L’activité agricole, au sens juridique et fiscal : l’absence d’uniformité est source de confusion

Les définitions juridiques et fiscales de l’activité agricole peuvent poser difficultés aux sociétés civiles agricoles. Juridiquement ,elles ne doivent avoir que des activités agricoles, mais la fiscalité tolère certaines activités commerciales.

Des définitions différentes...

Le droit définit les activités agricoles[1] selon plusieurs critères : par leur nature (de production), par rattachement ou dans le prolongement de la production (transformation, vente directe) ou par le support (ferme auberge), ainsi que par détermination de la loi (activités équestres, méthanisation...). Les exploitants sont aussi autorisés à réaliser, sous conditions, certaines activités commerciales (déneigement, photovoltaïque).

Cependant, la fiscalité définit quant à elle, comme agricoles[2], les activités de production, qui s'inscrivent dans leur prolongement, ainsi que certaines activités équestres, la biomasse, la production d'énergie à partir de produits majoritairement issus de l'exploitation agricole ....

Ainsi, ces définitions diffèrent et ne sont donc pas coordonnées. A titre d'exemple, une société civile d'exploitation agricole (GAEC, EARL ou SCEA) pourra développer une ferme auberge utilisant majoritairement les produits de l'exploitation. Cette activité sera agricole au sens juridique. Cependant, elle génèrera par ailleurs, une fiscalité commerciale au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Pour conserver le statut fiscal de sa société civile agricole et éviter les difficultés, l'exploitant devra alors veiller à limiter les recettes fiscales générées par l'activité commerciale.

 ... pour des conséquences différentes...

 La loi permet à un GAEC ou une EARL de ne poursuivre que des activités exclusivement agricoles[3]. Si ces sociétés dépassent leur périmètre d'activité, elles risquent la perte de leur statut, le retrait d'agrément pour un GAEC, et plus généralement une extension de la responsabilité de leurs associés et de leurs gérants, voire une remise en cause des actes passés en dehors de ce périmètre[4].

La définition fiscale de l'activité agricole permet de qualifier le régime fiscal de traitement des revenus générés par l'exploitation. Sous le régime de l'impôt sur le revenu (IR)[5], l'activité agricole génèrera des bénéfices agricoles (BA), les activités autres génèreront des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou non commerciaux (BNC). Une société civile relevant de l'IR qui réaliserait des activités commerciales risque de devenir passible de l'impôt sur les sociétés (IS) si elle réalise des activités fiscalement commerciales (ferme auberge, achat revente ...)[6]. Ce passage à l'IS, par dépassement fiscal de l'activité, n'est jamais souhaitable, car source de complication et de surcoûts.

... mais avec des tolérances... différentes

Un dépassement juridique de l'activité agricole pourrait théoriquement être couvert par l'application de la théorie de l'accessoire. Celle-ci autorise le rattachement d'actes commerciaux réalisés en même temps, qui sont moins importants et surtout nécessaires à une activité civile. Cependant, cette tolérance est en pratique limité et difficile à mettre en œuvre.

En revanche, la fiscalité prévoit des seuils de tolérance pertinents. Ainsi, les produits, relevant des BIC et BNC, provenant d'activités accessoires d'un exploitant agricole au réel, « peuvent être pris en compte pour la détermination du bénéfice agricole lorsque, au titre des trois années civiles précédant la date d'ouverture de l'exercice, la moyenne annuelle des recettes accessoires commerciales et non commerciales de ces trois années n'excède ni 50 % de la moyenne annuelle des recettes tirées de l'activité agricole au titre desdites années, ni 100 000 € »[7]. Les exploitants bénéficient, dans le contexte fiscal, de tolérances chiffrées dont l'usage est beaucoup plus large, simple et clair que la tolérance juridique.  

Eviter les pièges !

Ces différences créent un véritable terrain miné pour les sociétés civiles d'exploitation agricole. En effet, les EARL et les SCEA, et surtout les GAEC du fait de leur procédure et critères d'agrément, doivent respecter le champ juridique de leur activité, en utilisant les tolérances fiscales pour combler les écarts créés par le caractère plus réduit du champ fiscal. Mais attention, les tolérances fiscales ne permettent pas d'étendre le champ juridique de l'activité de ces sociétés.

Ainsi il est possible de traiter les conséquences fiscales d'une activité de ferme auberge, génératrice de BIC, dans une société civile d'exploitation agricole. Mais il n'est pas possible de traiter les conséquences juridiques d'une activité de prestations de travaux agricoles, juridiquement commerciale, en société civile, alors même qu'elle serait couverte par les tolérances fiscales. Il en irait de même pour une activité d'achat revente, sauf à démontrer que celle-ci est connexe, accessoire et nécessaire à la réalisation de l'objet agricole de la société (théorie juridique de l'accessoire), ce qui est toujours très aléatoire.

Gaec et Société Eric Mastorchio et Victoria Timmerman