Emmanuelle Jean, la meunière qui a redonné vie au moulin de la Bicane

La France ne compte plus beaucoup de meuniers artisanaux, et encore moins de meunières. Emmanuelle Jean est pourtant l’une de celles-ci : ancienne responsable qualité en industrie agroalimentaire, elle fait aujourd’hui revivre un moulin à vent à Campbon (44). A son échelle, elle recrée l’aventure séculaire de la transformation locale du grain.

Il n’y a pas si longtemps, toute la campagne française était hérissée de moulins à vent, chaque moulin ayant la charge de moudre le blé des parcelles à une lieue à la ronde. Les meuniers étaient des personnages importants, maillons essentiels entre le grain et le pain. Au plus fort de leur présence, au XIXe siècle, il y aurait eu jusqu’à 100 000 moulins en France, à raison de 800 à 1800 par département. Le XXe siècle a vu l’avènement des moulins industriels et la disparition rapide de tous les petits moulins qui ponctuaient la campagne.

La fin des moulins

A Campbon, à 40 km à l’Ouest de Nantes, le moulin de la Bicane était de ceux-là. Construit en 1851, il a été conduit par quatre générations de meuniers jusqu’en 1957 où il s’est définitivement arrêté. Comme tant d’autres de son espèce, il est alors reconverti en lieu de stockage agricole, avant qu’un charpentier passionné de moulins n’y pénètre, en 1990, et constate que ses mécanismes sont encore intacts.
Le moulin de la Bicane est alors cédé à la commune par les meuniers. Après de longues années de rénovation, effectuées par l’association historique de Campbon, il retrouve enfin de nouvelles ailes, grâce à un coup de pouce financier de l’Europe et du conseil départemental. L’outil redevient à nouveau pleinement opérationnel.

Catherine Perrot
Tout en haut du toit, Don Quichotte indique le sens du vent

Le moulin aurait pu rester un témoin de l’activité meunière d’autrefois, et continuer à vivre de visites guidées et d’animations pédagogiques… Mais c’était sans compter sur sa rencontre avec Emmanuelle Jean. A cette époque, en 2019, Emmanuelle Jean vient de rentrer d’un voyage d’une année avec sa famille (son mari et ses trois enfants) en Amérique du Sud. Elle cherche du travail et, en attendant, elle fait bénéficier le moulin de ses compétences en tant que bénévole.

La nouvelle meunière de la Bicane

Car des compétences en matière agroalimentaire, la jeune femme en possède de solides : avant son grand voyage, elle était responsable qualité depuis 15 ans chez un industriel local (Tipiak). Alors qu’elle termine, bénévolement, le nettoyage du moulin après la pose de ses ailes, et qu’elle prend conscience que le monde de l’industrie n’est plus pour elle, Emmanuelle décide de se lancer dans un projet un peu fou : devenir la nouvelle meunière du Moulin de la Bicane.
« Ce n’était pas prévu mais je me suis en quelque sorte laissé porter par le fil des évènements », reconnaît-elle. Ce moulin qu’elle a contribué à remettre au propre, Emmanuelle ne le voit plus comme un outil historique ou touristique, mais comme un outil de travail à qui elle veut redonner une place dans l’économie locale. Avant cela, et bien qu’elle soit une pro des farines et de leur qualité en tant que « matière première », il lui faut apprendre à conduire un moulin à vent : « le meunier traditionnel de Batz sur Mer est venu me former pendant un mois au moulin de la Bicane ». Au début, Emmanuelle réalise ses premières moutures avec le moteur (les ailes ont été motorisées en février 2019). Ce n’est qu’au bout d’un mois de pratique qu’elle s’essaye enfin à conduire, seule, le moulin, avec l’énergie éolienne.

Catherine Perrot
Un moulin se grée comme un bateau : le toit se tourne (manuellement) pour positionner les ailes dans le sens du vent. La meunière est constamment aux aguets des bruits des mécanismes, pour vérifier qu’ils ne s’emballent pas.

Presque 20 tonnes de grains par an

Les cinq années qui se sont écoulées depuis la création de son entreprise n’ont pas été simples (la crise du Covid étant intervenue juste après la création de l’entreprise). Mais, sans avoir à prospecter, Emmanuelle a réussi à se constituer son petit réseau de clients : à part un paysan-boulanger pour qui elle fait de la prestation de services de mouture, Emmanuelle a plutôt fait le choix d’acheter des grains et de vendre des farines.
« Actuellement, j’écrase environ 11 tonnes de blé par an, 5 à 7 tonnes de sarrasin et 500 kg de seigle. J’achète mes grains à trois agriculteurs bio locaux et je vends mes farines dans une dizaine de magasins locaux et à une quinzaine d’artisans : boulangers, crêpiers et un traiteur-restaurateur. Ils trouvent que cela a plus « de sens » d’acheter leurs farines chez moi. Ces clients, ce sont avant tout de belles rencontres ».
La meunière tient beaucoup aux valeurs du circuit court, s’attachant par exemple à acheter son blé un peu plus cher que la valeur du marché, et en fonction de sa pureté (moins de 1 % d’impuretés) et de l’absence de datura. « Je n’opère pas de réfaction en fonction du taux de protéines ou du poids spécifique » décrit celle qui reste très attachée à la qualité de ses produits.
« J'apporte un soin particulier à la mouture des blés pour garder au maximum les propriétés gustatives et nutritionnelles du grain. Certes, mes farines ne sont pas toujours les plus faciles à travailler », reconnaît-elle, « mais je suis tombée sur des artisans qui aiment les défis ».

Parallèlement à l'activité de meunerie, Emmanuelle Jean continue de proposer des visites guidées et des ateliers d’initiation, ce qu’elle fait avec beaucoup de passion car elle aime « donner du sourire aux gens ». Cette partie touristique est d’ailleurs indispensable à l’équilibre économique de l’entreprise : « La commercialisation des farines paye les charges du moulin, les matières premières, la location de l’outil, etc., et les visites payent la meunière ».