Chiens de conduite de troupeau : vers une indexation génétique de leur valeur ?

Depuis 70 ans, la sélection des animaux de rente se réalise sur des critères objectifs et des bases communes. En revanche, il n’existe rien de tel pour sélectionner les chiens de conduite de troupeau, alors qu’ils sont des animaux importants, parfois indispensables, dans l’élevage moderne de ruminants. L’Idele vient de conduire un programme sur ce thème, mais le chemin est encore long vers une évaluation des performances et une indexation génétique des chiens.

Lorsqu’un opérateur mesure la quantité de lait produite par une vache laitière, le nombre de veaux sevrés par vache allaitante, ou le rendement en viande d’un taurillon, on obtient des valeurs objectives qui permettent de qualifier les performances zootechniques d’un animal, relativement indépendamment de l’éleveur.

En revanche, si l’on veut mesurer les performances d’un chien de conduite de troupeau, on se heurte vite à un problème : ce que l’on mesure à travers des concours, par exemple, c’est l’interaction entre l’éleveur et le chien, qui a pu se construire durant des heures et des heures de dressage, et pas la valeur intrinsèque de l’animal. C’est pour répondre à cette problématique de la mesure de l’aptitude naturelle des chiens à conduire un troupeau, en dehors du dressage, que l’Idele-Institut de l’élevage a lancé le programme de recherche Canidea.

Financé notamment par France futur élevage (Institut Carnot), Canidea s’est déroulé entre 2019 et 2023 et a rassemblé de nombreux partenaires opérationnels autour de l’Idele : école vétérinaire, Inrae, CNRS, Fédération des utilisateurs de chiens de troupeau, Centrale canine... Il a donné lieu à un séminaire final de restitution, qui s’est tenu en ligne le 29 août dernier.

Déterminer la valeur d’usage d’un chien

Le principal résultat de ce projet est d’avoir mis au point un test fiable, normé, accessible à toutes les races de chien de conduite, répétable en différents endroits et qui permet de distinguer « la valeur d’usage du chien, indépendamment des habitudes et des interactions avec l’éleveur », présente Pascal Cacheux, éleveur ovin et formateur à l’utilisation des chiens de conduite.

Selon cet expert, la valeur d’usage d’un chien de troupeau est définie par ses aptitudes naturelles à empêcher la fuite des bêtes, à les maintenir groupées près de l’humain, à les affronter sans violence et à les déplacer en référence à l’humain. Pour mesurer ces aptitudes naturelles, en réduisant au maximum l’effet des interactions avec son éleveur, un test doit être réalisé sur un terrain inconnu, avec des animaux inconnus, et avec un humain inconnu qui n’a pas l’habitude du travail avec des chiens.

"Les éleveurs ne sont pas des dresseurs de chiens"

« La mise au point de ce test, c’est un travail en miroir des contrôles de performance des animaux de rente, les démarches de sélection restant le domaine des clubs de race, commente Pascal Cacheux. Les éleveurs ne sont pas des dresseurs de chiens ; et l’animal qui a une valeur d’usage demandera moins de travail de dressage ».

Un protocole et une grille d’évaluation

Concrètement, le test mis au point dans le cadre de Canidea est destiné à des chiens jeunes (entre 8 et 24 mois). Il est réalisé sur un troupeau de 12 à 15 ovins habitués à la présence d’un chien, sur un terrain neutre, pour les ovins comme pour les chiens testés, et en présence d’un humain neutre, posté auprès du troupeau. Le test dure en tout environ 3 minutes, au cours desquelles l’humain réalise des mouvements programmés (toujours les mêmes pour chaque test, tourner autour du troupeau dans un sens, puis dans l’autre, s’éloigner).

Le tout est filmé en continu par une caméra et le comportement du chien et des brebis est ensuite consigné sur une grille d’évaluation de 28 variables. Parmi ces variables, 27 sont qualitatives, par exemple, « le chien va jusqu’à l’axe éleveur-troupeau », « les brebis restent groupées », « une brebis fait front et le chien s’impose », ou encore « le chien perd sa concentration ». Une variable est quantitative, « nombre de morsures », le test étant arrêté au-delà de trois morsures.

Par un système de scores (positifs et négatifs), ces 28 variables sont ensuite reliées aux 6 composantes-clés qui constituent la valeur d’usage d’un chien, à savoir : motivation durant toute la durée du test ; concentration durant toute la durée du test ; pas de comportement de prédation ; bonne référence à l’humain en présence d’animaux ; capacité à contenir les animaux pour l’humain ; capacité à déplacer les animaux au profit de l’humain.

Seulement 16% des chiens testés ont la valeur d’usage recherchée

Durant le projet, et une fois que le test a pu être stabilisé, près de 500 chiens ont été évalués durant plusieurs sessions organisées en lien avec les associations locales d’utilisateurs de chiens de troupeau. Seulement 16% d’entre eux ont obtenu la valeur d’usage recherchée en élevage sur les 6 critères. « Cela ne veut pas dire que les autres animaux ne sont pas utilisables en élevage. Mais leur dressage demandera plus de temps, plus d’investissement et de compétences », précise Barbara Ducreux, pilote du projet à l’Idele.

Une écrasante majorité des chiens testés (460 sur 481) étaient des Border collie, ce qui empêche toute conclusion sur les autres races (pas de valeur statistique). Les trois-quarts de ces Border collie étaient LOF, ce qui a permis un accès à leurs origines. Ces chiens provenaient de 142 pères et 172 mères différentes, ce qui fait qu’en moyenne seulement 2 chiens ont été testés par lignée : un nombre insuffisant pour tenter de relier un comportement à une éventuelle parenté.

Pour pouvoir réaliser des liens statistiques entre des comportements observés et la parenté, il est nécessaire de réaliser un plus grand nombre de tests, ce qui impliquerait le montage d’un nouveau programme de recherche. Lors des sessions de test, des prélèvements sanguins ont été réalisés sur tous les chiens et leur ADN a été extrait. Là encore, les chercheurs et spécialistes sont en attente de financements supplémentaires, pour pouvoir espérer relier la valeur d’usage du chien à des séquences génétiques spécifiques.

Présentation projet aptitudes chiens de conduite de troupeau - Canidea idele from Institut de l'Elevage - idele on Vimeo.