Améliorer son parcellaire grâce aux échanges amiables

Les remembrements d'antan n'ont pas toujours laissé de bons souvenirs. Pourtant, l'adaptation du foncier aux évolutions de l'agriculture reste nécessaire. Dans quelques régions de France, et notamment en Pays de la Loire, des agriculteurs améliorent leurs parcellaires en faisant des échanges amiables multilatéraux.

Traverser une route pour conduire ses vaches au pré, faire 8 kilomètres en tracteur attelé pour travailler une parcelle, affourager en vert ses bêtes faute d'accès aux pâtures, abreuver ses animaux avec une tonne à eau... : c'est le quotidien de nombreux agriculteurs qui n'ont pas un parcellaire groupé autour de leur siège d'exploitation ou de leur stabulation. Le comble étant de croiser parfois des collègues faisant le trajet inverse !

S'il n'existe presque jamais un parcellaire idéal, il est possible cependant d'améliorer celui que l'on exploite. Pendant les années de modernisation de l'agriculture (1955-1975), l'adaptation des parcellaires a constitué la grande mission des remembrements. Aujourd'hui nommées Afafe (Aménagement foncier agricole, forestier et environnemental), ces procédures existent toujours, mais restent réservées à des contextes particuliers (créations d'infrastructures publiques). Elles sont souvent longues (10 ans parfois), coûteuses, soumises à des recours juridiques, et elles se font entre propriétaires, lesquels ne sont pas toujours les exploitants des terres.

Échanger sans y être obligé

Il existe une autre façon d'améliorer son parcellaire : les échanges amiables entre exploitants. Ce sont le plus souvent des « échanges de cultures » (pour une ou deux années), ou des échanges de baux (pour la durée du bail), parfois, des échanges de propriétés. Comme leur nom l'indique, ils ne se font qu'à l'amiable, entre personnes volontaires, et sans le caractère coercitif d'un Afafe. Surtout, ils se font à l'échelle des exploitants eux-mêmes, même si les propriétaires doivent systématiquement donner leur accord.

Des échanges à l'amiable, entre deux exploitants, se sont pratiqués de tout temps. Mais depuis une dizaine d'années, des échanges en groupe s'organisent, souvent avec l'accompagnement de conseillers fonciers des chambres d'agriculture. « L'intérêt de faire des échanges parcellaires multilatéraux, avec 6 à 15 exploitations, c'est que l'on augmente considérablement les possibilités », commente Sylvie Guillo, chargée de mission foncier à la chambre d'agriculture des Pays de la Loire.

Sylvie Guillo, chargée de mission foncier à la chambre d'agriculture des Pays de la Loire, a accompagné plusieurs groupes d'échanges parcellaires sur le département de Loire-Atlantique (photo Catherine Perrot).

Des agriculteurs volontaires

Au sein de cette région parmi les plus dynamiques de France pour ces procédures, déjà une vingtaine de groupes ont échangé des parcelles ces dernières années. « Ces groupes sont constitués à l'initiative des exploitants locaux, ou des communes et intercommunalités. On ne travaille qu'avec des gens volontaires, décrit Sylvie Guillo. Les conseillers fonciers les accompagnent, avec méthode et neutralité, et leur apportent une assistance juridique ». Avec l'intervention de collectivités publiques et, parfois, de fonds Vivea, le coût pour les exploitants est en général assez minime.

Le premier point abordé lors de la réunion d'un groupe de volontaires est la définition des critères prioritaires d'échange. « C'est le groupe qui décide, et nous nous sommes rendus compte que ce n'est pas toujours la qualité agronomique des terres qui prévaut. Ce sont plus les équipements (clôtures, haies, drainage...). Parfois, il pourra y avoir des compensations, mais c'est laissé à l’appréciation de chacun. Ensuite, grâce à un outil cartographique informatisé, nous proposons des scénarios d'optimisation », précise Sylvie Guillo.

Dépassionner le foncier

« Nous faisons toujours travailler les agriculteurs sur ces scénarios de « l'après ». Il faut qu'ils raisonnent sur ce qu'ils gagnent, pas sur ce qu'ils perdent ou ce que gagnent les autres », analyse Sylvie Guillo, qui sait que l'attachement au foncier est passionnel chez certains, fruit d'histoires familiales ou de vieux conflits de clochers. « Sur une des communes où nous avons accompagné un groupe, on nous avait dit « ici, vous n'arriverez pas à échanger un hectare »... Pourtant, le groupe en a échangé 63 ! ».

Un des facteurs qui aident à voir que le foncier est un outil de travail comme un autre, est le calcul des coûts de mécanisation lié à l'éloignement des parcelles. « La chambre d’agriculture des Pays de Loire en appui avec la fédération des Cuma dispose d'un outil qui prend en compte tous les coûts de mécanisation, y compris le temps de travail de l'exploitant. Les résultats sont édifiants : dans un groupe, nous avons eu des coûts annuels liés au trajet à une parcelle éloignée à 358 €/ha ! »

Généralement, une procédure d’échange de parcelles dure un à deux ans, avec une dizaine de réunions, et se termine avec les demandes de nouvelles autorisations d'exploiter. Parmi les différents scénarios envisagés, ce n'est jamais le « scénario idéal » qui est choisi : « Il faut faire face à la réalité, on n'arrivera jamais à une situation parcellaire idéale. Parfois, des gens quittent le groupe en cours de procédure et ne veulent plus échanger. Parfois, des propriétaires refusent l’échange parce qu'ils ne connaissent pas les nouveaux locataires. Le foncier, c'est de l'humain, du relationnel », remarque Sylvie Guillo.

Un effet boule de neige

Mieux vaut boucler une procédure en un ou deux ans que de tenter de faire changer d'avis certains réfractaires... Car dans la plupart des cas, un premier échange sur un secteur donne lieu à un ou deux nouveaux échanges quelque temps plus tard. « Les gens en discutent entre voisins, à la Cuma ». Après une procédure d'échange, en effet, tout le monde est gagnant, même « s'il y a toujours des exploitations qui gagnent plus que d'autres ».

Tous ceux qui ont échangé évoquent une meilleure efficacité économique Mais l'essentiel ne semble pas cet aspect : beaucoup d'agriculteurs estiment avoir réduit leur temps de travail et gagné en qualité de travail. Certains parlent de surveillance facilitée des animaux. D'autres de pouvoir plus facilement transmettre. Plus généralement, un regroupement parcellaire permet d'augmenter les possibilités de choix stratégiques et techniques : « Sans cela, je n'aurais jamais pu passer en bio », évoque un éleveur.

Moins de carbone, plus de prairies

L'environnement semble également gagnant : une étude a été conduite par la chambre d'agriculture et l'Ademe après un échange parcellaire de 146 hectares entre cinq exploitations au Bignon (44). Entre l'après et l'avant échange, on compte 30 hectares nets de prairies et 1349 mètres de linéaires de haies en plus, 25 tonnes d’azote minéral en moins, pour un bilan carbone total réduit de 140 tonnes d'éq CO2. Le tout, avec 500 000 litres de lait produits en plus...

Les échanges parcellaires ne sont pas encore généralisés à l'échelle de la France entière, mais l'Association permanente des chambres d'agriculture (APCA) estime que ces procédures vont prochainement essaimer car « l'optimisation du foncier est une préoccupation montante », selon Carole Robert, juriste qui suit ce dossier à l'échelle nationale. 

« De très nombreuses problématiques peuvent donner lieu à des échanges parcellaires amiables : un historique de microparcelles, un besoin accru de pâtures, des transmissions ou évolutions d'activité, des contraintes environnementales, etc., estime la juriste. Ce type de procédure pourrait également intéresser des collectivités, par exemple, dans leur reconquête de friches ou dans la gestion des risques d'incendies dans le Sud. Nous expérimentons actuellement un outil logiciel facilitant ces échanges ».

Une vidéo sur les échanges parcellaires a été réalisée à l'occasion de Tech'élevage 2019.