Fièvre porcine africaine : « la plus grave crise sanitaire de l’histoire touchant l’élevage » (expert)

L‘épizootie de fièvre porcine africaine qui sévit depuis plusieurs années, a décimé une grande partie du cheptel porcin mondial. Comment la Chine, particulièrement touchée va gérer cette crise sanitaire ? Comment la France, au statut sanitaire indemne, peut tirer son épingle du jeu ? Eléments de réponse avec Béatrice Eon de Chezelles, Ingénieure d’affaires Agri Agro spécialisée filières animales à la Direction de l’Agroalimentaire de Crédit Agricole SA.

Où en est l'épizootie de FPA dans le monde ?

Béatrice Eon de Chezelles : « Avant tout, il est important de comprendre que le monde traverse aujourd'hui probablement la plus grave crise sanitaire de l'histoire touchant l'élevage. La Fièvre Porcine Africaine (ou Peste Porcine Africaine) est un virus à ADN très contagieux, qui touche sangliers et porcs, mortel dans 90% des cas sous moins de deux semaines. Ce virus n'est absolument pas transmissible à l'Homme. Aucun vaccin ni traitement n'est disponible à ce jour.

Ces dernières années, le virus de la fièvre porcine africaine (FPA) s'est propagé en Europe de l'Est. Quelques cas de sangliers atteints en Belgique font craindre que la FPA n'arrive en France via les Ardennes. Cependant, le dispositif préventif mis en place à la frontière franco-belge semble aujourd'hui très efficace.

Le plus important sujet du moment est la propagation du virus dans les pays d'Asie, notamment le Vietnam, le Cambodge, le Laos... mais surtout la Chine, dont toutes les provinces sont touchées. »

Quel est l'effet sur les pays exportateurs ?

B. E. : « Il faut bien avoir à l'esprit l'importance que représente la filière porcine en Chine. Les Chinois sont de très grands consommateurs de viande de porc, ils consomment et produisent environ la moitié de la production mondiale. Ils ne savent pas, culturellement, se passer de viande de porc, même si une légère transition vers la volaille est à prévoir. Or, plus de 40% de leur cheptel est aujourd'hui décimé, soit par la maladie, soit par les mesures préventives prises face à la crise.

De fait, cela constitue une opportunité de taille pour les pays exportateurs. Et en particulier les pays de l'UE, les Etats-Unis étant aujourd'hui freinés par la guerre commerciale que se livrent les Américains et les Chinois.

Les pays de l'UE les plus concernés par les exportations à destination de la Chine sont l'Espagne et l'Allemagne. Mais la France a sa place dans cet échiquier et en profite également largement. Au total, les prix du porc et des pièces issues de la découpe porcine ont fortement augmenté en UE et en France. La référence du Marché du Porc Breton affiche un prix de 1,68 euros/kg, sachant qu'il affichait 1,18 euros/kg en janvier dernier.

A l'inverse, la situation est malheureusement très compliquée pour les industriels de la transformation, en particulier les salaisonniers français. Ces derniers peinent à trouver de la matière massivement envoyée à l'export, qu'ils paient historiquement cher, sans pouvoir répercuter l'intégralité des hausses de coûts de production à la Grande Distribution, dans un contexte de baisse de la consommation de produits carnés... »

Comment la Chine va gérer cette épizootie ?

B. E. : « A l'heure actuelle, la situation est totalement hors de contrôle en Chine. Les productions de basse-cour, largement atteintes, sont décimées. Beaucoup ne s'en remettront pas. Et l'on assiste aujourd'hui très probablement à une mutation profonde et accélérée de la production porcine chinoise. Ayant pris conscience de l'ampleur de la catastrophe économique et humaine en jeu (le prix du porc atteint des niveaux inabordables pour bon nombre de Chinois), les autorités ont entamé une politique de relance de la production au travers de subventions et de facilités d'investissement dans le cas de projets en ligne avec des normes de biosécurité prédéfinies. De plus, on voit se développer de véritables usines de production de porcs de plusieurs dizaines de milliers de truies, extrêmement techniques et dépassant très largement les normes européennes de biosécurité d'aujourd'hui.

De fait, au regard des investissements actuels et de l'énergie déployée, la Chine saura tôt ou tard gérer cette épizootie et relancer sa production. Cela ne se fera pas avant quelques années. Les estimations sont très variables selon les experts (de 3 à 5 ans pour les uns, de 8 à 10 ans pour les autres). »

Comment la filière française peut-elle profiter durablement de cette situation exceptionnelle ?

B. E. : « On le sait, la filière française n'est pas très compétitive comparativement à ses voisins européens, en particulier le maillon abattage/découpe.

Il est donc important qu'elle « profite » de ces quelques années très prometteuses à venir pour préparer l'après, en investissant dans des outils de production performants et répondant à des critères d'avenir (bien-être animal) et dans la modernisation de ses outils d'abattage et de découpe. »