Compétitivité des filières (2/10) : la viande bovine taille dans le vif

Les exportations de viandes s’amenuisent sous l’effet d’une compétitivité dégradée. La France est en revanche le premier exportateur mondial de bovins vifs. Dans les deux cas, la pression sociétale s'accentue, pour des motifs liés à l'environnement et au bien-être animal.

Selon l’étude de FranceAgriMer, analysant par le menu la perte de compétitivité des filières agricoles au cours de la décennie écoulée, notamment vis-vis de nos compétiteurs européens, les élevages bovins partagent avec les exploitations céréalières un trait commun : le coût des consommations intermédiaires pèse davantage sur les exploitations agricoles françaises que chez nos partenaires.

En bovin lait, les frais généraux s’élèvent en moyenne à 66 900 € par exploitation, un niveau nettement supérieur à celui de l’Italie par exemple (25 300 €). En particulier, les travaux effectués par des tiers sont plus importants et expliquent cet écart (20 400 € en moyenne en France contre 2 400 € en Italie). Ce niveau est proche en valeur absolue de celui des Pays-Bas et du Royaume-Uni, pays où les exploitations sont de plus grande taille.

En bovin viande, s’ajoutent aux frais de prestations par un tiers supérieurs, des frais d’entretien des bâtiments et du matériel relativement élevés au regard des autres pays.

Les constats des parties prenantes

Au-delà des éléments factuels, FranceAgriMer a questionné les principaux représentants de la filière (Interbev, Institut de l’élevage, syndicats agricoles, FNB, La Coopération agricole, Fédération du commerce de bétail, fédérations d’abattage, transformation...) afin de recueillir leurs propres constats.

Parmi les éléments saillants figurent la concurrence intra-européenne, en provenance d’Espagne ou encore de Pologne, citée pour avoir monté de toutes pièces des filières d’engraissement très compétitives nous concurrençant sur notre territoire et sur nos débouchés italiens.

La réglementation est pointée du doigt et à plusieurs endroits : effet négatif de la loi de santé animale, contraintes toujours plus relevées sur le bien-être animal, manquements aux règles d’affichage de l’origine des viandes, blocage réglementaire sur les appels d’offre publics. En ce qui concerne le vif en particulier, la filière s’inquiète des exigences sociétales et des futures réglementations concernant le bien-être animal tandis que dans le même temps, l’attractivité du métier est en souffrance, aussi bien en amont (faiblesse des revenus, lobbying des ONG, pression médiatique... ) qu’en aval, l’image négative des métiers de la viande nuisant au recrutement. Dans l’industrie justement, la filière fait face à un manque d’investissement, que pourrait combler cependant le plan de relance de modernisation des abattoirs. Sont aussi citées la saisonnalité de l’offre en vif et le manque d’entreprises export en capacité de proposer des lots de taille suffisante.

Les accords de libre-échange ne sont pas épargnés, l’agriculture faisant figure de monnaie d’échange au détriment de certains secteurs industriels. La concurrence déloyale des importations en termes de prix, de modes d’élevage, de qualité de produits est aussi dénoncée.

Outre la question du bien-être animal, la filière s’inquiète des questions relatives à l’impact de la filière bovine sur l’environnement. Les conditions de crise sanitaire et économique liées à la Covid-19 ont également favorisé la consommation de haché ce qui modifie les équilibres matière et la compétitivité des pièces.

Bilan offre demande

Après un maximum historique en 2008 de l’ordre de 25%, la dépendance de la France aux importations de viande bovine est d’environ 20% en 2019. Réciproquement, le taux de couverture par la production nationale est donc d’environ 80%. Le taux d’auto-approvisionnement, calculé comme le ratio entre production et consommation est d’environ 95%, ce qui signifie que la production de viande bovine représente un volume similaire à 95% de la viande consommée. Ce ratio ne prend pas en compte la production de bovins maigres dont environ 50% sont exportés et donc consommés hors de France.

La différence entre le taux d’auto-approvisionnement et la dépendance aux importations vient du fait que la viande bovine consommée en France est préférentiellement de la viande issue de femelles. La production française de femelles est insuffisante à combler complètement la demande nationale, ce qui conduit à un besoin d’importation. En parallèle, la production de mâles français trouve des débouchés dynamiques à l’export, comme en Allemagne, où la consommation de viande bovine concerne principalement de la viande de jeunes bovins mâles.

Trois destinations pour la viande bovine...

Les exportations françaises de viande bovine, qui étaient en légère augmentation (en tec) depuis 2005, marquent le pas à partir de 2012 vers toutes les destinations. Des trois clients principaux que sont l’Italie, l’Allemagne et la Grèce, ce sont surtout les deux d’Europe du Sud qui accusent les baisses d’achats les plus marquées. L’Allemagne et l’Italie figurent par ailleurs en huitième et neuvième positions des importateurs mondiaux de viande bovine ; il s’agit de marchés structurellement déficitaires dont la proximité avec la France se traduit par des importations facilitées. Ces deux pays ont toutefois des dynamiques différentes : si l’Allemagne est un importateur dynamique de viande bovine, en croissance depuis 2010, il n’en est pas de même pour l’Italie, dont les importations de viande bovine décroissent régulièrement, au profit d’animaux vifs.

Outre les trois principales destinations qui couvrent environ 70% des exportations, la France n’est pas positionnée sur les pays dynamiques à l’importation comme la Chine ou l’Indonésie, même si on note de plus en plus de volumes, faibles, à destination de l’Extrême-Orient.

... et pour les bovins vifs

Les exportations françaises de bovins vifs sont en hausse structurelle depuis 2014. Les pays destinataires sont très concentrés, les trois principaux pays clients représentant environ 90% des échanges de manière constante depuis 2012. Les deux principales destinations des bovins vifs français sont l’Italie et l’Espagne, respectivement deuxième et quatrième importateurs mondiaux, et tous deux en croissance. Le troisième client de la France est l’Algérie, un marché en croissance en volume. L’Italie achète surtout des broutards tandis que l’Espagne s’approvisionne majoritairement en veaux nourrissons.

Les exportations françaises de broutards sont en constante augmentation depuis 2012. L’Italie et l’Espagne représentent 90% des débouchés à l’export. Les clients sont donc très concentrés et peu diversifiés, ce qui est une force comme il s’agit de clients dynamiques, mais également une faiblesse en cas de perturbation sur l’un des deux marchés. Plus précisément, avec l’Italie, une relation d’interdépendance s’est créée avec la France : d’une part, la France est un fournisseur irremplaçable et nécessaire pour l’Italie et d’autre part, la France a besoin d’un débouché demandeur tel que l’Italie pour valoriser la forte production de bovins mâles allaitants.

Les exportations françaises de veaux nourrissons sont en forte augmentation depuis 2013. Le principal client est l’Espagne, qui capte environ 90% des veaux exportés par la France. Le débouché espagnol est peu rémunérateur pour la France, qui exporte les surstocks saisonniers de veaux laitiers qui sont de moins en moins engraissés sur le sol national. En effet, la production de veaux de boucherie et de jeunes bovins issus de races laitières est en décroissance en France, ce qui conduit à une nécessaire valorisation à l’export. Les bovins engraissés en Espagne sont par la suite vendus notamment en Italie où ils peuvent concurrencer les viandes issues de bovins nés, élevés et abattus en France ou de broutards nés en France et engraissés en Italie. Ces flux de veaux laitiers nourrissons sont ainsi un frein à la compétitivité de la filière bovine française.