Deux nuits de gel aux conséquences dévastatrices

Vergers, vignobles et champs ont été lourdement affectés par les deux épisodes de gel intense survenus dans les nuits du 6 et du 7 avril. S’il est encore trop tôt pour mesurer les dégâts, il est à craindre qu’une partie des récoltes soit cependant amputée.

"Tous les secteurs sont impactés", relève la préfecture de la Drôme avec un gel allant de "-3° à -9° par endroits". "Au moins 80% de notre production est touchée", explique Daniel Betton, qui exploite 55 hectares d'abricotiers à Mercurol-Veaunes (Drôme). "Les fruits qui étaient déjà sortis ont changé de couleur. A l'intérieur, l'amande est passée de blanche à brunâtre". Lui et son fils ont utilisé sans succès des bougies chauffantes pour tenter de lutter contre le froid annoncé. "La température est devenue négative à partir de minuit et sur les coups de 7 heures, on est descendu à -4°. Un petit vent a empêché la chaleur de se diffuser correctement", se désole M. Betton.

Selon Météo-France, la nuit du 6 au 7 avril a été l’une des plus froides en 75 ans, avec une valeur de -0,4°C en moyenne à l’échelle nationale.

Températures minimales observées dans la nuit du 6 au 7 avril 2021. © Météo-France

"Y'a rien qui a marché"

"On a des avances de végétation d'au moins 15 jours par rapport aux autres années, ce qui fait que les conséquences s'annoncent redoutables puisque les abricots en étaient déjà au stade de petits fruits", indique Bruno Darnaud, secrétaire de la chambre d'agriculture de la Drôme, chargé de l'arboriculture. "Les arboriculteurs ont lutté toute la nuit. Ceux qui ont irrigué pour protéger ont eu l'effet inverse, tant le froid était sec, ils se sont retrouvés avec jusqu'à 4 centimètres de givre sur certains arbres", décrit encore M. Darnaud.

Dans l'Ardèche voisine, "on est descendu jusqu'à -7° dans certains vergers et même des secteurs normalement non gélifs sont concernés", annonce Bernard Habauzit, responsable de la gestion des calamités agricoles à la chambre d'agriculture.

Les moyens importants déployés par les agriculteurs - jusqu'à un hélicoptère en Haute-Savoie - n'ont pas suffi à protéger les récoltes. "On a arrosé, on a chauffé et y'a rien qui a marché", affirme Stéphane Leyronas, dont les pousses de kiwi du bassin d'Aubenas se sont brisées sous le poids de la glace accumulée après qu'il a eu recours à l'aspersion. "J'ai aussi utilisé un canon à gaz et allumé plus de 700 chaufferettes qui n'ont même pas tenu la nuit", tant l'épisode de froid a duré. "On a sélectionné le coteau principal et on a fait brûler des ballots de paille et des tas de bois pour essayer de sauver ce qui pouvait l'être", confie Rémy Nodin, vigneron à Saint-Péray (Ardèche), que l'adrénaline fait tenir après une nuit sans sommeil. "L'objectif était d'avoir un écran de fumée pour qu'au moment où le soleil arrive, il ne brûle pas la vigne à cause de l'humidité". Mission en partie réussie, pour le jeune professionnel de 34 ans qui avait pris conseil auprès de confrères alsaciens plus habitués. "Des bourgeons de la vigne ont flétri, certaines vignes qui étaient bien avancées de 2-3 centimètres de haut ont noirci", note-t-il toutefois.

"Une nuit de folie"

Dans les Hautes-Alpes, Éric Allard, un producteur de pommes exploitant huit hectares de vergers à Théus, évoque "une nuit de folie" qui restera "ancrée dans sa mémoire", avec une récolte potentiellement amputée de moitié. Il décrit un "vent glacial rare" et une "gelée noire venue d'Arctique" similaire à celle qui avait sinistré de nombreuses récoltes en 1991 et 2017, les dernières grosses catastrophes en date pour les arboriculteurs.

Dans le Rhône et la Loire, "tous les secteurs sont impactés mais il est encore trop tôt pour mesurer les dégâts", commente Christophe Gratadour, conseiller arboriculture à la chambre d'agriculture. "Nous craignons particulièrement le risque d'arrêt de sève sur les arbres qui ont subi des variations de températures importantes en quelques jours". Fin mars, le thermomètre avait dépassé les 25 degrés sur plusieurs secteurs de ces deux départements.

80% du vignoble français affecté

Le gel a "touché 80% du vignoble français", estime Jean-Marie Barillère, président du Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d'origine et à indication géographique. "La récolte est complètement amputée. On sait déjà qu'on va avoir une très faible récolte en 2021, poursuit-il. Les arboriculteurs et les viticulteurs viennent de vivre une semaine noire". "Pratiquement toutes les régions ont pris une nouvelle claque la nuit dernière mais il y avait déjà des dégâts avant", souligne-t-il. Selon lui, il faudra une "dizaine de jours" à la profession pour évaluer précisément l'état des bourgeons et estimer les dégâts.

Les inquiétudes sont grandes également du côté des grandes cultures. Les impacts sur le colza, en pleine floraison, sont dramatiques, comme sur les semis de betteraves : de très nombreux planteurs vont devoir ressemer plus de la moitié de leur surface, estime-t-on à la FNSEA.