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La méthanisation, un pilotage gazeux selon la Cour des comptes
La Cour des comptes estime que les objectifs de production de biogaz sont insuffisamment étayés face aux incertitudes liées la place future du gaz dans le mix énergétique et à la disponibilité de la biomasse agricole. Et se montre critique à l’égard des certificats de production de biogaz, favorisant les méthaniseurs non-agricoles de grande taille, au détriment des agriculteurs, rendus à simple fournisseurs de biomasse et potentiellement spoliés de la valeur.
Les rapports de la Cour des comptes tressent rarement des lauriers aux politiques publiques et celui sur le biogaz, plus précisément sur le « soutien au développement du biogaz », n’échappe pas à la règle. Le rapport note toutefois que la méthanisation, forte du consensus scientifique actant son bilan carbone « positif », a connu un développement de nature à se substituer au gaz naturel fossile et à participer à la décarbonation du mix énergétique pour atteindre la neutralité carbone en 2050. « La production de biogaz a ainsi atteint les objectifs énergétiques qui lui avaient été assignés pour 2023 dans la deuxième programmation pluriannuelle de l’énergie », lit-on dans le rapport. « Les dispositifs de soutien ont été en pratique orientés vers les petites et moyennes installations agricoles, même s’ils ont permis de développer la filière à travers tous les types d’installations ».
Mais à quel prix ? « Le coût budgétaire du dispositif est significatif », soulignent les magistrats. Les engagements pris au titre des tarifs d’achat contractualisés à fin 2022 (pour des contrats de 15 à 20 ans) représenteraient ainsi entre 12,7 milliards € et 16,2 milliards € à décaisser pour l’État d’ici 2037 pour le biométhane injecté et entre 2,2 milliards € et 3,9 milliards € pour la production d’électricité en cogénération d’ici 2042. Ce à quoi il faut ajouter « environ » 7 milliards € supplémentaires pour les nouveaux contrats d’injection de biométhane signés d’ici à 2028.
Au-delà de la charge pour les finances publiques, le rapport évoque des phénomènes de « surrentabilité manifeste » inhérents aux aides publiques, notamment en injection, pour certaines installations ayant fait l’objet de contrats conclus avant 2020. Et de recommander un contrôle périodique des coûts et de la rentabilité des installations de production de biogaz bénéficiant d’un dispositif de soutien public.
Les CPB, un report de charge des contribuables vers les consommateurs
L’Etat n’a toutefois pas attendu le rapport de la Cour des comptes pour revoir le mécanisme des aides publiques. A compter de 2026 seront instaurés les Certificats de production de biogaz (CPB), un nouveau dispositif de soutien qui fera peser l’obligation de soutien des installations sur les fournisseurs de gaz et aura pour effet de transférer le financement de ce soutien des contribuables aux consommateurs de gaz, ménageant d’autant les finances publiques. Sauf que « les conditions de bon fonctionnement et de surveillance du marché de CPB à venir ne sont aujourd’hui pas définies », lit-on dans le rapport. « Les capacités de production qui pourraient émerger dans le cadre de ce dispositif sont mal connues et l’impact sur les factures des consommateurs ne fait pas l’objet d’évaluations robustes, qui pourraient utilement être portées à la connaissance du public ». Le rapport recommande de définir les objectifs des certificats de production de biogaz à l’horizon 2035, à partir d’une évaluation indépendante des cibles atteignables et du coût répercuté sur les consommateurs.
Le trou noir du mix énergétique
Plus troublant encore, le rapport s’inquiète de la déconnection entre les objectifs assignés à la production de biogaz et la trajectoire de consommation à horizon 2050, laquelle pourrait baisser de 65% par rapport à 2020. « Les objectifs de production de biogaz insuffisamment étayés face aux incertitudes quant à la place future du gaz dans le mix énergétique », relèvent les magistrats. La Cour recommande ainsi d’élaborer des scénarios actualisés sur le mix énergétique complet jusqu’à l’horizon 2050 à partir des travaux prospectifs des gestionnaires de transports de gaz et des scénarios de mix électrique de RTE.
Des tensions sur la biomasse
La recommandation est d’autant plus cruciale que la production de biogaz est potentiellement porteuse de conflits d’usage entre les usages alimentaires et non alimentaires de la biomasse, voire entre biogaz et certains biocarburants, le gisement de biomasse n’étant pas extensible. En 2021, France Stratégie avait publié un rapport s’inquiétant du fait que le potentiel de biomasse agricole non alimentaire était deux fois moindre que celui inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Qui plus est, outre la compétition vis-à-vis des ressources alimentaires, la biomasse et son carbone sont une composante essentielle de la fertilité physico-chimique (nutrition, des plantes, réserve utile en eau...) et biologique des sols, participant à lutte contre l’érosion et à la préservation de la biodiversité.
L’enjeu des Cive
La Cour des comptes s’attarde notamment sur les Cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive), critiquant l’absence de recueil systématique de données sur les intrants de la méthanisation ne permettant pas d’évaluer le poids actuel des CIVE à l’échelle nationale. Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), les Cive représenteraient aujourd’hui 30% des intrants des méthaniseurs. La SNBC leur assigne de son côté un objectif de croissance de 50% en surface et de 100% en volume de production. Selon la Cour des comptes, les Cive représentent le principal gisement de biomasse pour la méthanisation à long terme , ce qui justifie « l’importance de suivre leur impact possible ».
La Cour des comptes recommande ainsi d’actualiser la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, d’accélérer l’adoption des schémas régionaux de biomasse et de garantir leur cohérence avec le prochain exercice de planification énergétique. Les magistrats s’étonnent du reste que les unités en injection ne soient pas astreintes à soumettre leurs plans prévisionnels d’approvisionnement aux préfets via les cellules biomasse, une obligation qui incombe aux unités en cogénération et qui permettrait ainsi de modérer les conflits d’usage potentiel.
D’agriculteur méthaniseur à fournisseur de biomasse ?
Selon l’Ademe, le risque de conflits d’usage se pose moins pour les petites unités de méthanisation que pour les projets de grande taille qui « ambitionnent de mobiliser massivement de la biomasse agricole sur un territoire large et sur un marché allant progressivement au-delà du plan d’approvisionnement initial ». Or, selon la Cour des comptes, la mise en œuvre des Certificats de production de biogaz va favoriser les installations de grande taille et le portage des projets par des industriels ou des énergéticiens, ce qui va constituer « une rupture avec le paysage de la filière française actuelle, essentiellement agricole ». D’après les estimations de la Cour, en moyenne annuelle, les exploitations agricoles impliquées dans la méthanisation ont accru leur excédent brut d’exploitation (EBE) de 40.000€ à un an et de 55.000€ à cinq ans entre 2016 et 2019, soit une augmentation de l’ordre de 20% par rapport aux par rapport aux exploitations similaires non impliquées dans la méthanisation. Dans cette perspective, les agriculteurs pourraient ainsi être relégués au rang de fournisseurs de biomasse et voir une partie de la valeur se volatiliser. « Si la croissance de la production de biogaz se traduisait par le développement de méthaniseurs non-agricoles de grande taille, il conviendrait alors de garantir le partage de valeur entre ces derniers et les agriculteurs fournisseurs de la biomasse », suggère la Cour des comptes.