Enseignement agricole : donner le goût de la biodiversité dès le lycée

Douze directeurs d’exploitations de lycées agricoles publics de Normandie se sont rendus récemment en voyage d’étude sur la thématique de la biodiversité et de la fonctionnalité des sols dans les agroécosystèmes. Ces responsables ont notamment rencontré un « Paysan de nature », Thomas Rabu, paysan-boulanger et éleveur à Varades (44).

C’est à un voyage au « cœur de la biodiversité ordinaire en milieu agricole » auquel ont été invités les responsables d’exploitations et d’ateliers technologiques de l’enseignement agricole public normand. Supports de formations, d’expérimentation et de démonstration, les fermes des établissements de formation agricole sont un maillon essentiel du plan « Enseigner à produire autrement : pour les transitions et l’agroécologie » du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
« Depuis déjà une dizaine d’années, les référentiels de diplôme ont considérablement évolué et le message sur la biodiversité passe de mieux en mieux auprès des apprenants, lycéens, apprentis et stagiaires adultes », assure Pascal Lahaye, directeur de l’exploitation du lycée de Saint-Lô Thère dans la Manche. Comme ses collègues, il est à la tête d’une exploitation de polyculture-élevage en bovins lait, et comme eux, il a conscience que la biodiversité est un facteur de production.

Au cœur de la biodiversité

C’est pour aller plus loin dans cette exploration de la biodiversité, facteur de production, et dans un projet de formation continue de ces formateurs agricoles qu’un voyage d’étude leur a été proposé par la Draaf Normandie, début avril 2024 : ce voyage comprenait une rencontre chez un Paysan de nature (lire encadré en fin de page), une visite du projet Oasys conduit à l’Inrae de Lusignan (86) sur l’adaptation de l’élevage laitier au changement climatique, et un zoom sur la biodiversité microbienne.

Emmené par Emmanuel Bon, délégué régional à l’ingénierie de formation à la Draaf Normandie (à gauche) et guidé par Pauline Woerhle, consultante et formatrice en élevage (Herbivor), le groupe des responsables d’exploitations de l’enseignement agricole public normand s’est rendu dans une exploitation de bords de Loire (Crédit photo : Catherine Perrot)
Emmené par Emmanuel Bon, délégué régional à l’ingénierie de formation à la Draaf Normandie (à gauche) et guidé par Pauline Woerhle, consultante et formatrice en élevage (Herbivor), le groupe des responsables d’exploitations de l’enseignement agricole public normand s’est rendu dans une exploitation de bords de Loire (Crédit photo : Catherine Perrot)

Pour la première étape de ce voyage d’étude, les directeurs des exploitations de lycées se sont rendus à Varades (44), chez Thomas Rabu, éleveur et paysan-boulanger en production biologique, membre du réseau Paysan de nature. Une immersion dans une autre production, les ovins viande, et dans une autre région, les Pays de la Loire. Bien nommée en l’occurrence, puisque 90 % des terres de la ferme de Thomas Rabu sont inondables par la Loire.

Depuis plus de quinze ans, Thomas Rabu travaille donc avec cette peur de voir ses terres (essentiellement des prairies permanentes) disparaitre sous l’eau à certains moments de l’année. Pourtant, il s’en satisfait : « La contrainte de la Loire, on a su la détourner, et en faire un atout ». Alors, certes, il s’agit d’avoir constamment l’œil sur les cotes de la Loire, qui varient d’une heure à l’autre, et spécialement en ce printemps 2024 très humide, mais c’est aussi avoir l’opportunité d’accéder à de vastes espaces herbagers à la flore très variée.

« On a du vert toute l’année »

« Officiellement, nous sommes en zone humide, mais en réalité, ces terres, limoneuses, sont plutôt portantes. Ce ne sont pas des marais comme on en a l’habitude, et comme il y a de l’humidité en dessous, on a du vert toute l’année » assure Thomas Rabu. L’éleveur évoque l’intérêt de la diversité alimentaire offerte par le milieu à ses ovins, non seulement via les différentes espèces prairiales, mais aussi par les jeunes pousses des ronciers, particulièrement appréciées de ses brebis solognotes. « Riches en tannins, les ronces pourraient avoir une action antiparasitaire. En outre, les brebis entretiennent ainsi les haies bocagères ».

Cette richesse reste toutefois fragile. Thomas Rabu, dont l’objectif de paysan est « ne pas dégrader son milieu » adapte donc son chargement, avec seulement 0,4 UGB/ha. Il pratique aussi un pâturage « en mosaïque », avec une grande attention à éviter le surpâturage. Il laisse également des zones, différentes chaque année, en « foin sur pied » qui peut être consommé en automne ou en hiver.

Pour atteindre cette finesse de pilotage du pâturage, Thomas n’utilise pas de clôtures, mais des filets, qu’il déploie pour limiter les zones en complément des limites naturelles que sont la Loire et les haies. Pour transporter ses filets à travers les vastes prairies, l’éleveur utilise un âne. Pas par rejet aveugle de la mécanisation – il reconnaît qu’elle est, dans certains cas, un « mal nécessaire » – mais parce que c’est ce qu’il a trouvé de plus pratique : « Parfois, ce qui semble archaïque est le plus efficace. L’âne, pas besoin de le conduire, il me suit partout ! ».

 

Thomas Rabu, éleveur ovin et paysan-boulanger à Varades (44) ). « Pour moi, l’agriculture ne peut se faire sans biodiversité »

Bousculés ? Pas tant que ça !

Au cours de la visite qui aura duré plus de 3 heures, Thomas Rabu a évoqué de nombreux autres sujets avec les responsables d’exploitations, très curieux et peut-être pas si  bousculés que cela par les pratiques atypiques de l’éleveur. Les discussions ont porté, entre autres, sur la restauration de la vie microbienne du sol, grâce aux arbres et au bois raméal fragmenté issu de leur entretien. Sur les cultures de blé anciens et la gestion des résidus de culture par les ovins ; sur le « non-sevrage » des agneaux qui continuent de bénéficier des propriétés antiparasitaires du lait jusqu’à la fin de leur croissance, ou encore sur d'anciennes pratiques locales d’alimentation des bovins avec du bois de frêne…

"mon système est atypique mais viable"

« L’agriculture ne peut pas vivre sans biodiversité », assure Thomas Rabu qui a rappelé l’importance de la formation des futures actifs agricoles : « Vous avez un boulot énorme à faire, pour éviter le « formatage » des jeunes, la culture de la productivité à tout prix ». Les cultures et les animaux de Thomas Rabu sont productifs, et « comme le dit le banquier, mon système est atypique mais viable ». Il a aussi souligné l’importance de l’adaptation à chaque contexte pédo-climatique : « Un territoire cela s’apprend », son attachement à la notion d’autonomie « bien différente de cette d’autarcie », et il a incité ses interlocuteurs à faire attention au risque de certains jeunes de « trop idéaliser » les systèmes alternatifs.

Paysans de nature, qui sont-ils ? 

Le réseau Paysans de nature est une alliance entre agriculteurs, naturalistes et habitants des territoires. Il vise à préserver la biodiversité sous toutes ses formes, à promouvoir l’installation agricole et à s’ouvrir aux citoyens qui souhaitent s’impliquer dans leurs territoires. Les agricultrices et agriculteurs du réseau considèrent que leur ferme peut à la fois être gérée comme une réserve naturelle, produire une alimentation de qualité et leur assurer un revenu.