En Bretagne, le code de l’urbanisme bloque un projet de méthanisation

Le projet de méthanisation collectif Agri-Bioénergies en Bretagne a été stoppé car jugé non-agricole. Une première pour une installation qui respectait bien les critères agricoles du code rural. La décision de justice inédite a fait bouger jusqu’au ministère de la Transition écologique.

« Nous avions construit le dossier avec l’administration pour qu’il soit inattaquable. C’est rageant » attaque Gerald Le Moelle, le président de la SAS Agri-Bioénergies. Ce projet d’unité de méthanisation agricole collective, sur la commune de Bourg-des-Comptes en Ille-et-Vilaine, est à l’arrêt depuis une décision du 6 septembre du juge des référés du tribunal administratif de Rennes. « Nous avions commencé le terrassement en juillet. L’injection du premier mètre cube de gaz dans le réseau est prévu pour mars 2024. Mais à présent, c’est impossible de tenir ce délai » regrette Gerald Le Moelle.

Le code de l’urbanisme préféré au code rural

Comme c’est fréquemment le cas, le projet de méthanisation d’Agri-Bioénergie a été attaqué en justice par des riverains. Mais c’est sur les raisons qui ont poussé le juge des référés à suspendre le permis de construire que le dossier prend une tournure inhabituelle. Le magistrat s’est appuyé sur le code de l’urbanisme plutôt que sur le code rural pour requalifier le projet en « constructions industrielles concourant à la production d’énergie » plutôt qu’en bâtiment agricole. Or, contrairement à une installation agricole, ce type d’infrastructure doit se situer à 50m minimum de la route. Ce qui n’est pas le cas de l’unité de méthanisation d’Agri-Bioénergies qui se trouve à 30m. Suite à ce constat, le juge a suspendu le permis de construire délivré par la préfecture.

Une décision rageante pour les porteurs de projets. En effet selon le code rural, l’unité de méthanisation était bien agricole puisque la totalité des intrants est d’origine agricole et plus de 50 % des actionnaires sont des exploitants agricoles. « Ce projet, c’est le prolongement de nos élevages à travers une unité de méthanisation collective. Nous sommes bien un groupe d’agriculteurs qui détient 85 % des parts du projet » soutient Philippe de Carville, l’un des vice-président de la SAS Agri Bioénergie.

Une répercussion nationale

Au-delà de l’arrêt des travaux sur le projet de Bourg-des-comptes, cette décision de justice pourrait créer une jurisprudence pour d’autres projets de méthanisation collectifs agricoles. « La difficulté, c’est qu’il y ici a un mélange entre le droit agricole, le droit foncier et l’urbanisme. Ce qu’il faut c’est que le juge applique la règle » appuie Jean-Marc Onno de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), qui accompagne Agri-Bioénergies dans son périple judiciaire.

Preuve que cette décision pourrait revêtir une importance capitale à l’échelle nationale, elle inquiète jusqu’au Ministère de la transition écologique. Ce dernier a déposé un pourvoi en cassation auprès du conseil d’État suite à la décision du juge des référés du tribunal administratif de Rennes. « Le fait que le ministère se mobilise, c’est extrêmement important. Cela montre bien que c’est toute la filière qui est attaquée » analyse Gerald Le Moelle. De son côté, Agri-Bioénergies a également déposé un pourvoi en cassation dans l’espoir de voir annuler la suspension du permis de construire.

Pas d’échéance en vue

Actuellement, les porteurs de projets de la SAS Agri-Bioénergies sont sans nouvelle du conseil d’État concernant une échéance sur l’étude de leur requête. Et la démarche peut être longue. « Sur un autre projet de méthanisation que nous avons soutenu à La Rochelle, il s’est passé 7 ans entre la délivrance du permis de construire et la décision favorable du conseil d’Etat » se souvient Erwan Boumard, directeur d’Energie partagée, un outil d’investissement citoyen également actionnaire d’Agri-Bioénergies.

Mais pour les agriculteurs de Bourg-des-Comptes, le temps presse. « Il nous reste six mois pour obtenir une réponse du Conseil d’État, sinon le projet tombe à l’eau car les banques n’accepteront plus de nous financer » révèle Gerald Le Moelle. Pour son confrère Philippe de Carville, c’est l’incompréhension. « Vu les événements géopolitiques actuels, nous devrions tout faire pour favoriser les projets comme le nôtre prêt à démarrer et capable de fournir une source alternative de gaz. Ça me semble urgent que le conseil d’État se saisisse du dossier. Mais nous n’avons pas de réponse, ni de date » ne peut-il que constater.

Une attente d’autant plus frustrante que la nouvelle loi sur l’accélération des énergies renouvelables prévoit une harmonisation entre le code rural et le code de l’urbanisme. Ainsi le texte législatif prévoit qu’une unité de méthanisation définie comme agricole par le code rural, soit versée dans la catégorie des constructions ou des installations nécessaires à l’exploitation agricole dans le code de l’urbanisme. Une loi qui aurait pu changer bien des choses pour Agri-Bioénergies si elle avait été votée un an plus tôt …