Compétitivité des filières (1/10) : les céréales sujettes à l’écrasement

Entre 2010 et 2019, la France a abandonné 31% de part de marché à l’export en céréales. La réglementation, les politiques européennes telles que la Pac et les accords de libre-échange, ou encore la logistique sont pointées du doigt. En termes de soutien public, les céréales jalousent les protéines.

Avec un solde annuel moyen de 5,6 milliards d'euros (Md€) sur la période 2015-2019, les céréales françaises demeurent une valeur sûre de la balance commerciale agricole et agroalimentaire, se plaçant au deuxième rang derrière les vins et spiritueux (11,4 Md€ sur la même période) et devant le lait et les produits laitiers (3,5 Md€). Cependant, dans un marché qui voit la production et la consommation mondiales de céréales s’accroître, doublée d’une internationalisation croissante des marchés, la France voit ses positions commerciales s’éroder au fil des ans. Selon FranceAgriMer, entre 2010 et 2019, la France a abandonné 31% de part de marché à l’export en céréales.

A la demande du ministère de l’Agriculture, FranceAgriMer a été mandaté pour caractériser et comprendre la dégradation du solde commercial au cours de la décennie écoulée, en décryptant les processus à l’œuvre pour dix filières distinctes. S’agissant des céréales, FranceAgriMer s’est focalisé sur le blé tendre, l’orge et le maïs, tant au niveau des produits bruts que des produits de première transformation (farine, malt) et de seconde transformation (pâtes, pains, biscuits...), en intégrant les semences mais en excluant l’éthanol et l’alimentation animale.

Les principaux constats et propositions qui suivent émanent d’un groupe de travail constitué de représentants d’Intercéréales, de Semae, de l’AGPB, de l’AGPM, de la Coopération Agricole, des groupes InVivo, et Soufflet, de la FNA, du SNIA, des Malteurs de France, du SNPAA, de l’USIPA, de France Export Céréales, d’Arvalis-Institut du végétal, des Brasseurs de France, du Cfsi-Sifpaf, du Synacomex, d’Alliance 7 et de la Feb.

Surcoûts et handicaps de production

Le potentiel de production influence directement la capacité à l'export des entreprises françaises. Alors que les rendements sont en croissance dans les pays concurrents, les rendements français stagnent. La compétitivité est entamée par des coûts de production orientée à la hausse, aux multiples causes : accès contraint à certains itinéraires ou matières actives (RPD, interdiction des 3R, séparation conseil vente, raréfaction des traitements phytosanitaires induisant un coût de mécanisation supérieur, prix des produits de biocontrôle élevés), taille des exploitations insuffisante, charges de mécanisation élevées, SAU en baisse, prix des engrais azotés nettement supérieurs à ceux de nos concurrents hors UE, menace qui pèse sur le prix des engrais phosphatés et durcissement de la règlementation cadmium par rapport à nos concurrents hors UE, coût assurantiel pour faire face aux aléas climatiques. En revanche, le coût de l'énergie est moindre par rapport aux concurrents.

Réglementation pénalisante

Les professionnels estiment que les grandes cultures sont impactées par les mesures de verdissement qui risquent de se renforcer dans le cadre de la nouvelle Pac (impact sur les surfaces et sur le potentiel de production / obligations de rotations).

Autre règlement communautaire mis en cause : celui portant sur les mycotoxines qui pourrait dévaloriser une partie de la production française de blé dur. S’agissant des accords de libre-échange, le Mercosur et le Ceta sont jugés comme inéquitables. Dans le domaine des semences, le Brexit pourrait ouvrir la voie aux NBT au Royaume-Uni.

Le contexte réglementaire national est pointé du doigt pour sa propension à la sur-réglementation et la sur-transposition, face à des pays aux réglementations très différentes et aux modèles productifs particulièrement tournés vers l’exportation. Certaines productions OGM entrent en concurrence directe avec les productions françaises.

L’accès à l’eau, les Zones de non traitement (ZNT) et plus largement les contraintes entourant l’usage des produits phytosanitaires et des engrais sont jugés négativement.

La déflation plus forte que la démarcation

Si les acteurs louent la stratégie volontaire de valorisation de l’origine et d’adaptation aux attentes des consommateurs, ils estiment que la rentabilité n’est pas au rendez-vous, du fait de la déflation structurelle générée par la guerre des prix et déflation structurelle des produits en GMS. Il en résulte des balances commerciales structurellement déficitaires (recherche systématique d'un prix toujours plus bas et procédures d'appels d'offres européens), une dégradation récurrente des marges et une baisse des investissements pourtant nécessaires pour innover, adapter les produits aux nouveaux enjeux sociétaux et/ou exporter.

La course aux volumes et les stratégies prix et marques de distributeurs ne favorisent pas la valorisation des produits transformés (pastiers/semouliers) tandis que les relations contractuelles distributeurs-fournisseurs ne sont pas toujours équilibrées et fragilisent l'ensemble des entreprises et de la filière.

Les protéines au détriment des céréales

La déclinaison française de la Pac ne laisse pas beaucoup de place aux investissements des producteurs céréaliers depuis plusieurs décennies. Les acteurs économiques dressent le même constat sur les premiers volets du plan de relance national.

La stratégie à l'export au niveau national est focalisée sur une seule priorité politique, l’autonomie en protéines végétales, qui ne prend pas en compte les spécificités de l’exportation de céréales. Quelle stratégie nationale pour les exportations de céréales, s’interrogent les professionnels, qui déplorent une faible diplomatie économique sur les céréales.

Le rôle des pouvoirs publics est primordial dans la création et le maintien de conditions favorables à la compétitivité prix et hors prix des productions. Il existe un lien entre la perte de compétitivité à l'export et la perméabilité du marché national à l'import. La capacité à exporter suppose déjà d’être solide sur le marché domestique, avec une maîtrise des coûts suffisante.

La logistique à la peine

Les professionnels pointent enfin des lacunes matière de logistique, face à des concurrents (en maïs) qui ont investi massivement (infrastructure portuaire notamment) alors que c’était un point fort français. Les capacités portuaires (stockage et les capacités de chargement/déchargement), décisifs pour l'exportation de grains, sont actuellement insuffisants pour faire la différence.

La fluidité logistique notamment dans les transports massifiés est un gage de compétitivité. L'organisation du fret retour est essentielle pour gagner en point de compétitivité avec une logistique ferroviaire adaptée et planifiée comme pour le stockage à l’instar des pays concurrents au sein de l’UE.

Le coût du dernier kilomètre pour arriver en distribution/vente (semoule, brasseurs) devient un frein à la compétitivité.

Les contraintes environnementales imposées par les centres urbains nécessitent des unités de stockage adaptés à l'entrée des villes (emprise foncière des plateformes logistiques) pour les produits distribués classiques mais également pour le vrac (plébiscité par les consommateurs, brasseurs).