- Accueil
- [Space] Loi alimentation : tous à table
[Space] Loi alimentation : tous à table
La tenue du Space coïncide avec le retour de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Si producteurs, transformateurs et distributeurs se mettent à table, l’État et les Collectivités, dans leurs cantines hospitalières et scolaires, vont devoir abattre leur carte et dévoiler leurs nouveaux menus. Vive la rentrée (parlementaire).
Mieux rémunérer les producteurs pour assurer la pérennité des exploitations, préserver les capacités de production de la « ferme France » et au-delà garantir la souveraineté alimentaire de notre pays : l'état d'esprit de la future loi n'a pas varié d'un iota depuis ses origines, c'est à dire le 20 juillet 2017 et le lancement des États généraux de l'alimentation (EGA). Si l'adoption du texte a achoppé en commission mixte paritaire le 10 juillet dernier, l'urgence de réformer les relations commerciales tripartites entre producteurs, transformateurs et distributeurs ne s'est pas démentie. La hausse des coûts des matières premières et les baisses concomitantes des productions fourragères pour cause de sécheresse vont immanquablement peser sur les coûts de production de toutes les filières élevage. Une donnée conjoncturelle qu'il serait de bon aloi d'intégrer dans les futures négociations commerciales s'ouvrant en novembre prochain. « Au lancement des États généraux en juillet 2017, le leader de la grande distribution, Leclerc, pesait 21 % du marché. Un an plus tard, il était détrôné par l'alliance entre Carrefour et Système U, qui pèse 34 % du marché », pointe Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Le contraste entre la fragilité pour ne pas dire la précarité des éleveurs d'un côté, et la superpuissance des centrales d'achat, est on ne peut plus saisissant. « Il existe une bonne quinzaine de produits, dont les laits infantiles par exemple, pour lesquels deux marques détiennent plus de 70 % du marché », rappelle, à qui veut l'entendre, Claude Risac, directeur des relations extérieures du Groupe Casino. Eh oui : la grande distribution a aussi ses problèmes : suprématie des grandes marques, érosion des ventes en hypermarché, développement de la restauration hors foyer, concurrence des drive et autres nouvelles formes de commerce, en attendant la météorite Amazon.
Indicateurs de coûts de production et droit de la concurrence
A défaut de rééquilibrer les forces en présence (437 000 exploitations, 18 000 entreprises agroalimentaires, 4 centrales d'achat), la future loi pour l'équilibre des relations commerciales a pour ambition de remettre un peu d'argent au pot (de terre). « Retrouver du prix dans un univers mondialisé, ce n'est pas facile », concède Olivier Allain, éleveur et ancien coordinateur des EGA. « Réunir producteurs, transformateurs et distributeurs, c'est fragile mais cohérent ». Comment cesser de détruire de la valeur, au seul détriment des premiers ? En inversant la construction du prix via des indicateurs de coûts de production, en luttant contre les prix abusivement bas, en relevant le seuil de revente à perte (SRP), en encadrant les promotions, en facilitant la réouverture des négociations en cas de fortes variations, en renforçant médiation et sanctions et enfin en élargissant les missions des interprofessions. Ces mesures étayeront les articles de la prochaine loi. La FNSEA escompte un vote le 2 octobre et une mise en application à compter du 15 octobre, ordonnances SRP et promotions incluses. De quoi passer aux exercices pratiques dès l'entame des négociations. Ou au crash-test selon les points de vue. Pourquoi ne pas soumettre le beurre à l'exercice ? Car au sein même de la profession, la portée de la loi interroge. « Toute transformation commence par une transformation mentale », plaide Christian Couilleau, directeur général du groupe coopératif Even (Côtes d'Armor). Poursuivant : « la démarche est courageuse, mais quid des filières exportatrices et des produits importés plus compétitifs ?» Serge Le Bartz, président du groupe coopératif D'Aucy (Morbihan), pointe « le droit de la concurrence, très contraignant et très brutal. Qui prendra le risque d'encourir une plainte avec la mise en place des indicateurs de coûts de production ? Et que signifie un indicateur moyen vis à vis d'un jeune agriculteur endetté ou d'un producteur en fin de carrière ? La loi entérine une prise de conscience des acteurs mais ce n'est qu'un début ».
Prix pivot
Les indicateurs de coûts de production cristallisent un certain nombre de critiques. L'État se décharge de toute intervention et renvoie les interprofessions à leurs responsabilités, en les sommant d'établir les indicateurs, avec l'appui de l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) et de FranceAgriMer, mais pas avec leur caution. La nuance est importante du point du vue du rôle de l'Etat. « Fin juin et début juillet, la Fédération du commerce et de la distribution a bloqué les discussions sur l'établissement des coûts de production en lait et en viande », souligne Christiane Lambert. « Conséquence : chaque enseigne est repartie chez elle et ce sont les indicateurs maison qui prévalent ». La présidente de la FNSEA, qui nie toute velléité d'économie administrée, fustige au passage le rôle de l'exécutif, qui s'est invité dans la navette parlementaire qui voguait dans le même sens jusque-là, c'est à dire celui de la primauté de l'OFPM et de FranceAgriMer. La FNSEA veut tout de même y croire. « J'entends les critiques et remarques dont celle concernant la variabilité d'une exploitation à l'autre », déclare Christiane Lambert. « Mais si l'on parvient à définir un prix pivot auquel seront vendus, 40%, 50% ou 60% des volumes livrés, cela constituera une assurance dans la durée et un amortisseur de volatilité pour les agriculteurs ».
SRP et promotions
Les indicateurs de coûts de production doivent par ailleurs servir d'étalon aux pratiques de prix abusivement bas. Autres mesures visant à restaurer la valeur : relever de 10 % le seuil de revente à perte (SRP) et limiter les promotions à 34 % en valeur et 25 % en volume. Encore faudra-t-il que le législateur se donne les moyens (et la volonté) de contrôler toute cette mécanique. « Il arrive que les producteurs réclament des promotions pour pouvoir écouler leurs produits », rappelle Claude Risac, « Et sur des produits tels que le Champagne ou le foie gras, ce sont les consommateurs qui les attendent dès le début des ventes de fin d'année ». Ces deux mesures devraient néanmoins produire leurs effets et mettre fin à certaines pratiques jusqu'au-boutistes. « Non sans faire poindre un risque d'inflation », relève Stéphane Turolla, chargé de recherche à l'INRA Agrocampus Ouest, co-auteur d'un rapport sur les effets de la LME commandé en 2016 par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron. Le chercheur avait démontré que la loi LME avait induit une baisse des prix des grandes marques d'environ 2,5 %, flattant le pouvoir d'achat des consommateurs. Le Président Emmanuel Macron assume visiblement le risque d'inflation inhérent au relèvement du SRP et à l'encadrement des promotions. Et si, en plus, l'Autorité de la concurrence se mettait à regarder d'un peu plus près ces alliances entre centrales, susceptibles ici ou là de contrevenir à la loi sur certaines familles de produits ? « Ce n'est pas à exclure », indique Stéphane Turolla. Bruxelles pourrait aussi faire un geste sur le droit de la concurrence, cette épée de Damoclès qui hache menu endives et endiviers mais que n'indispose pas l'indigeste concentration de la distribution. « Bruxelles travaille à l'élaboration d'une directive destinée à lutte contre les pratiques déloyales », croit savoir Christiane Lambert, qui veut y voir un signe avant-coureur de la juste cause menée par la France via le projet de loi alimentation.
Tous à table
Outre les relations commerciales, ce dernier renferme par ailleurs un volet sur la délivrance « d'une alimentation, saine, durable et accessible ». Où il est question de bien-être animal, de réduction d'usage et d'impact des produits phytosanitaires, de lutte contre le gaspillage dans l'industrie et la distribution et enfin de montée en gamme de la restauration collective, dont on se demande au passage qui va la payer (voir encadré). Si producteurs, transformateurs et distributeurs se mettent à table, l'État et les Collectivités, dans leurs cantines hospitalières et scolaires, vont devoir abattre leur carte et dévoiler leurs nouveaux menus. Vive la rentrée parlementaire.