Abondance d’oiseaux et pratiques agricoles : un lien de causalité qui fait débat

En mai dernier, un article scientifique traitant des causes de la chute des populations d’oiseaux en Europe était publié dans une revue d’écologie renommée. Cette étude, largement reprise par les médias, met en avant la corrélation entre le déclin des oiseaux et l’intensification des pratiques agricoles. L’analyse fine des déterminants agro-environnementaux étudiés dans cet article donne des résultats plus nuancés, comme l’indique Xavier Mesmin, ingénieur d’étude sur la biodiversité à Arvalis.

Perspectives Agricoles : Les auteurs de l’étude utilisent des données de sciences participatives acquises au travers du programme de suivi paneuropéen des oiseaux communs. Débuté en 1989 en France, ce programme1 a permis d’établir des évolutions temporelles sur plus de vingt ans, avec des couvertures nationales denses. Qu’en pensez-vous ?
Xavier Mesmin :
C’est clairement une étude majeure sur l’évolution de la biodiversité aviaire et de ses déterminants agro-environnementaux. L’étendue spatiale et temporelle des données analysées est inédite, et les méthodes d’analyse des séries temporelles sont innovantes. L’étude souffre cependant des limites inhérentes à ce type d’analyse très globale - largement reconnues par les auteurs eux-mêmes.

P. A. : Ces derniers cherchent à établir des liens de causalité entre les dynamiques d’abondance des espèces d’oiseaux observées et d’autres séries temporelles. Quelles sont-elles ?
X. M. :
En effet, l’évolution des abondances de 168 espèces d’oiseaux a été mise en perspective avec les évolutions des températures, de la couverture du milieu urbain, du couvert forestier ainsi que des systèmes agricoles. Ces derniers sont décrits essentiellement par la proportion d’exploitations faisant une utilisation intensive d’intrants2 d’après les critères d’Eurostat (c’est-à-dire occasionnant une dépense annuelle supérieure à 560 €/ha.3)

P. A. : L’étude montre que les populations européennes d’oiseaux ont chuté globalement de 25 % ces 37 dernières années, avec un déclin plus marqué des espèces typiquement agricoles (-57 %) comparé aux espèces forestières (-18 %) et urbaines (-28 %). La France semble alignée avec cette tendance générale. Comment expliquer cette situation ?
X. M. :
D’abord l’analyse statistique fine des séries temporelles montre pour de nombreuses espèces des liens de cause à effet entre leur abondance et l’évolution des températures. Ainsi 16 % des 168 espèces d’oiseaux étudiées sont défavorisées par l’augmentation des températures, mais 17 % sont favorisées par celle-ci. Ensuite, l’augmentation de la part de fermes utilisant intensivement des intrants est une cause du déclin de 18 % des espèces étudiées et de l’essor de 11 % d’espèces. L’essor urbain cause, quant à lui, la régression de 7 % des espèces étudiées et en favorise 5 %. Enfin l’augmentation du couvert forestier cause l’essor des populations de 9 % des espèces d’oiseaux étudiées mais le déclin de 5 % d’entre elles.

P. A. : Pourquoi l’étude tient-elle uniquement compte des dépenses en intrants, et non de la diversité des assolements, de la place de l’élevage ou des modalités de travail du sol ?
X. M. :
Cette limite est essentiellement liée à la non disponibilité de données précises à large échelle spatiale et temporelle sur tout cet ensemble de pratiques. La mise en place de suivis fins de ces pratiques fait partie des perspectives proposées par les auteurs. Par ailleurs, une limite peu discutée concerne la discordance spatiale entre les populations d’oiseaux suivies et les déterminants agro-environnementaux utilisés. Ces derniers sont considérés à des échelles nationales, alors que les suivis d’oiseaux couvrent les territoires de manière hétérogène. La couverture est probablement d’autant plus hétérogène qu’on remonte dans le temps, puisque le nombre de sites suivis les premières années était plus faible - en France, autour de 100 en 2001, soit dix fois moins que durant la période 2004-2016. Cela peut être anecdotique dans les pays où les systèmes agricoles sont très homogènes. En revanche, cela pourrait induire des biais dans l’analyse des liens de cause à effet dans des pays aux systèmes agricoles très diversifiés, dont les régions ont vécu des dynamiques différentes au cours des dernières décennies.

P. A. : Ce type d’études dresse un panorama global de la biodiversité aviaire à large échelle spatiale et temporelle. Ne faudrait-il pas aussi identifier des leviers positifs pour cette biodiversité ?
X. M. :
Bien sûr, et il y a des éléments encourageants. Des études menées en Suisse suggèrent par exemple que le maintien de zones refuges pour la biodiversité (comme les jachères fleuries) préserve ou augmente l’abondance et la diversité des insectes dans le paysage. Il semble aussi que plusieurs mécanismes de « verdissement » mobilisés par la PAC soient plutôt intéressants pour préserver cette biodiversité. La priorité est désormais d’identifier des pratiques favorables à la biodiversité et agronomiquement réalistes, afin de mobiliser efficacement citoyens et agriculteurs dans ce défi que représente la préservation de la biodiversité.

(1) En France, il est appelé STOC pour « Suivi temporel des oiseaux communs ».
(2) Fertilisants et biostimulants achetés à l’extérieur, produits phytopharmaceutiques, autres moyens de protection (pièges, appâts, épouvantails, protections anti-grêle et anti-gel…), et aliments pour le bétail achetés à l’extérieur.
(3)  Valeur corrigée de l’inflation, en se basant sur la valeur de l’euro en 2010.