761 tonnes de carbone en moins et une grosse bouffée d’oxygène

Éleveur allaitant à Uzan (Pyrénées-Atlantiques), Jean-Luc Péret a remis tous les compteurs à zéro, depuis la race jusqu’à la valorisation de ses animaux en passant par l’affouragement et le système cultural. A la clé : moins de carbone, plus de ressources, et moins de charges, financière et mentale.

A quand un outil de diagnostic du bien-être en agriculture, histoire de contrebalancer un tant soit peu la comptabilité rouge vif des exploitations, sans parler de la funeste comptabilité des suicides ? En attendant cet indicateur du bonheur agricole, Jean-Luc Péret s’est frotté à l’outil de diagnostic Cap2’Er, la méthode mise au point par l’Institut de l’élevage pour jauger la durabilité des exploitations et les inscrire dans une trajectoire de décarbonation. L’éleveur d’une cinquantaine de limousines fait en effet partie des 300 premiers éleveurs de ruminants qui recevront incessamment sous peu le Label bas carbone (LBC), délivré par le ministère de la Transition écologique.

En 2020, avec l’appui de la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques, il a réalisé son diagnostic initial et formalisé son plan d’action. « J’ai cinq ans devant moi pour faire l’économie de 761 tonnes de carbone, déclare l’éleveur. Les leviers principaux résident dans la plantation de haies, l’implantation de prairies et la mise en œuvre du semis direct ».

Selon le plan d’actions établi par la Chambre, l’exploitation devrait faire l’économie de 761 tonnes de carbone dans les cinq ans à venir, sous forme de séquestration et de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Selon le plan d’actions établi par la Chambre, l’exploitation devrait faire l’économie de 761 tonnes de carbone dans les cinq ans à venir, sous forme de séquestration et de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Pâturage tournant dynamique et échange de parcelles

L’éleveur ne part pas de zéro. Au cours des cinq années passées, il a complètement remis à plat son système d’exploitation, totalisant 45 ha. La plus grosse transformation réside dans la valorisation du pâturage. « Dans mon système précédent, mes pâtures s’apparentaient davantage à des parcours qu’à une véritable ressource alimentaire et les bêtes passaient l’essentiel de leur temps dans les bâtiments. Aujourd’hui, elles sont neuf à dix mois dehors hors période d’engraissement final ».

"J’ai échangé des parcelles à plus de 130 qx/ha contre des plus petites où le maïs ne pousse pas"

L’éleveur a réussi à constituer un bloc d’un seul tenant de 26 ha, non sans faire quelques sacrifices. « J’ai notamment échangé avec deux voisins deux parcelles à plus de 130 quintaux de maïs contre une autre un peu plus petite où le maïs ne pousse pas, en rigole l’éleveur, trop heureux de mener son projet à bien. Il me resterait un dernier échange à réaliser pour bien faire ».

Qu’à cela ne tienne, 4 kilomètres de fil barbelé et 9 kilomètres de fil de clôture plus tard, les 31 paddocks tous alimentés en eau voient tourner tous les deux à quatre jours les quatre lots d’animaux (vêlages de printemps et d’automne), auxquels s’ajoute un cinquième dédié à la sélection.

L’éleveur en a profité pour se débarrasser d’une parcelle contiguë au chemin de Compostelle, et qui lui valait de temps en temps l’acrimonie de certains randonneurs à la vue du pulvé. Une expérience « traumatisante ».

A coup d’échanges de parcelles, l’éleveur a réussi à constituer un bloc de 26 ha découpé en 31 paddocks
A coup d’échanges de parcelles, l’éleveur a réussi à constituer un bloc de 26 ha découpé en 31 paddocks

Dolomie du Poitou et lablab tropical

La surface fourragère est ainsi passée de 18 ha à 32 ha, le solde étant partagé entre maïs ensilage, maïs grain et soja. Cette année, le maïs grain et le soja seront confiés aux établissements Evialis qui lui retourneront en aliment enrichi en colza, lin et luzerne pour bien finir ses bêtes, qu’il bichonne et on va comprendre pourquoi. De leur côté, les établissements Lacadée l’approvisionnent en dolomie du Poitou, un sable doux riche en carbonate de calcium, en remplacement de la paille provenant d’Espagne. « J'ai découvert ce produit à l’occasion de visites d'exploitation autour d'un concours, comme quoi la sélection, ça a du bon, comme pour justifier la passion que l’éleveur voue à la génétique. La dolomie ne monte pas en température comme la paille et les mouches sont moins nombreuses car il y a moins d’éclosions. C’est donc plus sain et en prime plus économique que la paille. Je m’y retrouve aussi sur le poste fertilisation, grâce à la correction du pH ».

Au champ, c’est du côté des tropiques que l’éleveur s’est tourné en introduisant le lablab, une légumineuse qui s’accroche au maïs (le haricot maïs du Béarn et l’IGP Haricot tarbais Label rouge ne sont pas loin). L’association permet de renforcer l’ensilage en protéines et de conforter la quête d’autonomie alimentaire.

Le maïs associé à la légumineuse lablab participe à l’autonomie alimentaire de l’élevage
Le maïs associé à la légumineuse lablab participe à l’autonomie alimentaire de l’élevage

Chute des charges

En matière d’autonomie, l’éleveur a fait un grand bond en avant avec le pâturage tournant dynamique, comme en témoigne la facture d’aliment, divisée par trois. Ce n’est pas là le seul avantage. « Les animaux dehors, c’est moins de grippes, moins de diarrhées et moins de problème de pied », comptabilise l’éleveur qui a divisé sa facture vétérinaire par cinq ou six. Adieu aussi la mélangeuse et le tracteur, une facture originelle de 38.000 euros, sans compter l’entretien et le carburant. La facture de ce dernier va encore s’alléger avec la mise en œuvre du semis direct dès ce printemps, via l’entremise d’un voisin rompu à la technique, pour la modique somme de 60 €/ha. Jean-Luc Péret était déjà un adepte de longue date des couverts intercultures.

Après les couverts intercultures, c’est le semis direct qui va faire son apparition cette année
Après les couverts intercultures, c’est le semis direct qui va faire son apparition cette année

Le semis direct va bonifier son bilan carbone, tout comme le projet de planter des haies supplémentaires à l’automne prochain, qui feront aussi office de brise-vent et de pare-soleil pour les bêtes. Des espèces mellifères seront privilégiées, histoire de nourrir les abeilles de l’apiculteur en herbe qu’est Aurélien, le fils de Jean-Luc, piqué... aux Limousines.

A l’occasion de ce grand big bang, l’éleveur a troqué la Blonde d’aquitaine pour la Limousine, jugée plus adaptée au système mis en place, et s’est aussitôt réinvesti dans la sélection.

Recettes en hausse

Bien lui en a pris. Christian et Valérie Bruneau, artisans bouchers à Lacq (Pyrénées-Atlantiques), à un quart d'heure de l’exploitation, recherchaient de la viande de limousine en local et en direct. Une bête aura suffi pour toper. « Avec mon boucher, on s’est mis d’accord sur 5,40 euros le kilo et chacun joue la transparence totale sur ses chiffres, autour d’un café le dimanche matin ». Il faut dire qu’entre-temps, le boucher a élu domicile à Uzan, avec vue sur les paddocks ! « Finies les discussions usantes avec le négociant où, même avec la meilleure bête du monde, il y a toujours quelque chose qui ne va pas, dit l’éleveur dont le soulagement se fait toujours sentir. Aujourd’hui, c’est avec les clients de mon boucher que je discute, mais jamais du prix. On parle du mode d’élevage, de l’alimentation, du bien-être, du carbone aussi. J’ai l’impression de revivre ».

Toute la production est valorisée auprès d’un artisan boucher local
Toute la production est valorisée auprès d’un artisan boucher local

Le carbone justement, c’est aussi ce qui devrait rapporter quelques subsides sur l’exploitation, grâce aux 30 euros la tonne négociés par France Carbon Agri. Selon le plan d’actions établi par la Chambre, l’exploitation de Jean-Luc Péret devrait faire l’économie de 761 tonnes de carbone dans les cinq ans à venir, sous forme de séquestration et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le carbone, l’argent, leur odeur, leur couleur, c’est quelque chose. Mais le bien-être, c’est autre chose.