En Roussillon, la vigne ne « pisse » plus, elle saigne

A Terrats (Pyrénées-Orientales), Louis Alies voit les rendements de ses muscat, grenache, carignan, syrah et autre mourvèdre s’éroder d’année en année sous l’effet du climat. Le salut passera par la valorisation et/ou l’irrigation. Mais l’une et l’autre se font attendre.

Sur le pont bascule de sa coopérative, les Vignerons de Terrassous, Louis Alies fixe son regard sur le panneau indicateur de la pesée. « Il est loin le temps où j’avais des problèmes de déclaration de récolte dus à des excès de raisin », déclare-t-il. Le calcul est vite fait. A raison de 4 t/ha et de 140 kg de raisin par hectolitre de moût, la récolte de muscat petit grain va allègrement passer sous le rendement butoir de 40 hl/ha fixé par l’appellation Muscat de Rivesaltes. « C’est la double peine car non seulement les rendements sont plus faibles, mais les grains sont plus petits et donc moins juteux ».

Sur le pont bascule de la coopérative, Louis Alies attend le verdict du réfractomètre
Sur le pont bascule de la coopérative, Louis Alies attend le verdict du réfractomètre

Le coupable est tout trouvé. « Pour faire une récolte correcte, il nous faut 600 mm par an mais ça fait une paire d’années qu’on ne les a pas eus. En 2022, c’était bon jusqu’en avril, mais depuis, on n’a rien eu de significatif ».

Le climat donc, et son effet « boule de neige sur la vigne » : la sécheresse de l’année N se fait aussi ressentir sur l’année N+1, de fait de ses impacts sur la fructification. « Cette année, sur le muscat petit grain et le macabeu, j’ai su très tôt que la vendange était pliée car il y a eu très peu de sorties », explique le viticulteur. Triple peine donc, sans compter la mortalité croissante de souches.

Louis Alies dans une parcelle centenaire carignan, aux raisins échaudés par les 30°C tapant en fin d’après-midi
Louis Alies dans une parcelle centenaire carignan, aux raisins échaudés par les 30°C tapant en fin d’après-midi

Mais il faut aussi compter avec le gel et l'échaudage quand ce n’est pas le mildiou qui s’emballe sous l’effet... d’abats d’eau. « Avant, sur cinq ans, on faisait une très bonne vendange, trois moyennes et une mauvaise. Aujourd’hui, on ne fait plus la très bonne mais trois mauvaises pour deux moyennes ».

"On a de moins en moins d’herbicides et le glyphosate se troue sur un paquet de plantes concurrentielles"

Louis Alies réalise cette année sa 30ème vendange. Il exploite 12 ha valorisés en Vins doux naturels (Muscats de Rivesaltes et Rivesaltes), en Côtes du Roussillon Les Aspres ou encore en IGP Côtes catalanes. Il a régulièrement investi dans la rénovation de son vignoble, presque intégralement palissée pour forcer la mécanisation et presser les coûts de production.

Moins de raisins, plus petits et moins de fructifications l’année suivante : la triple peine du changement climatique en Roussillon
Moins de raisins, plus petits et moins de fructifications l’année suivante : la triple peine du changement climatique en Roussillon

Ses vignes sont impeccablement tenues, histoire de couper l’herbe à l’herbe sous les pieds de vigne. Dans sa parcelle de carignan centenaire, conduite en gobelet, il y va avec la débroussailleuse à fil pour compenser les lacunes des herbicides. « On a de moins en moins d’herbicides et le glyphosate se troue sur un paquet de plantes concurrentielles telles que l’érigeron et l’andriale, dit-il. Avec les baisses de dose, je me demande si on ne va pas générer encore plus de résistance ».

Un projet d’irrigation dans les tuyaux

Pour sécuriser son exploitation, et celle des 80 adhérents de la coopérative, un projet d’irrigation est porté par la Communauté de communes des Aspres, dont fait partie Terrats. Il consiste à retenir, en période hivernale, l’eau d’un petit canal naissant au barrage de Vinça (Pyrénées-Orientales), desservant les arboriculteurs avant de se jeter à la mer. « En hiver, autant capter cette eau qui va se mélanger à de l’eau salée à 20 kilomètres de nos exploitations », défend le viticulteur, comme pour prévenir les critiques face à la tension croissante sur la ressource. Le projet permettrait d’apporter l’eau à environ 300 ha de vigne, soit, à titre indicatif, l’équivalent de 50% de la superficie vendangée par la coopérative, les caves particulières et les parcelles d'autres coopératives étant bien entendu éligibles au dispositif.

"On nous parle d’une réforme de l’assurance récolte mais que vont devenir nos références avec la succession de petites récoltes ? "

Mais le projet dans les tuyaux depuis maintenant 5 ou 6 ans n’a pas encore lâché la moindre goutte. Il supposera un investissement individuel de l’ordre de 1500 €/ha pour une charge financière annuelle d’environ 500 €/ha. « Personnellement, je suis prêt à consentir cet effort car je ne vois pas d’autre moyen de sauvegarder mon exploitation et notre vignoble. On nous parle d’une réforme de l’assurance récolte mais que vont devenir nos références avec la succession de petites récoltes ? ».

Malgré ses 2784 m, le Pic du Canigou ne fait pas d’ombre au vignoble
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Aridité économique

Dans certains secteurs du Roussillon, où les rendements sont déjà naturellement contraints par la frugalité des sols - la vigne n’est pas là par hasard -, le changement climatique pourrait achever de porter l’estocade à un vignoble qui a abandonné des dizaines de milliers d’ha en quelques décennies, à coup de plans de restructuration. Objectif : faire coïncider l’offre à la demande. Problème : les efforts qualitatifs, unanimement reconnus, ne se retrouvent pas sur le prix, en tout cas pas suffisamment pour compenser les efforts consentis et la baisse des volumes. « La notoriété de nos vins peine à dépasser les frontières du département, où les différentes caves se font concurrence entre elles », analyse avec dépit le viticulteur.

Les vins doux naturel naturels, des produits uniques au monde, mais qui ne l’ont pas conquis
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Le sort des Rivesaltes et Muscats de Rivesaltes, des produits uniques au monde et emblématiques s’il en est du Roussillon, est révélateur de cette aridité économique. Les cépages qui les constituent, grenaches, macabeus et muscats, sont ainsi vinifiés en partie en vins secs, pour pallier le manque de débouchés. « A 100 euros l’hecto contre 200, ça change la donne ».

"On nous parle de cultures alternatives comme l’olivier ou l’amandier. Mais sans eau, vous récolterez des cacahuètes"

Louis Alies est très préoccupé par l’avenir du vignoble dans ses Aspres natales. A 55 ans, lui devrait se tirer d’affaires mais qu’adviendra-t-il de son vignoble ? « Vu la faiblesse des revenus, les candidats à la reprise de nos vignes ne se pressent pas », déclare-t-il. Ses deux enfants ont décliné. Lui-même s’est délesté d’une partie de ses vignes, au cours de la décennie écoulée, pour raison économique. Il est passé de 42 ha à 12 ha et s’est séparé de son ouvrier. « Quand je me suis séparé de mon salarié avec qui ça se passait très bien, je me suis aperçu que son coût horaire avait doublé alors que mes prix de vente n’avaient pas augmenté ».

En Roussillon, il y a bien longtemps que la vigne ne « pisse » plus. Elle saigne, en attendant la perfusion de l’irrigation. Et en dehors de la vigne, il ne faut pas trop compter sur des cultures miracle dans ce coin des Aspres. « On nous parle de cultures alternatives comme l’olivier ou l’amandier. Mais sans eau, vous récolterez des cacahuètes ».