa valeur, exposant les établissements bancaires à un choc d'illiquidités. C'est pourquoi la BCE a débloqué 109 milliards d'€ de liquidités pour les banques de la zone Euro.

Etant donné l'engagement budgétaire des Etats qui va se traduire par un alourdissement de leurs dettes publiques, la Banque de Francfort a également décidé de porter à 750 milliards son programme de rachats de dettes des Etats.

Certains experts avancent également l'idée d'une création d'un « Covid-Bonds », obligations d'Etats destinés à financer les mesures pour lutter contre l'épidémie, la BCE se positionnant comme acquéreurs de ces obligations dans un second temps. La condition requise est que, contrairement à la crise des années 2008-2014, les pays membres de la zone Euro se mettent enfin d'accord pour lancer ce type d'obligations d'Etat.

Un tournant pour la zone Euro... et pour la construction européenne

Il semble évident que, dans la crise multidimensionnelle actuelle, une page va se tourner pour la zone Euro. En ouvrant les vannes des liquidités, des déficits et de l'endettement, voire, dans le cas français, des nationalisations, le mode de gouvernance de la zone va devoir être révisé de fond en comble, et l'Allemagne de se résoudre à admettre – au regard pourrait-on dire, du désastre sanitaire actuel dans des pays comme la Grèce, à qui l'on a infligé, sous l'impulsion de Berlin et de l'Eurogroup, une cure d'austérité qui a totalement désorganisé le système hospitalier – que la zone Euro, et, par extension, l'UE dans son ensemble, ne peuvent plus fonctionner selon les critères de l'ordolibéralisme...car, a-t-il été indiqué, « nous sommes en guerre ».

Dit autrement, c'est bien l'Etat qui, dans toutes ses dimensions, est aujourd'hui défié par la crise. Réexaminer les décisions prises hier, reconnaître les erreurs, et jeter les linéaments d'une autre politique économique pour la zone Euro et pour l'UE, seraient une démarche salutaire. Car dans les fonctions mêmes de l'Etat, régaliennes nous a-t-on dit, celle de garantir le bien-être du plus grand nombre, demeure intacte.

La crise du Covid-19 constitue bel et bien une force de rappel pour l'UE, pour la première économie de la zone Euro. Etre à la hauteur des enjeux, c'est apporter avec un volontarisme convergent, des réponses idoines pour que l'économie, la société, et la démocratie, soient préservées. L'histoire de la Grande Dépression des années 1930 – cela remonte à 90 ans – est là pour le montrer. L'Administration Roosevelt avait réuni autour d'elles des équipes qui ont su répondre dans l'urgence, aux défis de la crise. La question qui désormais se pose est la suivante : le Covid-19 est-il le signe annonciateur de la fin du libéralisme mondialisé ? L'heure des bilans n'est plus très loin.

Contact : Thierry Pouch - APCA