Abattage à la ferme : à la vie, à la mort

Après Le bœuf éthique, initiative d’Émilie Jeannin, un nouveau projet d'abattage alternatif devrait voir le jour d'ici quelques mois. Porté pour l'heure par l'association AALVie, à terme par une Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC), l'outil comprendra des caissons mobiles pour l'étourdissement et la saignée, et une unité fixe pour la mise en carcasse.

Être éleveur, c’est faire naître, nourrir, protéger, soigner des animaux. C’est bâtir une relation qui dure quelques mois, quelques années, et qui se termine généralement par la mort de l’animal. Cette étape finale n’est jamais la préférée des éleveurs, mais tous savent qu'elle fait partie du métier.

Accompagner les bêtes jusqu'au bout

Pourtant, « il y a un certain tabou autour de cela », estime Guylain Pageot, éleveur laitier bio en Gaec, à Bourgneuf-en-Retz (44), « on n’en parle pas beaucoup entre nous ». Lui, se sent depuis toujours très concerné par cette question de la mort des bêtes qu'il a élevées, et il s'efforce de les accompagner, quand c'est possible, jusqu'au piège de l'abattoir où elles sont insensibilisées.

Un jour de 2017, l'abattage d'une de ses vaches coïncide avec une assemblée générale du GAB 44, le groupement des agriculteurs biologiques auquel Guylain Pageot appartient. L'éleveur décide d'évoquer cette question sensible et constate qu'il n'est pas le seul à s'interroger sur cette étape et à vouloir, pour ses bêtes, quelque chose de mieux qu'un abattage anonyme à des cadences élevées. De cette discussion informelle entre collègues bio naît un groupe de travail, puis un projet « d'abattoir mobile » ; celui-ci prévoit de travailler en lien étroit avec un abattoir de proximité, celui de Challans en Vendée. Cet ancien abattoir communal est alors détenu par la Covia, une coopérative d'éleveurs et Bichon GL (commerce privé), et il est habitué à faire des petites séries.

Un atout pour bâtir des Projets alimentaires territoriaux

Toutefois, en 2019, l'abattoir de Challans est placé en liquidation judiciaire et cesse son activité. Pour les porteurs de projet de l'abattoir mobile, c'est une déception, mais c'est aussi l'occasion de redéfinir le projet initial : il faut lui donner une dimension nouvelle, celle d'un outil de territoire, au service des éleveurs qui souhaitent accompagner leurs animaux jusqu'à la mort. Il correspond aussi à la demande citoyenne pour une alimentation locale, formalisée par les PAT (Projets alimentaires territoriaux), à la préoccupation sociétale grandissante autour du bien-être animal, et il répond même en partie à la problématique de l'abattage d'urgence de certains animaux jugés intransportables.

Le projet d'abattoir mobile quitte donc le périmètre des seuls éleveurs bio, pour être porté par une association, AALVie (Abattage des animaux sur leur lieu de vie), dont Guylain Pageot prend la présidence. En peu de temps, pas moins de 200 éleveurs du secteur manifestent leur intérêt pour le projet en adhérant à l'association. Pour ses adhérents, comme pour les membres du Conseil d'administration, AALVie veille à l'ouverture : aux différents systèmes (bio et non bio), aux différentes espèces (bovins laitiers, allaitants, ovins, caprins, porcins) et même aux différentes sensibilités syndicales.

Un projet inspiré par un système allemand

L'investissement important de ces éleveurs au sein des commissions thématiques de AALVie (commissions financière, éleveurs, bâtiment, valorisation et sanitaire), le soutien des collectivités (Région, Département, Nantes Métropole, Pôle d'équilibre territorial et rural du Pays de Retz et des com'com'), et celui de donateurs (72 000 euros récoltés sur la plateforme de financement participatif Miimosa) permettent aujourd'hui au projet d'être près de voir le jour, avec une construction en 2022 et une mise en service prévue pour 2023.

"L'unité mobile n'est qu'un prolongement de l'abattoir, qui n'est plus le lieu de mise à mort, mais de mise en carcasse."

Techniquement, l'abattage à la ferme version AALVie est très différent du Bœuf éthique. Dans ce dernier en effet, c'est toute la chaîne d'abattage qui se déplace à la ferme. AALVie s'inspire quant à elle d'un système allemand, dans lequel ne se déplacent sur l'élevage qu'une cage de contention, un caisson mobile et un boucher : « L'unité mobile n'est qu'un prolongement de l'abattoir, qui n'est plus le lieu de mise à mort, mais de mise en carcasse », décrit Guylain Pageot. « Ce principe permet à l'abattoir mobile de rester dans la législation actuelle ». Il impose cependant une forte contrainte : il doit s'écouler moins d'une heure entre la mort et la mise en carcasse. « Ce périmètre d'une heure autour de l'unité de mise en carcasse détermine le territoire du projet ».

Passer de l'animal à la viande

Tout animal à abattre devra avoir été vu la veille par un vétérinaire, qui donnera l'autorisation sanitaire. Le jour J, l'animal est conduit par son éleveur dans le système de contention, où le boucher accomplit le geste de l'insensibilisation. Le système de contention se retourne au-dessus du caisson, et la mort de l'animal est donnée par une saignée. Le caisson comprenant l'animal mort et son sang (aucun déchet ne reste sur la ferme) prennent alors la route de l'unité de mise en carcasse.

"Redonner de la noblesse à l'acte de passer de l'animal à la viande."

« L'animal est au cœur du projet, explique Guylain Pageot. Il ne quitte pas son lieu de vie et il est accompagné, entouré, dans ce moment très important. Le geste de la mise à mort est un geste fort, fait par un professionnel dans un contexte posé et calme ». Si le bien-être animal est amélioré, Guylain Pageot estime que celui des humains l'est aussi : les éleveurs bouclent le cycle de vie complet de leurs bêtes ; et les bouchers peuvent retrouver le sens de leur métier : « Nous voulons recruter des gens qui veulent travailler autrement, redonner de la noblesse à l'acte de passer de l'animal à la viande ».

Une unité fixe et 6 caissons mobiles

Si le plan de financement se boucle comme prévu, la construction d'une première unité de mise en carcasse devrait démarrer en 2022 du côté de Machecoul (44). Elle sera accompagnée de 6 caissons mobiles, se déplaçant dans le périmètre d'une heure de route autour de Machecoul (soit le sud de la Loire-Atlantique, le nord de la Vendée). Une douzaine de personnes seront nécessaires au fonctionnement de l'ensemble, essentiellement des bouchers, qui alterneront entre les caissons mobiles et l'unité de mise en carcasse.

Des bovins, ovins, caprins et porcins pourront être abattus dans cette unité constituée sous forme de SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif). Son conseil d'administration comprendra non seulement de représentants des éleveurs, mais aussi des salariés, des vétérinaires, des ateliers de découpes et des collectivités, dont le soutien au projet est déterminant.

Différents circuits locaux

Contrairement à un abattoir, la SCIC ne s'occupera pas de la commercialisation, mais fournira uniquement une prestation d'abattage : le devenir des carcasses relèvera du choix de l'éleveur, qui pourra les confier à un atelier de découpe (pour sa vente directe), à des bouchers, ou à des collectivités, par exemple Nantes métropole pour approvisionner ses cantines. Une seule exigence : que cela reste local.

A terme, l'objectif est d'abattre 4500 animaux par an, à raison d'une vingtaine par jour. Selon une étude CERFrance, l'équilibre financier pourrait être atteint avec 3500 animaux par an. Cette étude est en cours de mise à jour, en fonction des résultats des experts qui accompagnent le projet (bureaux d'études en maîtrise d'œuvre et spécialiste secteur abattage).

Le coût de prestation pour les éleveurs devrait être légèrement plus important que l'équivalent du système actuel avec « transport + abattage ». Mais pour qu'ils puissent retirer une plus-value de cette viande plus éthique, l'association AALVie a créé une marque, « Né, élevé et abattu à la ferme ». En plus de l'abattage, le cahier des charges comprend un accès obligatoire au pâturage (ou d'accès à l’extérieur pour les porcs) pour rester dans la logique du bien-être animal.

La marque « Né, élevé et abattu à la ferme » permettra aux éleveurs d'obtenir une plus-value sur la viande de leurs animaux.

Construit autour de l'animal, favorisant le bien-être des éleveurs et des opérateurs, l'abattoir mobile est aussi porteur de bénéfices pour le consommateur : non seulement, il aura l'assurance de consommer un animal dont la vie aura été ôtée sans peur ni douleur, mais il aura accès à une viande de meilleure qualité. Les effets négatifs du stress sur la maturation de la viande sont en effet démontrés depuis longtemps et les études comparatives réalisées en Allemagne ont confirmé que les viandes d’animaux abattus à la ferme étaient plus savoureuses.