Des sénateurs jamais aussi proches du suicide

En partie fondées sur des témoignages d’agriculteurs et de proches des victimes, les 63 propositions des sénateurs Françoise Férat et Henri Cabanel visent à en finir avec ce fléau qu’est la surmortalité par suicide des agriculteurs. Avec celui du député Olivier Damaisin, le ministre de l’Agriculture a désormais deux rapports sur sa table.

En partie fondées sur des témoignages d’agriculteurs et de proches des victimes, les 63 propositions des sénateurs Françoise Férat et Henri Cabanel visent à en finir avec ce fléau qu’est la surmortalité par suicide des agriculteurs. Avec celui du député Olivier Damaisin, le ministre de l’Agriculture a désormais deux rapports sur sa table.

Et si le tabou entourant le suicide en agriculture n’était pas simplement le fait d’une profession, mais de l’ensemble de la société, préférant détourner le regard ? A l’automne 2019, deux millions de Français ont accepté de regarder la réalité en face, en visionnant « Au nom de la terre », une fiction certes, mais inspirée de faits o combien réels.

"Il m'arrive d'envisager sa fin de vie comme la seule manière de mettre fin au calvaire que l'on vit"

A la même époque, deux représentants de la nation, à savoir les sénateurs Françoise Férat et Henri Cabanel ont décidé de se confronter à la réalité, en allant au contact des familles meurtries par le phénomène. « Mon mari est encore en vie, mais je me demande jusqu'à quand. Dans les pires moments, il m'arrive d'envisager sa fin de vie comme la seule manière de mettre fin au calvaire que l'on vit ». « Je n'ai pas fait de tentative, je précise, je me suis réellement suicidé mais je me suis raté. Aujourd'hui, je vis dans le secret de ce que j'ai fait : honte inavouable, regard différent de ceux qui savent, puis l'oubli pour ne pas recommencer ».

A défaut de « Me too », une cause nationale

Ce sont là deux témoignages figurant dans le rapport d’information que les deux sénateurs de Commission des affaires économique ont dévoilé le 17 mars. Ils sont issus pour partie de leur immersion dans cinq départements et pour partie de la plateforme en ligne ouverte en décembre et janvier dernier par le Sénat, invitant les proches des victimes à éclairer anonymement ce mal qui ronge la profession. « Nous avons recueillis sur la plateforme plus de 140 témoignages de première main », déclare Françoise Férat, co-rapporteure. C’est un chiffre très important qui témoigne de la volonté du milieu agricole de briser l’omerta, confirmée par la multitude de témoignages recueillis sur le terrain auprès des agriculteurs, des proches des victimes, des services de la MSA et de l’Etat, des associations ou encore des artistes ».

L’heure d’un phénomène « me too », autrement dit d’une libération de la parole sur le suicide en agriculture, n’a peut-être pas encore sonné mais les lignes bougent. Les deux rapporteurs ont émis l’idée de déclarer l’agriculture « grande cause nationale ». « Alors que 55% des agriculteurs quitteront le métier dans les 15 ans à venir, le dénigrement dont ils font preuve est de nature à bloquer le renouvellement des générations », déclare Françoise Férat.

Cinq axes de travail

"Les agriculteurs donnent tout, sacrifient tout, leur famille, leurs loisirs, leur santé, ils sont à bout, au bout, malheureusement, d’une corde"

L’agribashing s’est invité ces dernières années comme un facteur aggravant le mal-être de la profession, s’ajoutant à la faiblesse, pour ne pas dire l’extrême faiblesse, des revenus au regard du sacerdoce auquel s’apparente trop souvent le métier. « Pour la troisième année consécutive, la France a été désignée comme la première agriculture au monde en matière de qualité et de durabilité », indique Henri Cabanel, co-rapporteur. La baisse d’usage des produit phytos, la montée de la bio et de la HVE, l’adaptation au changement climatique et l’adoption de nouvelles techniques et technologies témoignent des réussites de notre agriculture. Mais le bât blesse au plan économique : les agriculteurs donnent tout, sacrifient tout, leur famille, leurs loisirs, leur santé, ils sont à bout, au bout, malheureusement, d’une corde ». A défaut de rejouer la loi EGAlim, les parlementaires ont inventorié pas moins de 63 mesures destinées inverser le cours de l’Histoire, réparties en cinq axes de travail que sont :

- la connaissance et la reconnaissance du phénomène (grande cause nationale, actualisation annuelle des données...)

- la prévention (aides d’urgence, au remplacement, à l’investissement, suivi régulier de santé...)

- l’identification des agriculteurs en détresse (consolider et améliorer Agri’Ecoute, faire des cellules préfectorales la clé de voûte de l’identification et de l’accompagnement, démultiplier les sentinelles, mieux reconnaitre le rôle des associations...)

- l’accompagnement des agriculteurs en détresse (aides économique, lutte contre le burn-out, humanisation des procédures de soutien, briser le tabou de la reconversion professionnelle...)

- l’accompagnement des familles endeuillées (gratuité du service de remplacement, allègement des procédures de maintien et de transmission, formation des membres de la famille repreneurs...)

Les rapporteurs ont notamment évoqué la mise en place d’une charte des bonnes pratiques à l’usage des créancier ou encore la fin des convocations procédurales au tribunal de grande instance apparentant les agriculteurs à des « délinquants », au profit des tribunaux de commerce comme pour les artisans.

La balle dans le camp du ministre

Le rapport sera remis officiellement le 24 avril prochain au ministre de l’Agriculture, qui disposera alors d’une somme inédite sur le sujet, si l’on compte le rapport que le député Olivier Damaisin lui avait remis début décembre. « Dans notre rapport, en dehors du cas de la grande cause nationale, il y a très peu de propositions d’ordre législatif », déclare Sophie Primas, présidente de la Commission des affaires économiques du Sénat. Il y a quelques propositions financières mériteront que ‘on redéfinisse des enveloppes dans le cadre du projet de loi de finances, nous attendons du ministre de l’Agriculture qu’il redonne une impulsion et des objectifs aux service de l’Etat, à la MSA, aux Chambres d’agriculture et à l’ensemble des partenaires pour mettre en place des dispositifs de détection, de soutien et d’accompagnement dans les territoires ».